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Il s’est écoulé dix ans depuis la parution du dernier album de Godspeed You! Black Emperor, groupe mythique, voire culte de Montréal. En 2012, les membres du mégagroupe sortent un peu de nulle part et nous livrent un quatrième effort, Allelujah! Don’t Bend! Ascend!. Maintenant composé de neuf musiciens, GY!BE reprent essentiellement là où il l’avait laissé il y a plus d’une décennie.
Il est assez étonnant de constater que la dernière fois que le groupe avait lancé un album, Arcade Fire et tous ces innombrables groupes de Montréal n’étaient même pas sur la mappe. À l’époque, Godspeed était considéré, à juste titre, comme étant l’un des pionniers du post-rock, sur le même piédestal que le groupe écossais Mogwai. Leur très grande tendance à demeurer dans l’ombre et l’aspect très noir de leur musique ont grandement contribué à faire d’eux des espèces d’extra-terrestres du monde de la musique indépendante. Et il est facile de constater que rien n’a changé aujourd’hui: on nous offre toujours des chansons longues, immenses, instrumentales et foutrement sérieuses. Personne n’écoute GY!BE avec un sourire au visage.
Comme se veut la tradition pour un album de Godspeed, le tout débute avec une longue introduction parsemée de quelques phrases enregistrées passées en boucle. Au niveau de l’impact, on est loin de l’étrangeté inquiétante de «The Dead Flag Blues» sur leur premier album. Après environ cinq minutes, la pièce, «Mladic», se met en branle et on tombe officiellement sous l’emprise du groupe: les guitares tonnent, l’ambiance devient plus agressive et le rythme s’accélère. Tout ça se déroule sur de nombreuses minutes. Plus tard dans la même chanson, la mélodie se transforme en passage très moyen-oriental, contribuant à rendre l’effet encore plus percutant. Sans aucun doute la meilleure pièce du disque, «Mladic» représente Godspeed You! Black Emperor à son meilleur: d’une grandeur tellement imposante qu’on peut trouver tout ça gênant, mais dont le résultat laisse bouche-bée.
Allelujah! Don’t Bend! Ascend! comporte quatre chansons formant deux parties égales: la première et la troisième chanson font exactement vingt minutes et chacune d’elle est suivie par une pièce ambiante d’environ six minutes. Bien que l’album forme un tout très cohérent, ce qui capte l’intérêt sont les deux chansons plus musclées. Les intermèdes permettent probablement à l’auditeur de reprendre ses esprits et de plonger dans l’univers lugubre du groupe. La deuxième chanson longue, «We Drift Like Worried Fire», n’est pas aussi bruyante que «Mladic», le rythme étant plus lent et la mélodie un peu plus rêveuse (notamment avec le superbe arrangement de cordes). Par contre, le climat dans lequel on se retrouve est toujours incroyablement épique, le groupe maîtrisant admirablement les montées d’intensité et les effets crescendos. La dernière piste, «Strung Like Lights At Thee Printemps Erable» (référence politique québécoise oblige – tout comme la mention «Fuck le Plan Nord» et «Fuck la loi 78» à l’intérieur de la pochette), permet un peu de redescendre après tant d’émotions musicales colossales vécues dans les cinquante minutes précédentes.
Dans une récente entrevue, une journaliste du quotidien britannique The Guardian demandait au groupe si les amateurs de musique avaient tendance à prendre GY!BE trop au sérieux, ce à quoi les membres ont simplement répondu: «Probablement». C’est comme si tout ce qui entourait l’œuvre de Godspeed devait nécessairement être couvert d’éloges et des plus grandes hyperboles afin de définir le son du groupe. Alors, sans trop tomber dans l’exagération, disons tout simplement que Allelujah! Don’t Bend! Ascend! possède indubitablement de quoi impressionner ceux qui aiment se laisser impressionner. Et, sans être leur plus grande réalisation, l’attente de dix ans en aura valu la chandelle et leur retour tombe merveilleusement à point.
Appréciation: ****
Crédit photo: Constellation Records
Écrit par: Mathieu St-Hilaire