MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Anthony Barboza / Getty Images
Dès un jeune âge, Lauryn Hill est une sorte de surdouée. À peine au début de son adolescence, elle écrit de la poésie, chante dans une chorale gospel et joue également au basket-ball. Sans compter le fait qu’elle soit une habile comédienne pour son âge. Si vous avez grandi dans les années 1990, vous vous souvenez fort probablement d’elle dans le film Sister Act 2 avec Whoopi Goldberg. Un an plus tard paraît le premier album de son groupe, les Fugees, Blunted on Reality (1994). Ah oui, autre détail important: elle et Rohan Marley, fils d’un certain Bob, tombent amoureux en 1996 et ont un enfant ensemble. Bref, Hill semble prédestinée à de grandes choses.
Suite à une collaboration avec la légende vivante Aretha Franklin pour l’album A Rose Is Still A Rose en 1998, Lauryn Hill entre en studio pour enregistrer son premier album. Elle tombe encore une fois enceinte en plein enregistrement, ce qui aura une influence évidente dans les différents thèmes abordés à l’intérieur de l’album. Hill décide de nommer son œuvre The Miseducation Of Lauryn Hill, en lien avec un livre de Carter G. Woodson paru en 1933, The Mis-Education of the Negro, qui parle notamment du contrôle social exercé par les blancs sur les noirs aux États-Unis.
Après une introduction où l’on entend une cloche d’école sonnée et où l’on constate l’absence de Lauryn Hill lors d’une prise de présence par un professeur, «Lost Ones» semble être une attaque en règle contre à la fois un ex-amoureux et Wyclef Jean, avec qui l’artiste avait eu des difficultés lors de la séparation des Fugees. «It’s funny how money change a situation / Miscommunication lead to complication / My emancipation don’t fit your equation», lance-t-elle d’entrée de jeu. Le style musical est également très rafraîchissant, un curieux mélange de hip-hop, de reggae et de soul. «Ex-Factor» traite sensiblement des mêmes thèmes, avec une ambiance un peu plus sirupeuse cette fois.
L’album atteint un autre niveau avec les deux pièces suivantes. Tout d’abord, «To Zion» est une magnifique pièce qui se penche sur toute la beauté et aussi toute l’incertitude d’être une mère. À noter qu’à la guitare se trouve Carlos Santana. «Now the joy of my world is in Zion», s’écrie-t-elle dans un refrain débordant d’amour et de joie. Zion représente ici à la fois le nom de son enfant, mais aussi un endroit qu’elle peut finalement appeler sa maison. Le premier extrait «Doo Wop (That Thing)» suit immédiatement, et la chanson se retrouvera directement en première position des palmarès aux États-Unis. À noter que non seulement Hill écrit-elle ces pièces, mais elle est aussi aux commandes à la réalisation pour la plupart d’entre elles.
«Superstar» est une réflexion sur la célébrité inspirée de «Light My Fire» de The Doors (vous avez bien lu). «Final Hour» est musicalement fort intéressante, avec une ligne mélodique à la guitare répétée tout au long de la pièce. Autour d’elle, plusieurs touchent d’instruments de cuivre viennent ajouter une texture fascinante. Le débit d’Hill est parfait, démontrant qu’elle était en pleine possession de ses moyens. «When It Hurts So Bad» est à la fois déchirante et optimiste, Hill multipliant les allusions à un amour non réciproque: «Found out the man I’d die for / He wasn’t even concerned». À la fin de la pièce, Hill semble trouver une paix intérieure malgré tout.
Mary J. Blige fait une apparition sur «I Used to Love Him», démontrant que plusieurs artistes établis étaient désireux de travailler avec Lauryn Hill. «Forgive Them Father» est une réécriture de «Concret Jungle» de Bob Marley. D’ailleurs, l’influence reggae est omniprésente tout au long de l’album, non seulement au niveau musical, mais aussi au niveau spirituel. «Every Ghetto, Every City» nous plonge en pleine influence funk, dans ce qui veut être un hommage à sa ville natale, South Orange au New Jersey.
D’Angelo (pré-Voodoo) vient compléter la belle brochette d’invités sur «Nothing Even Matters», chanson d’amour sensuelle où le chanteur y apporte sa touche toute spéciale. Autre succès, «Everything Is Everything» voit Hill plus engagée, la pièce semblant traiter de la ghettoïsation des noirs américains et du fait que les dés sont, bien souvent, déjà joués pour eux: «It seems we lose the game / Before we even start to play». Il s’agit d’une chanson pop drôlement efficace. Pour clore l’album, la pièce titre vient un peu reprendre la thématique principale de l’œuvre, soit l’épanouissement de soi. Musicalement, le piano et les cordes ajoutent une charge émotive qui met un point final à la quête d’indépendance de Lauryn Hill: «But deep in my heart / The answer it was in me / And I made up my mind to find my own destiny».
Hill ne donnera jamais suite à The Miseducation Of Lauryn Hill, préférant se consacrer à sa vie familiale (elle a six enfants) au détriment de poursuivre une carrière musicale, qui aurait été sans doute couronnée de succès. Elle a fait quelques présences ici et là, mais jamais rien de majeur, ayant visiblement de la difficulté à vivre avec la pression des projecteurs. Il faudra donc toujours revenir à ce premier album unique dans l’histoire de la pop américaine, qui aura notamment vendu plus de huit millions d’albums et récolté cinq Grammys, dont le prestigieux album de l’année en 1999. Pas mal mieux qu’une bonne évaluation à l’école.