MusiqueLes albums sacrés
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Renaud Séchan n’est pas très à l’aise avec le succès et les accolades, tellement qu’il décide de faire un périple en mer avec sa famille en 1983 pour s’éloigner de la pression grandissante. Il n’est pas plus confortable avec l’argent qu’il empoche non plus, alors il décide d’en donner à des organismes ou même à ses propres musiciens. Il récolte de l’argent pour l’Éthiopie, mais en même temps il revient extrêmement déçu d’une tournée en URSS, où ses idées de gauche sont rudement mises à l’épreuve. Qui plus est, il part à Los Angeles enregistrer son prochain album alors que la relation avec sa femme bat sérieusement de l’aile.
Renaud écrit «La pêche à la ligne» justement à propos de cet «amour partie, partie pour toujours» et que la seule chose qu’il trouve à faire est d’emmener sa gamine «s’emmêler dans les branches, à la pêche à la ligne». L’image de Renaud seul dans sa chaloupe avec sa canne à pêche sur la pochette illustre parfaitement bien son état d’esprit sur la majorité des pièces de Mistral Gagnant. Plus loin, il dresse un sombre portrait de l’utilisation des enfants à des fins politiques sur «Morts les Enfants». Avec la troublante image du petit syrien Aylan Kurdi ayant fait le tour du monde la semaine dernière, cette chanson donne la chair de poule tellement elle est encore malheureusement trop d’actualité: «Bal à l’ambassade / Quelques vieux malades / Imbéciles et militaires / Se partagent l’univers».
L’esprit de Renaud est toujours aiguisé et prêt à lancer des pointes. Ainsi, il se permet d’écorcher Margaret Thatcher au passage sur le premier extrait «Miss Maggie», chanson qui se veut être un hommage à toutes les femmes, sauf à la dame de fer première ministre de la Grande-Bretagne: «Car aucune femme sur la planète / Ne sera jamais plus con que son frère / Ni plus fière, ni plus malhonnête / À part peut-être Madame Thatcher». La chanson sèmera évidemment la controverse. «P’tite Conne» a également un effet coup de poing, critiquant les gens tombant dans le piège de la culture autodestructive du rock ‘n’ roll, chantant des perles comme celle-ci: «P’tite conne tu rêvais de Byzance / Mais c’était la Pologne jusque dans tes silences». À la toute fin, Renaud surprend l’auditeur en faisant un brillant parallèle avec ses propres problèmes de consommation.
Puis vient l’immense chanson-titre, aussi grande que «Ne Me Quitte Pas» de Brel ou bien «Avec le Temps» de Ferré. Sa mélodie berçante est tout aussi intemporelle que son sujet, sa fille Lolita, et place tout de suite dans une familiarité et une nostalgie qui nous ramènent à la maison, soit l’enfance, terre natale de tout le monde. Renaud regarde sa fille donner des coups de pieds dans l’eau et retourne par le fait même à une époque où tout était synonyme de bonheur et de simplicité: celle où il dégustait des mistrals gagnants, friandise que vendait une confiserie tout près de chez lui. «Mistral Gagnant» est une ode à l’enfance, au temps qui passe et à l’éphémérité du bonheur, qu’il faut sans cesse tenter de saisir. C’est tout ça et bien plus encore.
Mistral Gagnant deviendra l’album le plus populaire de Renaud et sa pièce titre sera votée chanson préférée des Français en mai 2015. La vie de Renaud basculera encore une fois en 1986 avec la mort de Coluche, son meilleur ami et le parrain de sa fille, ce qui lui inspirera le très sombre Putain de Camion, paru en 1988. On retrouve sur Mistral Gagnant un Renaud à son plus vulnérable et sincère, mais toujours muni d’une plume aussi vive que l’éclair.