«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Vacuum» de Groovy Aardvark – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Vacuum» de Groovy Aardvark

«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Vacuum» de Groovy Aardvark

Musique alternative et abrasive

Publié le 30 juin 2016 par Isabelle Lareau

Crédit photo : Disques MPV

Pour plusieurs jeunes Québécois, le groupe de Longueuil Groovy Aardvark a eu l’effet d’un véritable électrochoc; nous avions enfin un groupe dont la musique, franchement décapante, nous parlait et dont les paroles résonnaient avec notre réalité.

Si vous étiez comme moi à l’époque (ou même encore aujourd’hui), vous trouvez la musique diffusée sur les ondes radiophoniques plutôt ennuyeuse et vous n’affectionnez pas trop la pop, préférant ce qui est plus pesant. Il y avait une kyrielle d’excellents groupes britanniques et américains pour combler ce désir… Mais il y avait également des formations québécoises hallucinantes telles que Groovy Aardvark.

Bible urbaine s’est entretenu avec Vincent Peake, le chanteur et bassiste de Groovy Aardvark, afin de revisiter Vacuum (1996), le deuxième album studio de la formation. J’ai eu la chance de lui demander dans quel état d’esprit cet opus fut réalisé, quelles étaient leurs ambitions, et quelles étaient les influences du groupe.

Selon Vincent, le groupe se voulait plutôt réaliste lorsqu’il est entré en studio: «Quand on a sorti le premier album, Eater’s Digest en 1994, on s’attendait à ce qu’il fasse beaucoup mieux. Le premier était décevant au niveau des ventes pour nous, parce que ça faisait sept ans que l’on était ensemble déjà et on avait accumulé plein de tounes. C’est un peu comme notre Best Of de sept années de travail. On était positionné, aussi, à l’époque, pour être le buzz band dans le rock alternatif avec GrimSkunk. On en a vendu peut-être 6000, 7000… On était déçu; on s’attendait, avec la popularité que l’on avait à l’époque, d’en vendre pas mal plus que ça! Faque rendu à Vacuum, on ne se faisait plus d’idée. (…) On dirait que l’on s’est rattrapé au deuxième album, ce que Eater’s n’a pas fait, Vacuum l’a fait.» En effet, car cet album s’est écoulé à plus de 27 000 copies à ce jour.

Il explique ce succès, en partie, grâce au soutien de MusiquePlus, mais aussi à cause de l’impact de trois chansons importantes: «Dérangeant», «Boisson d’avril» et «Le p’tit bonheur». Il croit également que les groupes comme Green Day et The Offspring, très populaires dans les années 90, ont permis au «pendant québécois du punk alternatif», dont Groovy et GrimSkunk faisaient partie, de profiter de cette «mouvance-là».

«Ce qui a changé la donne, c’est quand Martin (Dupuis) a eu l’idée de faire une toune traditionnelle, pis avoir l‘idée d’amener La Bottine Souriante là-dedans. Moi je trouvais que ça ne cadrait pas pantoute. (…) Je lui ai dit: man, est mieux d’être bonne parce que je suis plus ou moins d’accord.» Il a bien fait d’insister, puisque «Boisson d’avril» est devenu un grand classique!

En ce qui a trait à la reprise de Félix Leclerc («Le p’tit bonheur»), Vincent est catégorique: la voix de Marc Vaillancourt (B.A.R.F.) était essentielle à cette chanson. Le bassiste ne voulait pas la chanter, craignant que cela gâche l’effet et que cela sonne «trop variété». Il préférait que la chanson conserve son aspect écorché.

Par ailleurs, le charme de «Dérangeant» est singulier; bien que ce titre fût, sans l’ombre d’un doute, écrite pour exorciser une tension causée par quelqu’un de toxique, le rythme et le ton sur lequel les paroles sont chantées font sourire. On ne peut s’empêcher de se réjouir de l’aspect cathartique, et ludique, de cet extrait.

Cependant, je crois que la popularité de cet album s’explique aussi par le son unique de Groovy Aardvark, qui est particulièrement riche. À mon avis, la musique du quatuor se distingue du punk américain en raison de la complexité de ses compositions qui sont mélodiques et brutales à la fois, étoffées et tellement entraînantes. Musiciens talentueux, ils ont largement dépassé, sur le plan technique, les fameux «trois accords» du punk traditionnel. Et pourtant, il y a bel et bien un esprit punk à la musique de Groovy, ce qui a rejoint bien de jeunes mélomanes.

Le succès de Vacuum, amplement mérité, s’explique aussi, selon moi, par le fait que cet album tombait au bon moment. Plusieurs raisons expliquent pourquoi les années 90 furent aussi marquantes sur le plan culturel (contexte sociopolitique, récession, ras-le-bol généralisé…); une formation telle que Groovy Aardvark correspondait parfaitement aux besoins de la génération X, qui était à la recherche d’un son différent, plus agressif et authentique.

Le bassiste semble partager ce point de vue: «J’ai grandi dans les années 80, et la musique pop au Québec ne me rejoignait pas du tout. Entre Offenbach et Les Colocs, il y a cinq ans où il ne se passe pas grand-chose. (…) Le rock qui bûche, ça n’existait à peu près pas. C’était normal que les années 90 arrivent avec une réponse plus underground, il y avait ce trou-là à combler pour une génération de jeunes comme moi qui aiment leur musique plus hard, d’avoir une réponse québécoise à ça. On était là au bon moment.» Remplissant les Foufounes Électriques dès 1991, le groupe voyait l’ampleur que prenait ce soulèvement underground, mouvement dont il faisait partie.

Le but derrière Vacuum était donc de revenir à des chansons plus simples, un son qui soit à la fois plus cru, épuré et moins prog. De plus, Groovy Aardvark cherchait une sonorité qui soit proche de leur son live. L’objectif était de faires des «bonnes tounes, plus courtes et qui sont punchées».

J’ai voulu savoir quelles étaient les influences de Groovy, quels groupes ont servi de modèles. La réponse de Vincent: Genesis, Yes, Mahavishnu Orchestra, Frank Zappa («pour son côté subversif»), Rush, NDC, Black Flag, D.R.I. et No Means No. En fait, le chanteur dit qu’il souhaitait avoir un son similaire à celui de No Means No. Mais surtout, il voulait incorporer le joual à ses paroles, et ce, dès leurs débuts, avec l’extrait «Y’a Tu Kelkun». Pour y parvenir, il puisa son inspiration auprès de Robert Charlebois et de L’Osstidcho.

Parmi les plus beaux souvenirs rattachés à cet album, Vincent est très fier et heureux d’avoir travaillé avec Michel Bordeleau et Yves Lambert de La Bottine Souriante («des géants de la trad»), mais, aussi, il se remémore avec bonheur cette époque: «C’était une belle période dans la vie de Groovy, c’était une belle période créative et on s’entendait vraiment bien. (…) De voir les gars écrire de la musique à la guitare, dans un champ, aux rayons de soleil, c’est full hippie, mais c’était vraiment beau.»

Je suis convaincue que les mélomanes ont, eux aussi, plusieurs beaux souvenirs reliés à Vacuum, un disque (ou une cassette) qu’ils écoutent encore en hochant de la tête.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 14 juillet 2016.

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