MusiqueDans la peau de
Crédit photo : Alexandre Turgeon Dalpé
Zéa, Ma-Au, vous êtes les deux co-fondatrices du groupe montréalais La Fièvre. Sur votre page Facebook, vous vous décrivez comme un duo «qui promet des frissons, des chaleurs et quelques rêves délirants». Êtes-vous en train de comparer votre musique à notre pire cauchemar, là?
«Peut-être parce que les dernières émotions fortes que tu as vécues étaient le résultat d’un cauchemar, tu ne te souviens plus d’avoir eu des frissons d’excitations, des chaleurs de désir, et ces rêves extraordinaires pendant lesquels tu as vécu toutes sortes d’aventures rocambolesques. Pour nous, la fièvre représente aussi une forme de libération de la réalité objective et une expérience singulière. Évidemment, en ce moment, nous n’associons pas la fièvre à des idées positives. Mais vous souvenez-vous du temps où on disait la fièvre du samedi soir, la fièvre amoureuse, la fièvre électorale ou la fièvre du printemps? La fièvre, c’est aussi une effervescence, une exaltation.»
«Cela dit, l’idée du cauchemar ne nous dérange pas non plus: «Aie peur des sœurs, si nous sommes ton cauchemar. Nous ne serons plus silencieuses. Vous avez du pouvoir, mais nous sommes plus nombreuses».
De la dark-art-pop… voilà comment vous qualifiez votre signature auditive! Qu’est-ce qui vous a poussé à vous inscrire dans ce registre musical, et par hasard, avez-vous consommé beaucoup de Sexy Sushi avant de vous coucher le soir?
«Nous ne connaissons pas ces Sexy Sushi, mais tu n’es pas la première personne à nous en parler. Il faudra s’y mettre. Dans la catégorie des inspirations, Grimes serait sans doute en haut de notre liste.»
«Le dark, il vient des thématiques parfois sombres qu’on trouve autant dans nos textes et dans notre musique, mais il n’y a pas de thématiques pop à proprement parler. Pas d’amour ni de joie ni de plaisir gratuit. Ce qui fait sourire ou danser quand on écoute La Fièvre, c’est plutôt un sentiment «d’empuissancement», le réconfort d’une communauté, le fantasme de renverser un pouvoir dominant, ou peut-être même l’idée d’une vengeance. Ça pourrait aussi être seulement pour décrire les synthétiseurs… dark.»
«Le art, il souligne notre désir de créer un monde à la fois musical, visuel et performatif. Il vient du côté un peu plus expérimental de La Fièvre.»
«Et le pop, il est là parce qu’on veut faire danser. D’abord et avant tout. Les deux autres termes sont là pour nous aligner sur le genre de pop à laquelle s’attendre. Car au final, c’est de la pop.»
Avant que l’apocalypse nous frappe tous de plein fouet à la mi-mars au Québec, vous deviez participer aux Francouvertes aux côtés de Jeremy Lachance et de Désarroi, en plus de lancer votre album à l’occasion de Vue sur la relève, qui devait se tenir du 5 au 16 mai. Comment avez-vous digéré le fait que… rien ne va plus?
«Au moment où l’on nous a annoncé l’annulation de notre spectacle aux Francouvertes, nous l’avons vécu comme un soulagement. Les spectacles de plus de 250 personnes avaient été interdits quelques jours avant et nous étions inconfortables à l’idée d’inviter des gens à un rassemblement. Avec le nombre de références à la fièvre et à la contagion dans nos chansons, nous avions envie de faire profil bas pendant un moment. Pour le lancement de l’album, c’est vraiment dommage, mais nous utilisons ce temps pour créer de nouvelles pièces et réfléchir aux options pour notre lancement. Au final, nous sommes vraiment privilégiées d’avoir le support des Francouvertes et de Vue sur la relève en cette période d’incertitude.»
Malgré le drôle de contexte qu’on traverse en ce moment, vous avez décidé de lancer votre single « Faudra faire mieux » le 18 avril. Comment, en tant que band émergent, on survit à la crise mondiale qu’a provoqué le coronavirus? Car si j’ai bien compris… votre style ne se prête pas trop à un Facebook Live en direct de votre salon?
«On va se dire quelque chose en partant… Personne ne survit avec des Facebook Live. Au mieux, tu réussis à t’en sortir sans nuire à ton projet. En plus, pour être honnête, La Fièvre ne générait déjà pas beaucoup de revenus. Heureusement, nous avions amassé l’essentiel de l’argent nécessaire pour la production de l’album avant la crise. La Fièvre avance à la «vitesse croisière» depuis plusieurs années. On a toujours été plutôt du côté de la survie que du confort. Ça sera peut-être plus difficile, mais on a l’habitude de la résilience.»
On s’entend que le contexte actuel ne s’y prête pas trop, mais mettons que la distanciation sociale, c’est histoire du passé, et qu’on peut enfin se rendre à nouveau dans une salle de spectacle. Bon, j’ai oublié de mentionner que vous avez obtenu la plus grosse subvention du monde pour préparer « the show ». Décrivez-nous l’expérience que vous offririez à vos fans.
«Ça serait juste tellement extraordinaire pour nous de pouvoir ajouter une technicienne de son et une technicienne lumière à notre équipe. Des personnes qui connaissent notre spectacle, qui en font partie. Ma-Au n’aurait plus à gérer la machine à fumée. On pourrait même avoir plus de fumée! Sinon, Zéa a le fantasme de faire un concert dans la boue. Peu importe le contexte, on se donne à 100%, ça serait chouette d’avoir le nécessaire pour que le public sente qu’il peut se jeter dans l’aventure avec nous.»