«12 belles dans la peau»: chansons de Gainsbourg» de Stefie Shock – Bible urbaine

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«12 belles dans la peau»: chansons de Gainsbourg» de Stefie Shock

«12 belles dans la peau»: chansons de Gainsbourg» de Stefie Shock

Joujou à la casse

Publié le 22 mars 2016 par Elise Lagacé

Crédit photo : Coyote Records / Simone Records et LePetitRusse

Il aura fallu pas de mal de pression et plusieurs tapes dans le dos pour que Stefie Shock accepte de pondre un album en hommage à l’une de ses idoles, le grand Gainsbourg. C’est pour le 25e anniversaire de sa mort que cet opus en duo nous a été offert. Si l’exercice n’est pas sans valeur, le résultat se révèle inégal, mais heureusement ponctué de quelques belles surprises qui nous prémunissent d’une amère déception.

D’entrée de jeu, l’album s’étouffe sur l’impression de malaise et d’hésitation qui se dégage des duos de Klô Pelgag et Gaëlle dont on peine d’ailleurs à distinguer les voix dans le déluge des arrangements qui les écrase. C’est ensuite Fanny Bloom qui récupère la patate chaude avec l’un des amalgames les plus réussis de l’album, «L’anamour». Son aisance, la texture sensuelle de sa voix et son habileté à rendre des textes à la rythmique complexe parviennent à créer une ambiance particulière et riche. À ses côtés, Shock se fait discret; Bloom lévite alors que lui semble s’incliner.

On poursuit sur cette excellente lancée avec Laurence Nerbonne qui reprend l’hymne de Françoise Hardy, «Comment te dire adieu», dans une version joyeusement réactualisée par Stefie Shock, mais qui ne s’éloigne pas trop de l’original ni dans l’interprétation ni dans les synthés. Puis vient «L’hôtel particulier» avec Pascale Bussières, qui parvient à joindre son parler caractéristique dans cette pièce phare de l’album culte: Histoire de Melody Nelson.

Et on nous propose ensuite un soft «Ford Mustang» par Suzie McLelove des Breastfeeders, qui ne nous enchante ni ne nous déplaît. Puis c’est au tour de «Je suis venu te dire que je m’en vais» où l’exquise Anne Dorval, qui a hésité longtemps avant de se joindre au projet, peine à surfer sur ses consonnes dentales. Malgré cela, la justesse de l’émotion qu’elle transporte est sublime à nous donner des frissons. Même un Stefie hésitant qui vient s’en mêler ne parvient pas à rompre le charme. De cette interprétation de l’hymne à la rupture, on sort convaincu de deux choses l’une: s’il l’avait entendue de son vivant, Gainsbourg aurait offert un album complet à Mme Dorval et de deux, on s’incline pour reconnaitre qu’il s’agit de l’une de nos plus grandes actrices, même étranglée par un coach de diction.

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La dernière ligne droite de l’album nous donne ensuite la plus belle réussite de Stefie Shock avec «Overseas Telegram», l’un des textes les plus déchirants de Gainsbourg que Shock allège en l’enjolivant d’accents électro-reggae. Ici c’est Marième qui se donne en adhérant fluidement et intelligemment à la proposition du musicien. Une belle collaboration sur un fond de complicité, ce qui, en fin de compte,  fait le plus cruellement défaut à cet album. Pareillement pour l’extraordinaire «Baby Alone in Babylone» de Stéphanie Lapointe, où Shock a pris l’excellente décision de rester à l’arrière-plan en lui laissant les coudées franches, ce qui résulte en une interprétation magique, dépouillée de tous les artifices dont on constate qu’ils sont superflus lorsque l’on se mesure à Gainsbourg.

Choisir de réinterpréter l’œuvre de Gainsbourg est une envie parfaitement légitime et compréhensible pour un artiste qui a de la bouteille comme Stefie Shock. C’est cependant s’en prendre à un maître des mots et du rythme. L’un des artistes les plus controversés de son époque dont l’apparente superficialité de la musique ne dupait personne qui s’y attardait plus d’un moment. Stefie Shock a osé se lancer et l’on admire son courage. Est-ce donc l’insécurité, des échéanciers trop serrés, des collaborations obligées qui on fait dégénérer l’album vers l’ensemble inégal qui en résulte? Est-ce la formule duo? L’envie de faire crouler son œuvre sous les artifices? Stefie avait-il si peur d’aller seul au combat qu’il lui fallait s’entourer d’interprètes et d’autant de flafla et de joujou?

Car de tous ces artifices, Jane Birkin nous a bien prouvé que Gainsbourg n’en avait pas besoin,  lors de son spectacle dans le cadre du FIL en septembre dernier. Quelque part dans le processus de Stefie Shock, l’aura de Serge s’atténue. Il nous reste un exercice de style intéressant autour d’un monstre à la démarche marquée par l’authenticité et la profondeur. Une œuvre incarnée qui est ici désarticulée.
Au final, on aurait souhaité quelqu’un d’autre à la réalisation, avec plus de recul peut-être. Stefie Shock semble écartelé entre Gainsbourg, le micro, ses machines, ses femmes et ses instruments. Malgré tout cet entourage, on le sent seul. Il rejoint peut-être ici Gainsbourg et la profondeur d’une solitude frontalement endossée.

«La solitude est mon état naturel. Je m’y complais.[…] La seule compagnie qui me soit agréable, c’est celle des filles; il n’y a qu’avec elles que je me sente a l’aise.» – Serge Gainsbourg

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