MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : R&S Records
Non, la musique électronique n’était pas seulement bonne que pour les boîtes de nuit: c’était aussi un genre varié et rempli de profondeur qui pouvait nous accompagner dans tous les autres moments de notre vie, et ça, Richard D. James comptait bien nous le démontrer.
D’ailleurs, l’essence même de SAW 85-92 a été composée avant même que l’artiste ne fasse ses véritables premiers pas comme DJ. Le résultat est un album quasi artisanal, et en même temps si accessible et travaillé, en plus d’être considéré comme un pilier de la musique électronique (j’oserais même dire de la musique, point.)
Mi-rêveur, mi-conscient
C’est dans une montagne de cassettes d’expérimentations sonores composées sur de l’équipement maison pendant la jeunesse de Richard D. James (certains morceaux auraient été créés alors qu’il n’avait que 14 ans!) que les 13 morceaux de Selected Ambient Works 85-92 ont été sélectionnés pour sortir sous l’étiquette R&S Records. C’est ce qui explique d’ailleurs la qualité sonore pour le moins inégale sur l’album.
On remarque d’ailleurs ce léger grain sonore dès les premières secondes de «Xtal», la sublime et envoûtante pièce d’ouverture. Mais n’allez pas croire que ce son brut et «endommagé» vient nuire à l’expérience d’écoute. Bien au contraire! Cela ne fait que rajouter au côté mythique et vintage de cet opus intemporel, toujours à mi-chemin entre le passé et le futurisme.
On assistait ici à la naissance d’un véritable virtuose que plusieurs considèrent comme le Mozart ou le Beethoven de l’électronique. Tel un ingénieur des synthés et de la boîte à rythmes, le jeune Aphex Twin en devenir a créé des morceaux au parfait équilibre, entre la frénésie des pistes de danse, l’apaisement de la chambre à coucher et le côté plus studieux d’une salle de classe.
Bref, quelque chose qui peut s’écouter autant dans nos moments de rêverie que de concentration.
Les frontières entre l’acid house, la techno, l’ambient et le psychédélisme volaient en éclat, et les contours de ce qui allait devenir le son «Aphex Twin» se précisaient lentement (même si ce premier album demeure sans contredit son œuvre la moins chaotique).
Un album ambient… pas si ambient que ça
En dépit de ce que son nom pourrait laisser croire, SAW 85-92 s’aventure bien au-delà de la musique ambiante planante et calmante à la Brian Eno. En définitive, cet album demeure nettement moins ambient que sa suite (Selected Ambient Works Vol. II, paru deux ans plus tard, en 1994). Sur ce premier opus, seule la pièce «I» est véritablement et purement ambient.
Pour le reste, on est davantage dans l’ambient dansant ou dans la techno rêveuse, avec de subtiles lignes de basse et des synthétiseurs aériens. Zéro fioriture, aucun détail superflu, juste le strict nécessaire. Un son épuré et parfaitement minimaliste, truffé de subtilités qu’on remarque au fil des écoutes.
C’est d’ailleurs assez impressionnant de réaliser que ces morceaux ont été créés à l’extérieur des studios professionnels tant l’ingéniosité y est forte. C’est là tout le génie et l’unicité de Richard D. James qui, en plus d’Aphex Twin, nous a offert un nombre incalculable de morceaux sous de multiples autres alias musicaux, notamment Caustic Window, AFX ou Polygon Window.
On passe allègrement de lignes rythmiques dansantes («Ptolemy»), rapides («Heliosphan»), apaisantes («Xtal») ou accrocheuses («Ageispolis», notamment samplée par Die Antwoord), à des sonorités plus lugubres («Hedphelym»), alternatives («Tha»), voire carrément angoissantes («Green Calx», sans contredit la pièce la plus aride sur l’album).
Aphex Twin ose même jouer avec des rythmiques cha-cha-cha («Schottkey 7th Path»)!
Un plaisir de réécoute quasi-infini
À n’en point douter, Selected Ambient Works 85-92 posait les jalons d’une extraordinaire (et «incopiable») épopée musicale qui allait influencer un nombre incalculable d’artistes, dont Radiohead pour leur sublime «Kid A» (2000). Malgré son côté très dépouillé, SAW 85-92 regorge de petites pépites qu’il fait bon de (re)découvrir et qui nous enveloppent, peu importe ce qu’on fait.
Au fil des écoutes, on remarque toutes sortes de textures et d’échantillonnages. Trente ans plus tard, on réalise encore à quel point chaque pièce a sa couleur qui lui est propre et distincte. Pas étonnant que cet opus soit encore si populaire aujourd’hui: c’est pratiquement un album-thérapie, et le plaisir de réécoute est quasi infini!
Avez-vous pris votre dose d’Aphex Twin aujourd’hui?