«Rendez-vous d'histoire avec...» Sébastien Côté, professeur et spécialiste de la Nouvelle-France – Bible urbaine

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«Rendez-vous d’histoire avec…» Sébastien Côté, professeur et spécialiste de la Nouvelle-France

«Rendez-vous d’histoire avec…» Sébastien Côté, professeur et spécialiste de la Nouvelle-France

À la découverte d'œuvres méconnues et oubliées du 18e siècle

Publié le 24 juillet 2023 par Éric Dumais

Crédit photo : Valérie Perron

Chaque semaine, du 28 juin au 2 août 2023, Bible urbaine pose 5 questions à un∙e conférencier∙ère présent∙e aux Rendez-vous d’histoire de Québec, festival qui a pour mission de promouvoir l’histoire auprès d’un large public québécois. Au menu de cette 6e édition qui promet déjà de belles promesses du 9 au 13 août: des conférences, visites privilèges, ciné-conférences, entretiens, cafés historiques, spectacles multidisciplinaires. Aujourd’hui, on vous propose de faire la rencontre du professeur de littérature et spécialiste de la Nouvelle-France, Sébastien Côté.

Sébastien, c’est un plaisir de piquer un brin de jasette avec toi! Ce n’est pas un secret d’État pour personne: tu es professeur de littérature à l’Université Carleton d’Ottawa et aussi spécialiste de la Nouvelle-France. D’abord, on aimerait savoir: qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans l’étude des lettres, et plus particulièrement, à approfondir tes connaissances sur la «Nova Gallia», cet ensemble de territoires coloniaux d’Amérique qui ont découverts dès le XVIe siècle?

«Du plus loin que je me rappelle, j’ai toujours été un grand lecteur. D’abord de bandes dessinées, bien sûr, mais aussi de science-fiction et de Maurice Leblanc, père d’Arsène Lupin. Puis vinrent des classiques français, et aussi Milan Kundera. Il devenait difficile d’emprunter une autre voie.»

«Pendant tout mon parcours universitaire, malgré quelques regards vers le 18e siècle, c’est le 20e siècle français qui m’a occupé presque tout entier. Or, dans ma thèse (devenue L’ethnologie détournée), le chapitre que j’ai préféré écrire était l’introduction historique, dans laquelle je faisais une espèce d’archéologie de la rencontre avec l’Autre par les textes, du 16e siècle à Tintin au Congo

«En me replongeant dans mes lectures des années passées à l’Université Laval, je me suis rendu compte que j’avais alors mal saisi l’importance des écrits de la Nouvelle-France, surtout ceux du baron de Lahontan. L’Université Carleton m’ayant donné beaucoup de liberté dès mon embauche, je me suis lancé.»

Tu es également l’auteur d’ouvrages, L’ethnologie détournée: Carl Einstein, Michel Leiris et la revue Documents (2019) et La Nouvelle-France sur les planches parisiennes: anthologie (1720-1786), d’articles d’histoire littéraire, de volumes, Relire le patrimoine lettré de l’Amérique française (2013) et de dossiers, Barbaries, sauvageries? (Dix-huitième siècle, no 52) et Rêver le monde: l’imaginaire nord-américain dans la littérature française du XVIIIe siècle. Parle-nous brièvement de ces champs d’intérêt que tu as souhaité explorer au sein de ces diverses publications.

«On m’a souvent demandé comment j’ai pu devenir dix-huitiémiste après avoir consacré plus de dix ans de ma vie à la littérature française (et allemande, dans une moindre mesure) des années 1920-1945. La question est légitime. Ma formation doctorale en littérature comparée, qui convenait parfaitement à mon éclectisme, m’a appris à aborder les œuvres à rebrousse-poil, à les regrouper spontanément en fonction de problématiques, plutôt que de les analyser en fonction de critères esthétiques.»

«Or, les écrits de la Nouvelle-France sont rarement présentés comme des œuvres littéraires, sans doute parce qu’ils intéressent avant tout des historiens. Ce relatif abandon donne beaucoup de liberté. Au fond, la redécouverte de soi par l’avant-garde franco-allemande des années 1920 au contact de l’Autre africain fantasmé s’apparente au choc philosophique causé par le surgissement de l’Amérique coloniale, notamment dans le discours.»

«Ce qui m’intéresse désormais, c’est la transposition de l’expérience du voyage en Nouvelle-France en textes de diverse nature, dont des pièces de théâtre

Le samedi 12 août à 14 h 30, à l’auditorium Hydro-Québec du Musée de la civilisation, tu animeras une conférence gratuite intitulée «Imaginer la Nouvelle-France au théâtre (Paris, XVIIIe siècle)». On est curieux: comment as-tu accueilli cette proposition lancée par les RVHQC, et qu’est-ce que nos lecteurs et lectrices apprendront comme faits marquants lors de ta présentation?

