LittératurePoésie et essais
Crédit photo : Atelier 10
C’est après avoir invité des amis comédiens, dont James Hyndman et Julie Le Breton, puis le concepteur sonore Julien Éclancher à prendre possession des écrits de son mur et à en faire les leurs, à leur façon dans leur univers respectif, qu’Evelyne de la Chenelière a ouvert une fois de plus la fenêtre de son mur à un créateur tout à fait extérieur à son projet: Justin Laramée. Si le chantier de création de la dramaturge n’était en aucun cas destiné à devenir un objet théâtral en soit, pourquoi ne pas laisser un autre auteur voir si après tout, il n’y aurait pas matière à publier?
Le concept est unique et original: un auteur qui n’écrit pas; un auteur comme un chef d’orchestre, qui dirige les idées plutôt qu’il ne les conçoit. C’est que Nous reprendrons tout ça demain reprend exactement, mot pour mot, les écritures d’Evelyne de la Chenelière, mais que celles-ci ont été triées, sélectionnées et assemblées par Laramée. Finalement, il s’agit d’une pièce dont le concept, la trame narrative, le fil conducteur et même, jusqu’à un certain point, les personnages ont été imaginés par lui, mais dont tous les mots proviennent d’elle, même si elle-même ne les avait pas organisés de façon théâtrale.
En lisant ce montage devenu une pièce de théâtre, on est ravis de retrouver la plume de son auteure et le fait que quelqu’un ait su trouver une façon de conserver une trace de ces écrits qui, lorsque sa résidence d’artiste se terminera, seront sans doute décollés, détachés et recouverts. Plusieurs réflexions d’une grande intelligence meublent ces murs, et il fait plaisir de constater que la conscience du monde de l’auteure pourra rejoindre un public plus large.
Si on a soi-même parcouru le mur d’Evelyne de la Chenelière, il est aisé de reconnaître que l’assemblage d’idées est parfois fort réussi. On a droit à la réunification de plusieurs extraits d’idées différentes qui, extirpées de leur contexte original imaginé par la dramaturge et réorganisés et unis par le créateur, fonctionnent et trouvent un sens nouveau. On apprécie aussi le clin d’œil qui veut que chaque scène se déroule devant un mur, qu’il soit d’école, de chambre, d’hôpital ou un mur-tableau. Mais la vérité, c’est que Laramée n’aura pas tout à fait réussi à construire quelque chose qui se tient; sur une scène, cette pièce serait très difficile à suivre.
La plupart du temps, on a l’impression de naviguer dans un récit sans queue ni tête. Et quand on pense enfin que tout prend son sens, qu’on reconnaît finalement une histoire qui se tient et des propos cohérents, de nouvelles répliques abracadabrantes surgissent et viennent chambouler le tout. Les contours des personnages de Marie, Marthe et Marty sont flous, tout comme la direction prise par le récit, et si à la lecture, on apprécie encore la justesse des réflexions et les idées véhiculées, on ne peut s’empêcher de penser à la confusion qui régnerait chez les spectateurs si cette pièce était jouée sur scène.
Il est dommage de constater que malgré le talent des deux artistes reliés par ce projet, la qualité du produit final ne puisse rendre justice ni à l’un ni à l’autre. Finalement, peut-être que l’intuition première d’Evelyne de la Chenelière était la bonne et que ce chantier d’écriture n’était effectivement pas destiné à devenir un objet théâtral à part entière.
La pièce «Nous reprendrons tout ça demain» d’Evelyne de la Chenelière et Justin Laramée a été publiée en septembre 2016 dans la collection «Pièces» d’Atelier 10.
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Par Atelier 10
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