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Crédit photo : Columbia
Maître dans la mise en scène de sa carrière, Bowie s’est toujours positionné à l’avant-garde de l’industrie musicale. Avec Blackstar, le Londonien d’origine a, cette fois, joué un tout autre tour, lui qui est passé par le mime et le Septième art en se mettant en scène jusqu’à son dernier souffle. Décédé paisiblement dans la nuit du 10 janvier 2016, David Bowie nous a quittés pour rejoindre les étoiles, laissant derrière lui un héritage musical impressionnant. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre aux quatre coins du monde. Instinctivement, l’ensemble de la toile a croulé sous les messages de sympathie, d’admiration et de reconnaissance à l’égard de l’icône de la pop, considéré comme un artiste majeur et incontournable de l’histoire de la musique.
Une mort annoncée par l’artiste lui-même, les premiers mots de «Lazarus», troisième titre de l’album, résonnent aujourd’hui comme un message d’adieu. «Look up here, I’m in heaven», entonne un Bowie se sachant sur le bord du précipice d’une vie palpitante, lui qui vécu les heures de gloire du rock britannique jusqu’à créer un véritable mythe pop en s’appropriant la musique de son temps. Déjà légendaire, David Bowie a continué jusque dans ses derniers trépas à alimenter la légende, «Lazarus» apparaît véritablement comme le message d’adieu de l’artiste à la communauté rock. Lazare serait donc son dernier avatar, après Ziggy Stardust ou Starman, et le vidéoclip se révèle d’ores et déjà comme la pierre angulaire d’une mort annoncée. On y voit Bowie dans une apesanteur déconcertante, au-dessus d’un lit d’hôpital, délivrant ses paroles libératrices et illusoires, lui qui se battait depuis dix-huit mois contre le cancer.
Bowie est éternel et il ne s’est pas contenté de nous adresser un simple message d’adieu, l’ensemble de cette ultime oeuvre révèle la grandeur du musicien, son avant-gardisme à tout égard et sa capacité à se renouveler inlassablement à contre-courant des genres. Blackstar surgit là où on n’attendait plus Bowie, expérimental et lugubre l’album qui nous hypnotise dès les premières notes du titre éponyme, lequel est arrangé dans un assemblage de près de dix minutes semblable à Station to Station (1976). On commence dans le flottement, voire dans un étirement, où le saxophone de Donny McCaslin pose les jalons d’un album tinté de free jazz, avant que la voix de Bowie vienne nous chatouiller. «’Tis a Pity She Was a Whore» vient évoquer les collaborations avec Brian Eno, l’album-concept et difficile d’accès Outside (1995), notamment, comme «Sue (Or in a Season of Crime)» où règne un étrange malaise.
Avec «Girl Loves Me», on retrouve l’immuabilité de «Lazarus», l’éternel Bowie stabilise son oeuvre finale. On se retrouve dans une latence atmosphérique, pressante et entraînante, on a du mal à croire que ce patriarche du rock surprenne à ce point. Sur la corde raide, l’artiste ravive les souvenirs de Low (janvier 1977) où, grâce à la contribution de Brian Eno (ex-Roxy Music), David Bowie entamait sa trilogie berlinoise qui le verra expérimenter de nouveaux horizons musicaux par des compositions plus aériennes aux inspirations minimalistes et empiriques, après son passage par le soul et le funk. Les deux dernières pièces de Blackstar se révèlent plus pop, on y sent le soulagement de l’artiste à la recherche de l’apaisement. «Dollar Days» nous rappelle étrangement «Space Oddity» (1976), on renoue avec le grand Bowie, celui qui s’est attiré les foudres du grand public, grâce à une ballade pop entraînante portée par sa chaleureuse voix et les élans solistes du saxophoniste Donny McCaslin.
Bowie est mort, vive Bowie.
Blackstar n’est probablement pas le chef-d’oeuvre du Britannique, mais sa qualité audible dès la première écoute révèle un artiste qui, bien qu’au crépuscule de sa vie, savait encore comment raviver la flamme et plus encore chambouler les codes. Le génie de Bowie nous aura surpris une dernière fois avec un album chronologiquement inversé, allant de l’inconfort des premiers morceaux à la douceur mélodieuse d’un final à son image. Aujourd’hui on pleure l’artiste, on regrette déjà l’homme, mais on se console avec cette dernière offrande et l’ensemble de son oeuvre. «David Bowie I Love You (Since I Was Six)», déclarait Anton Newcombe de Brian Jonestown Massacre dans le titre d’un morceau issu de Take It From The Man (1996), cette phrase résonne aujourd’hui dans ma tête tout comme les albums du Roi David.
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de la rédaction