LittératureRendez-vous d'histoire avec
Crédit photo : Julie D'Amour-Léger
Annabel, c’est un plaisir de discuter avec vous! Avant de dévoiler à nos lecteurs et lectrices notre motivation à échanger ces quelques mots avec vous, mentionnons avant toute chose que vous êtes une cinéaste aux multiples chapeaux – réalisatrice, scénariste, recherchiste, productrice, directrice photo, monteuse, narratrice… Quelle polyvalence, ma foi! D’où vient-il ce feu intérieur pour le septième art?
«C’est un immense plaisir de discuter avec vous! Merci pour l’invitation! J’avoue bien honnêtement qu’au départ, il n’était pas dans mon intention de porter tant de chapeaux. Le contexte dans lequel le cinéma documentaire existe aujourd’hui ne nous laisse parfois pas le choix de «tout» faire pour que nos films prennent vie (rires).
Dès que je reçois une bourse ou une subvention, je l’emploie d’abord à engager des collaborateurs et des collaboratrices, comme on peut le voir dans le générique du film. Toutefois, les financements tardent souvent à arriver promptement (ou n’arrivent pas) et, comme en documentaire il est difficile, voire impossible, de reporter le réel, j’ai pris la décision, pour mes films, de toujours aller de l’avant, à ma mesure. J’ai alors suivi des formations et je suis retournée à l’université pour comprendre les rouages de la production cinématographique.»
«Porter un film seule, dans mon cas, prend des années. Mais quand le propos nous tient tant à cœur, on se surprend parfois à faire des choses qu’on n’aurait jamais pu imaginer.»
Forte de 20 ans d’expérience dans les milieux du cinéma et de la télévision, autant en France qu’au Québec, vous avez réalisé trois longs métrages documentaires, soit La folle entreprise, sur les pas de Jeanne Mance (2010), Le dernier souffle, au cœur de l’Hôtel-Dieu de Montréal (2017) et La ville d’un rêve (2022), qui complète une trilogie chère à votre cœur sur la fondation de Montréal. Qu’est-ce qui vous a motivé à raconter l’histoire de notre métropole à travers vos yeux de cinéaste documentaire?
«Tout d’abord, j’ai voulu raconter l’histoire de Jeanne Mance. Comme elle, je viens de Langres, en France. J’ai immigré à Montréal, ville qu’elle a cofondée. C’est à Montréal que j’ai réalisé, lors d’une conférence de l’historien Jacques Lacoursière en 2006, que cette femme, qui venait de la petite ville française qui m’avait vu naître et grandir, était à l’origine de ce qui est devenu plus tard la deuxième ville francophone du monde. Croirez-vous que ce fait majeur soit resté dans l’oubli pendant plusieurs siècles?»
«Mon film La folle entreprise, sur les pas de Jeanne Mance est né de cette injustice et a été le point de départ de la reconnaissance de Jeanne Mance comme fondatrice de Montréal en 2012. Dans Le dernier souffle, j’ai voulu témoigner des derniers moments d’activités du premier hôpital de Montréal fondé par Jeanne Mance et intimement lié à la fondation de la ville. Avec La ville d’un rêve, il me fallait aller plus loin et faire un film sur la fondation de Montréal, projet aux valeurs humanistes qui m’inspire au plus haut point.»
Si l’opportunité est si bien choisie de s’entretenir avec vous, c’est que vous êtes l’une des conférencières invitées dans le cadre des Rendez-vous d’histoire de Québec lors d’une ciné-histoire prévue le mercredi 9 août à l’Auberge Saint-Antoine! À cette occasion toute spéciale, sous le thème «La ville d’un rêve: 350e de Jeanne Mance avec la cinéaste Annabel Loyola», le public est convié à découvrir votre documentaire dans son entièreté, et la projection sera suivie d’une période d’échanges avec vous. Comment avez-vous accueilli cette opportunité lorsqu’on vous a approchée?
