MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Indica Records
Amis depuis l’adolescence, Franz Schuller (chanteur et guitariste), Peter Edwards (guitariste) et Joe Evil (chanteur et claviériste) avaient formé un premier groupe, Fatal Illness, avant de créer GrimSkunk. Alain Vadeboncoeur (batteur) et Marc-Boris St-Maurice (bassiste) se joignirent à eux, marquant ainsi leurs débuts, à une époque qui fût fertile pour la musique alternative au Québec. Enfin, de la musique punk ingénieuse! De plus, en tant que mélomane qui aime bien assister à des concerts, c’était pas mal chouette de les voir jouer dans sa ville natale!
Vingt ans plus tard, lorsque l’on réécoute Meltdown, on remarque que le disque est très diversifié et toujours aussi pertinent. J’ai demandé à Franz si la formation savait ce qu’elle souhaitait accomplir lorsqu’est venu le temps d’enregistrer l’album, et sa réponse fut surprenante et très honnête: «On avait une idée assez basic de ce qu’on voulait faire; les tounes étaient là. Mais il y avait des bouts qui n’étaient pas clairs. Les paroles… Moi pis Joe, on finissait les paroles sur des napkins sur le bord de la table avant d’aller les chanter. Ce n’était pas si préparé que ça, franchement! Nous avons été très spontanés sur beaucoup de créations.»
Le groupe savait, cependant, qu’il voulait que leur offrande sonne «live». Certains artistes et amis de la formation les avaient impressionnés, dont Rage Against the Machine, Spicy Box et Mano Negra. Il admet Lofofora, avec leur manière de chanter du heavy en français. La rythmique leur avait ouvert les yeux sur ce qu’il est possible de faire. Toutefois, l’influence majeure de cet album fut la tournée qui a précédé Meltdown, plus spécialement leur vécu et les diverses rencontres effectuées.
Le chanteur et guitariste garde plusieurs souvenirs mémorables de l’enregistrement, mais aussi des gens qui y ont participé: «Nous avons eu des amis qui ont chanté sur l’album, la délégation gréco-mexicaine (Uncle Costa de Vulgar Deli et Shantal Arroyo d’Overbass) est descendue pour chanter avec nous (sur «P.C.P.»). Je pense qu’ils avaient apporté deux ou trois bouteilles de Canadian Club. Costa était complètement saoul et il a chanté son bout semi tout croche, mais c’était quand même bien!»
Glen Robinson, le réalisateur, avait trouvé un studio privé dans une maison cossue du Vermont, et les musiciens y ont séjourné afin de se concentrer sur l’enregistrement, qui a duré onze jours, y consacrant jusqu’à douze heures par jour. Ils ont travaillé fort, mais ils sont beaucoup amusés également; l’accès à la piscine, à la maison d’invités, les jeux vidéo, le lit autobronzant, le BBQ et l’alcool ont favorisé une atmosphère «rocambolesque».
Selon moi, le quintette s’est démarqué pour deux raisons: l’attitude punk des gars, mais aussi grâce à leurs sonorités riches et pesantes. Et leurs convictions sont demeurées intactes! Le band, qui prône le do it yourself, est un véritable modèle à suivre, puisqu’il a lui-même financé ses albums, organisé ses tournées et créé sa propre étiquette, Indica Records. Leur ambition était, sachant que leur musique était atypique, d’atteindre un niveau de «réussite alternative. On savait que l’on n’allait jamais passer à la radio commerciale», mais aussi d’avoir un «fan base indie, rock, cool… un peu partout sur la planète, plutôt que d’être des vedettes quelque part».
Pour les admirateurs, leur musique complexe est hétéroclite, certes, mais elle ne tombe jamais dans la complaisance. Et c’est cet amalgame de punk, de ska, de reggae, de progressif, de psychédélique, de métal et de hardcore qui prodigue une multitude de textures à leur son. La mélodie est solide et rythmée; impossible de ne pas ressentir l’intensité qui se dégage de leurs chansons lorsque l’on écoute GrimSkunk.
Je crois aussi que le jeu de clavier de Joe Evil y est pour quelque chose, et j’étais d’ailleurs curieuse de demander l’avis de son acolyte, qui abonde dans le même sens: «Il y a beaucoup de choses qui définissent le son de GrimSkunk, mais il n’y a rien qui définit le son de GrimSkunk plus que le son d’orgue et de clavier de Joe Evil. Tu ne peux pas le définir plus que ça.» Il explique que Joe puise ses influences dans le rock acide, le psychédélique et le progressif des années 70 (à la Deep Purple), et le fait d’incorporer tout cela dans une musique punk et hardcore était une nouveauté à cette époque, quelque chose qui, par ailleurs, n’a pas été reproduit depuis. «Ce fut une arme à double tranchant pour nous: d’une part, cela crée un son unique et original, nous étions complètement distincts. Mais, en même temps, on ne fittait pas dans aucune case; les gens ne savaient pas quoi faire avec le band.»
De plus, Joe Evil n’est pas seulement qu’un musicien, il est aussi un personnage: «Ce n’était pas seulement le style ou le son de Joe, c’était comment il jouait du clavier, comment il chantait et comment il était sur le stage. C’était un tout. Tu as un chanteur-claviériste qui chantait comme Henry Rollins et qui jouait comme un dément-punk-défoncé-malade-mental…».
Quel est l’héritage de Meltdown à ses yeux? «Une affirmation absolue et totale d’un band très indépendant, très marginal, DIY, qui s’assume à fond (…) Un groupe qui a tout fait par lui-même à une époque où cela ne se faisait pas. Et qui était au même niveau que les artistes pop (…) et qui pouvait remplir le Spectrum.» Il est très fier de ce succès, d’avoir encouragé des groupes à poursuivre dans la même voie et de la création d’Indica Records. Il est heureux de s’être rapproché des fans de musique alternative francophone grâce à des chansons comme «La Vache» et «Le Gouvernement Songe».
Cette période exceptionnelle fut, tristement, marquée par une tragédie: leur manager, Simon Galipeault, meurt (1997), frappé par une voiture, alors qu’il faisait du skateboard. Il existe un documentaire sur GrimSkunk paru en 1998, disponible également sur YouTube.