MusiqueLes albums sacrés
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Le fait d’arriver avec un premier album aussi percutant que Straight Outta Compton garantit certainement un succès à court terme. Pour assurer le succès à long terme, il faut toutefois écrire des pièces assez fortes qui tiendront le test du temps. L’album en regorge. Alors, oui, la controverse, c’est bien beau, mais le travail doit aussi être bien fait. Les membres de N.W.A n’avaient certes probablement aucune idée de l’importance culturelle qu’allait avoir Straight Outta Compton mais, trente ans plus tard, il est évident de constater pourquoi l’album a changé le cours de l’histoire: sa férocité et son énergie sont irréprochables encore aujourd’hui.
Il faut d’emblée souligner le génie de Dr Dre: son apport à chaque chanson est innovateur. Malgré toute la rage que l’on retrouve dans les paroles d’Ice Cube et de MC Ren, le travail de Dre à la production amène une sophistication qui assure une écoute fascinante. Les différents échantillonnages sont recherchés et incroyablement actuels. À ce sujet, on retrouve même des bribes de pièces de Public Enemy parues seulement quelques mois auparavant. Le style est donc extrêmement novateur pour l’époque.
Quoi de mieux que de débuter un album avec trois pièces canons? La chanson titre ouvre le bal avec une brutalité sidérante. «Here’s a murder rap to keep y’all dancin / With a crime record like Charles Manson», lance Ice Cube juste avant de parler de son jouet préféré, le AK47. La pièce sera bannie par MTV. «Fuck tha Police» est tout aussi incendiaire que la pièce d’entrée, le groupe y relatant ses expériences et ses opinions sur la police de Los Angeles.
La chanson aura un tel effet que le FBI enverra une lettre à la compagnie de disque affirmant que le groupe encourage la violence envers les forces de l’ordre. «Gangsta Gangsta» est musicalement plus accessible, voire plus funky, et orienté davantage pour les planchers de danse.
«If It Ain’t Ruff» est la première pièce offerte par MC Ren uniquement. L’offrande est plus minimaliste et échantillonne Public Enemy encore une fois («Don’t Believe the Hype», qui venait d’être lancé à l’époque). Les choses reprennent sérieusement avec «Parental Discretion Iz Advised», où tout le monde s’échange le micro l’un après l’autre. Même Dr Dre est de la partie. La ligne de basse tient le tout ensemble, rendant la pièce cohérente d’un bout à l’autre.
«8 Ball» contient des beats plus imposants et contient plusieurs échantillonnages des Beastie Boys. Il s’agit en fait d’un remix d’une des premières chansons enregistrées par N.W.A. Comme la plupart des chansons sur l’album, on s’imagine parfaitement les rythmes sortir des radios de voitures ou des boombox dans la rue. La chanson suivante, «Something Like That», contient des passages où MC Ren et Dr Dre alignent les lignes simultanément, créant un effet amplifié fort réussi. «Stop and think before you put some whack bullshit out / It’s not difficult, in fact it’s kinda simple / To create something funky that’s original», déclare Dre, avec confiance et panache. Voilà une phrase qui décrira bien l’ensemble de sa carrière.
Le ton change drastiquement sur «Express Yourself», sans doute la chanson la plus commerciale du disque. Encore une fois, Dre est au sommet de sa forme, tant à la production qu’au micro. Non seulement l’ambiance est-elle plus légère musicalement, mais on ne retrouve aucun langage vulgaire à travers les paroles, fait rare pour le groupe. N’ayez crainte, le groupe revient à ses bonnes vieilles habitudes sur «Compton’s N the House». Encore une fois, la pièce est supportée par Ren et Dre, qui avaient visiblement une chimie impressionnante.
Les deux morceaux suivants appartiennent à Ice Cube. «I Ain’t Tha 1» est une attaque en règle contre ces femmes qui courent après les mecs qui ont de l’argent. Sauf qu’il ne les appelle pas des femmes, mais bien par un autre nom, qui commence par «B». «Dopeman» est le deuxième remix de l’album et frappe très fort, Cube étant au sommet de son art et Dr Dre l’alimentant de rythmes plus lourds.
Pour conclure, tout d’abord une pièce de MC Ren, «Quiet on Tha Set», qui échantillone James Brown, Big Daddy Kane et, bien sûr, Public Enemy. Il s’agit essentiellement d’un exercice de Ren, ce dernier alliant habilement les mots avec un flow impressionnant. Exercice réussi, finalement. Enfin, «Something 2 Dance 2» termine l’album sur une note étonnamment plus légère. La pièce contient une performance d’Arabian Prince, un des membres fondateurs du groupe ayant quitté peu avant la sortie de Straight Outta Compton.
L’album, malgré la censure qu’on lui impose un peu partout, aura un succès étonnant. Bien entendu, ses thèmes très durs et très urbains seront le reflet d’une réalité de bien des Afro-Américains à travers les États-Unis. Là où Public Enemy avait une vision peut-être plus globale des problématiques engendrées par le racisme systémique, N.W.A, eux, allaient tout droit dans la rue pour mettre en lumière la situation désolante. Il n’y a aucun gant blanc de porté ici ni rien de politically correct. Évidemment, il y a sans doute un peu d’exagération, mais il y a aussi des vérités crues.
Comme il est coutume avec ce genre de groupe controversé, la formation implosera rapidement, les querelles entre les membres ayant pris le dessus (surtout avec Eazy-E). Straight Outta Compton passera à l’histoire tout de même et sa légende perdurera. Au grand dam des censeurs et des âmes sensibles.