«Dans la peau de...» Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras pour «Les superbes» – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras pour «Les superbes»

«Dans la peau de…» Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras pour «Les superbes»

Engagées jusqu'au bout de la plume

Publié le 9 décembre 2016 par Elise Lagacé

Crédit photo : VLB Éditeur

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Cette semaine, nous avons interviewé Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras qui ont mis le doigt, avec la parution de l'essai Les Superbes, sur un sentiment partagé par plusieurs.

1- Vous vous êtes associées pour nous offrir Les Superbes. Comment ce projet est-il né en chacune de vous?

L C-D: «J’ai fait la rencontre de Marie Hélène à un mariage d’une amie commune. Nous avons bu des bulles à sa santé et nous avons refait le monde à notre manière. La discussion était enivrante. J’ai eu un coup de cœur pour Marie Hélène. Nous avons discuté d’un sentiment de malaise visant les femmes qui osent être elles-mêmes et rayonner. Marie m’a proposé d’écrire un livre sur la question. J’étais loin d’être convaincue. Nous ne voulions surtout pas faire une livre prônant un discours libéral de la réussite. J’ai accepté de me plonger dans cette aventure, car il y avait, à mes yeux, quelque chose de sérieusement intéressant à déconstruire la réception du succès des femmes.»

M H P: «Il y a en moi un petit personnage chevaleresque qui rêve de corriger les injustices. C’est elle qui a pris la plume. Le projet est né aussi de la rencontre avec Léa, au mariage d’une amie, alors que nous portions nos plus belles robes et un verre de bulle à la main. J’avais besoin d’unir ma voix à celles d’autres femmes et hommes superbes, de confronter mes observations à celles de personnes qui étaient admirables à mes yeux pour savoir si j’étais dans le champ, trop parano… ou si j’avais au contraire mis le doigt sur un sentiment partagé par plusieurs.»

2- Cette collaboration était-elle plutôt structurée et cartésienne ou plutôt organique et instinctive?

L C-D: «Elle était à la fois structurée et organique. Les Superbes ne correspond pas à une forme traditionnelle de l’essai. Nous avons eu envie de nous laisser guider par notre quête en ayant certains points en tête que nous voulions aborder. La pierre angulaire est certainement la correspondance. Un échange épistolaire vise à prendre le pouls d’un moment donné. Nos réflexions évoluent instinctivement. On laisse place à nos doutes, nos hésitations, nos remises en question. Les témoignages nous permettent de penser et d’appuyer notre réflexion. Les prises de parole des femmes au sein du livre sont d’une grande d’importance. La libération de la voix des femmes a occupé un rôle fondamental au sein du mouvement féministe. Nous nous inspirons donc de cette tradition afin de traduire la subjectivité de trajectoires qui s’entrechoquent parfois. Bref, Les Superbes est une démarche non linéaire.»

M H P: «Très instinctive. C’est une enquête sensible et spontanée née d’un coup de foudre amical. Les entrevues sont pratiquement présentées dans l’ordre où nous les avons faites. Nos correspondances ne sont aucunement «stagées» et moi je dis tout, je me mets à nu, sans rien cacher. Ce que je ne fais pas en fiction, qui est mon genre de prédilection, mon inclinaison naturelle. Quand nous avons écrit Les Superbes, je ne savais même pas que mon livre serait classé «essai». Je ne pensais pas à ça, et j’avançais dans le projet, fascinée, excitée, en jubilant.»

3- Quel entretien du livre vous a le plus marqué et pourquoi?

L C-D: «Il n’y a pas d’entretien plus marquant que les autres à mon avis. Chaque rencontre a fait avancer notre pensée et notre réflexion.»

M H P: «La rencontre avec Pauline Marois au sommet d’un immeuble cossu du Vieux-Montréal. J’ai été d’abord décontenancée par la différence entre l’image d’elle véhiculée par les médias et la vraie présence de cette femme absolument chaleureuse et attachante, avec qui j’aurais envie d’aller prendre une bière. C’est un vrai privilège d’avoir pu la connaître de cette façon, dans cette proximité sympathique. La rencontre avec Maître Sonia LeBel fut tout aussi marquante pour moi, car elle m’a donné des outils concrets et surprenants pour combattre la sournoiserie des inégalités: l’achat du fameux veston noir et l’humour pour dédramatiser. L’aplomb de cette femme est renversant. Je la trouve spectaculaire et inspirante.»

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4. Marie-Hélène, on vous connaît surtout pour vos œuvres littéraires largement saluées par la critique et le public, mais vous êtes également journaliste. Vous voyez-vous pondre un essai en solo dans l’avenir? Si oui, dans quel domaine (historique, politique, musique, socio, etc.)?

«C’est une bonne question. Je sens présentement le besoin pressant de retourner à la fiction, car ce que j’aime le plus dans l’écriture, c’est d’inventer des histoires et de pouvoir créer des images et m’amuser avec. Le journalisme c’est un tout autre rapport à l’écriture. Mais je ne me refuse rien, il est possible qu’un jour je revienne à l’essai. J’aime bien les essais courts et impressionnistes publiés chez Atelier 10. J’ai des choses à dire sur le bien-être des chevaux dans la ville, sur leurs conditions de vie notamment, et la préservation sensée du patrimoine vivant m’intéresse.»

5. Léa, vous avez été l’une des figures du renouveau féministe québécois actuel. Comment situez-vous ce phénomène dans notre histoire et quelle importance revêt-il pour notre avenir?

«Voilà une grande question. Le mouvement féministe est pluriel, fragmenté et hétérogène. Je pense qu’il y a une résurgence du mouvement féministe aujourd’hui sensible au caractère pluriel des luttes qui traversent les parcours militants. Il n’existe pas UN féminisme, mais des féminismes. Les dernières années ont été marquées notamment par la libération de la parole des femmes qu’on a mises au silence. Je pense notamment à un mouvement comme #BeenRapeNeverReported. Les plus jeunes générations semblent conscientisées à la banalisation des violences sexuelles. Nous n’avons pas peur de pointer de nommer le problème.»

«D’autre part, il y a une volonté de remettre en question les «All man’s pannel», les privilèges des dominés qui sont à la tête des sphères décisionnelles. Cette remise en question des privilèges se fait également au sein du mouvement. Dans le livre, Marie et moi reconnaissons notre posture de femme blanche privilégiée. Je pense qu’il y a une discussion nécessaire sur la place occupée dans l’espace public par certains femmes et féministes. Pendant des années, le féminisme libéral a occupé une grande place des débats publics. Je pense qu’il y a une volonté pour donner la voix à d’autres perspectives. On veut entendre d’autres voix et réalités. Des féminismes qui viennent d’ailleurs et qui bousculent notre perspective occidentocentrée. On milite pour la diversité des voix et c’est tant mieux.»

«Bref, il y a tant à dire. Votre question mériterait un essai en tant que tel!»

Pour consulter nos chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/Dans+la+peau+de…

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