«J’ai été très touchée et heureuse de pouvoir faire partie de la riche programmation des Rendez-vous d’histoire de Québec avec mon film La ville d’un rêve. Cela tombe à point nommé cette année, sachant que nous soulignons le 350e anniversaire du décès de Jeanne Mance (12 novembre 1606 – 18 juin 1673) et que le film participe à une vaste tournée tout au long de l’année au Québec, en Ontario et en France.»
«Fait du hasard, le 9 août ne pouvait être mieux choisi: Jeanne Mance a foulé le sol de la Nouvelle-France pour la première fois à Québec le 8 août 1641!»
Histoire de piquer la curiosité de nos lecteurs et lectrices, si vous nous le permettez, on prend la liberté d’en révéler juste un peu sur la matière première de votre film! Ainsi, La ville d’un rêve, récit narré par les comédiens Alexis Martin et Pascale Bussières, est né d’une quête: celle visant à retracer le parcours d’un petit groupe de personnes, disséminées aux quatre coins de la France, à l’origine d’un projet de société aux valeurs altruistes, et qui seraient à l’origine de Montréal. Notre curiosité est piquée: dites-nous-en plus sans tout nous dévoiler, bien sûr!
«J’ai voulu repartir du tout premier récit qui nous est parvenu sur les débuts de Montréal. Il s’agit d’un manuscrit du XVIIe siècle intitulé Histoire du Montréal dont l’original est conservé à la bibliothèque Mazarine à Paris. Il est attribué au sulpicien François Dollier de Casson (Alexis Martin dans le film). Or, tout porte à croire qu’il s’agit des mémoires cachés de Jeanne Mance (incarnée par Pascale Bussières).»
«Rédigé en 1672, soit un an avant sa mort, le texte raconte l’histoire des trente premières années de Montréal et du projet qui a précédé sa création. Dans mon premier film, je disais que Montréal était née d’un rêve. Le projet qui a germé dans la tête de ce petit groupe de personnes en France m’a beaucoup inspirée. Et curieusement, ces personnes ne sont jamais venues à Montréal. Elles ont plutôt engagé Jeanne Mance et Paul de Chomedey de Maisonneuve pour réaliser le projet sur place. Je fais souvent l’analogie entre les scénaristes, ceux qui ont écrit le projet, et les réalisateur-trice.s, ceux et celles qui lui donnent forme.»
«Je trouve extraordinaire que Jeanne Mance, ni mariée, ni veuve, ni religieuse, ait pu aller au bout de son élan, de son talent et de son engagement, malgré les obstacles et l’adversité, pour bâtir une ville et son premier hôpital il y a quatre siècles. Cette femme continue de m’inspirer.»
En guise de mot de la fin, qu’avez-vous envie de dire aux mordus d’histoire qui nous lisent actuellement pour les motiver à venir prendre part à la 6e édition des RVHQC, qui se tiendra du 9 au 13 août prochains dans quatre lieux à Québec, le Musée de la civilisation, la Maison de la littérature, l’Îlot des Palais et l’Auberge Saint-Antoine!
«L’histoire s’écrit chaque jour. Elle fait partie de l’actualité. Je me suis souvent demandé ce que les Montréalistes auraient pu dire ou penser au moment du décès de Jeanne Mance il y a 350 ans. Étaient-ils conscients qu’ils venaient d’être témoins qu’une grande page d’histoire se tournait sous leurs yeux?»
«François Dollier de Casson, lui, l’était. Il a su capter la mémoire vivante de Jeanne avant qu’elle ne s’éteigne pour retracer le tout premier récit de l’histoire des débuts de Montréal. Sans lui, et sans Jeanne, nous ne connaîtrions pas les détails.»
«Les Rendez-vous d’histoire de Québec sont un incontournable, une célébration de la petite et de la grande histoire, celles qui nous concernent tous et toutes. J’encourage le public à s’y intéresser et à se laisser surprendre, comme cela a été le cas pour moi, par des tranches de vies humaines qui nous rappellent que l’histoire n’est pas si loin de nous.»