«J’étais évidemment ravi de l’intérêt des RVHQC pour mes recherches, d’autant plus que je ne suis pas historien. Ce qui me rassure, c’est que les dramaturges de mon corpus ne l’étaient pas non plus! Et avec le recul, c’est leur insouciance à l’égard des faits qui rend leurs pièces intéressantes aujourd’hui pour un lectorat québécois.»

«Je crois que tout le monde aura sensiblement la même réaction que moi lorsque j’ai trouvé une par une ces pièces oubliées. Le théâtre n’était-il pas interdit depuis 1694 en Nouvelle-France? Oui, mais rien n’interdisait aux dramaturges parisiens de camper leurs comédies au Canada! Après tout, c’était un lieu exotique parmi tant d’autres.»

«Dans les 16 pièces que j’ai éditées, le Canada est représenté tantôt comme un châtiment exagéré, tantôt comme un lieu de liberté. En effet, les dramaturges s’entendent pour dire que les règles de la société française ne s’y appliquent plus vraiment, ce qui permet aux sentiments de s’exprimer, dont l’amour du cœur. Et les grands inspirateurs de cette liberté, ce sont les Autochtones, le plus souvent décrits comme des philosophes naturels à la manière de Lahontan.»

«Ils sont d’ailleurs représentés dans toutes les pièces de mon corpus, soit bien plus que les colons canadiens.»

Cette conférence est le parfait complément à ton plus récent livre cité ci-haut, La Nouvelle-France sur les planches parisiennes: anthologie (1720-1786), paru en mars dernier dans la collection L’archive littéraire au Québec. À ton avis, comment étaient perçues «ces œuvres méconnues, voire oubliées qui, tout au long du 18e siècle, égayèrent les théâtres de Paris en recourant à l’exotisme canadien?»

«Nous avons peu d’informations directes quant à la réception contemporaine de la plupart de ces pièces. Par exemple, Arlequin sauvage (1721) de Delisle de La Drevetière a connu un beau succès à la Comédie-Italienne: critiques élogieuses, au moins 170 représentations à Paris avant 1750, une page de Rousseau en 1758. Elle figure au répertoire tout au long du siècle. Ce qu’on aime de cet Arlequin huron, c’est son franc-parler.»

«À la fin du siècle, on mentionne encore Les Mariages de Canada (1734), opéra-comique de Lesage sur le motif des Filles du roi, mais on n’en dit pas grand-chose. La tragédie Hirza (1767) de Billardon de Sauvigny a été jouée 29 fois à la Comédie-Française, ce qui explique pourquoi des archives manuscrites nous sont parvenues (dont le costume d’Hirza).»

«Pour les autres pièces, hormis le grand succès de Le Huron (1768) de Marmontel et Grétry, nous avons surtout des éditions uniques, voire des manuscrits inédits, et très peu de traces. Reste que les auteurs de ces pièces devaient bien espérer que leurs pièces rencontrent un public… jusqu’en 1786!»

Toi qui te passionnes pour la Nouvelle-France: si tu avais la chance d’être le cobaye d’une expérimentation scientifique te permettant de revenir en arrière et de revivre, l’espace d’un instant, une période clé de l’histoire, laquelle choisirais-tu, et quels personnages historiques aimerais-tu rencontrer en chair et en os? Lâche-toi lousse… c’est permis de rêver, après tout!

«Puisque j’ai toujours déploré la rareté des représentations de la Ville de Québec à l’époque de la Nouvelle-France (elles se ressemblent beaucoup), j’aimerais y passer quelques mois vers 1754 après avoir convaincu quelques peintres parisiens de retarder leur grand tour d’Italie. Peindre des fontaines et des ruines romaines était certes séduisant, mais leur postérité aurait été assurée par quelques dessins ou tableaux originaux de Québec et des environs!»

«Pour ce qui est de la personnalité historique, j’ai un faible pour Lahontan, qui a tout de même passé 10 ans en Nouvelle-France. On l’accuse depuis longtemps de mentir trop souvent, mais c’est un auteur très doué dont l’influence se fait sentir jusqu’à Chateaubriand. J’aurais évidemment une très longue liste de questions à lui poser!»

On te remercie à l’avance, Sébastien, et nous, on se donne rendez-vous le 12 août à 14 h 30 à l’auditorium Hydro-Québec du Musée de la civilisation. Et c’est gratuit! Pour en savoir plus sur les Rendez-vous d’histoire de Québec ou pour acheter vos billets pour l’une ou l’autre des activités proposées, visitez le www.rvhqc.com.

*Cet article a été produit en collaboration avec les Rendez-vous d’histoire de Québec (RVHQC).

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