«L’audience», un documentaire d’Émilie B. Guérette et Peggy Nkunga Ndona – Bible urbaine

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«L’audience», un documentaire d’Émilie B. Guérette et Peggy Nkunga Ndona

«L’audience», un documentaire d’Émilie B. Guérette et Peggy Nkunga Ndona

Le périple sans fin des demandeurs d'asile au Canada

Publié le 16 mai 2023 par Nathalie Slupik

Crédit photo : Les Films du 3 Mars @ Tous droits réservés

Le 26 mai paraîtra en salle le plus récent documentaire des Films du 3 Mars et de Colonelle Films, «L’audience». Le film suit le parcours de Peggy, Simon et de leurs trois enfants tandis qu’ils demandent l’asile au terme d’une traversée migratoire périlleuse et se retrouvent dans un dédale juridique afin d’obtenir le statut de réfugiés. Afin d’en savoir plus, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Peggy Nkunga Ndona elle-même ainsi qu’avec la cinéaste et coréalisatrice Émilie B. Guérette.

Peggy Nkunga Ndona est originaire de la République démocratique du Congo, où elle était actrice et journaliste indépendante. Depuis 2018, elle vit à Montréal avec sa famille et travaille comme éducatrice en garderie. Un quotidien paisible où elle s’épanouit, mais sur lequel plane une grande ombre. «Pour moi, il y a deux Canada. Celui où je me sens bien intégrée, avec mon travail, mes voisins et tous ceux que je côtoie au quotidien. Puis, il y a le Canada des décideurs, qui me renvoient ou qui me gardent. Il y a un Canada d’accueil et un Canada hostile, épeurant», nous confie-t-elle.

Car Peggy Nkunga Ndona et les siens ont dû traverser onze pays clandestinement avant de parvenir à ce qui devait être leur terre d’accueil, leur refuge où leurs enfants pourraient grandir en sécurité. Ce périple est pour elle bien difficile à raconter, puisqu’il ravive des plaies encore fraîches: «Pour nous, cette route, c’était vraiment la terreur. On ne savait jamais ce qui nous attendait aux détours des tournants. En tant que parents, surtout, nous étions vraiment inquiets. Mais nous devions également faire preuve de sang froid pour nos enfants, ce qui rendait la mission d’autant plus difficile. Afficher un grand sourire à son enfant, lui raconter des histoires, alors qu’intérieurement, tu sens la peur te tenailler les entrailles, c’est complexe. À chaque frontière, nous étions à la fois terrorisés et pleins d’espoir», nous raconte-t-elle.

Nous dormions par terre et les enfants étaient sans cesse réveillés par la faim, et de notre côté, nous avions de la difficulté à leur dissimuler nos larmes. Un jour, alors que nous étions au désespoir total de sortir un jour de cette forêt, notre fils nous a dit: “Papa, maman, personne ne restera dans cette forêt, on va tous sortir.” Quand un petit enfant de quatre ans te dit cela, ta confiance revient» – Peggy Nkunga Ndona

Peggy Nkunga Ndona et Émilie B. Guérette. Photo: Les Films du 3 Mars @ Tous droits réservés

Une rencontre fortuite

C’est environ trois mois après leur arrivée que la mère de famille a fait la connaissance d’Émilie B. Guérette, avec qui une amitié est tout de suite née: «Avant de rencontrer Peggy, j’avais entendu parler, dans un reportage de Radio-Canada, de la route migratoire qui était empruntée depuis le Brésil jusqu’au Canada par les demandeurs d’asile de différentes nationalités. Ce reportage m’avait beaucoup interpellée, parce que j’ai vécu presque cinq ans au Brésil, donc le simple fait d’imaginer que les gens faisaient cette route par voie terrestre dans des conditions clandestines, c’était impensable pour moi. C’est de là qu’est née ma curiosité de rencontrer des gens ayant parcouru cette route, et Peggy a été la première que j’ai abordée. Elle avait cette lumière qui a fait que tout le reste s’est placé, dans l’année suivant notre rencontre. La route, c’est le passé, mais le point d’arrivée de cette route n’est pas le point final, car les demandeurs d’asile n’ont pas la garantie de pouvoir rester. Nous nous sommes donc mises à documenter le processus de demande d’asile de Peggy et sa famille, cet après qui suit l’arrivée», nous explique Émilie B. Guérette.

«Peggy m’a un jour dit que j’étais comme une porte pour elle, et cela m’a beaucoup touchée parce que c’est mon but, d’ouvrir un espace qui permet à l’histoire de Peggy et sa famille d’être connue. Ça implique un certain retrait de ma part, et ça me convient tout à fait.» – Émilie B. Guérette

Avant de s’atteler à ce projet, la cinéaste avait travaillé notamment à un long métrage, L’autre Rio, qui s’intéressait au quotidien des oubliés des Jeux olympiques de 2016, ainsi qu’à différents projets mettant en lumière les populations et sujets marginalisées, comme les communautés autochtones ou les femmes ex-détenues à propos de l’incarcération féminine.

L’Audience entrait donc parfaitement dans sa ligne de mire: «Mes précédents projets m’ont amenée à m’interroger sur la notion d’auteur: qui signe réellement une œuvre? J’ai pris conscience de mes privilèges de femme blanche détenant la nationalité canadienne, et j’essaie de mettre ce privilège au service des autres et de transformer les pratiques, à la petite échelle qu’est la mienne, en étant la plus inclusive possible dans la façon dont je crée. Je n’ai pas fait un film sur Peggy et Simon, je l’ai fait avec eux», nous partage-t-elle.

Le film offre accès à l’audience de la famille Nkunga Mbala devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. «Personne n’avait jamais réussi à filmer une audience à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais nous avons tenté la chance et nous avons réussi. Cette audience est devenue le point central du film», nous dit Peggy Nkunga Ndona.

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Peggy Nkunga Ndona et sa famille. Photo: Les Films du 3 Mars @ Tous droits réservés

Éveiller les consciences

Derrière cette intrusion dans la vie privée de cette famille, il y a un désir d’amener le peuple canadien et ses dirigeants à une prise de conscience. «La demande en appel de Peggy et Simon a aussi été rejetée, ils sont présentement sans statut. Cela nous a incités à lancer le film très rapidement, nous avons anticipé sa sortie, car nous aimerions qu’il devienne un outil de sensibilisation pour le public et les autorités, puisque le risque du renvoi vers le Brésil est concret. Nous allons lancer un site web et créer un partenariat avec des organismes de défense des demandeurs d’asile et d’immigrants. La famille est présentement dans un processus de demande de statut de résidence permanente pour motif humanitaire, sauf que la réponse peut prendre deux ans à leur parvenir et durant ces deux années, ils ne sont pas protégés d’un renvoi», nous explique Émilie B. Guérette.

Selon elle, il y aurait un double discours dans notre société actuelle: «Je me place dans la position d’un public canadien qui n’a pas à réfléchir à ces questions au quotidien. On se perçoit comme un pays d’accueil très généreux, et dans les médias on entend un discours affirmant qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, alors qu’en fait, on se dote des politiques d’accueil que l’on veut bien adopter. Il y a une sélection, selon des critères très précis, du type d’immigrants et de réfugiés qui plaisent aux autorités canadiennes. Par exemple, l’année dernière, il y a eu quatre fois plus de réfugiés ukrainiens qui sont entrés au Canada et ont été immédiatement acceptés, que de personnes arrivées par le chemin Roxham. Donc, il y a un double discours, des réfugiés que l’on considère comme de bons réfugiés et d’autres comme de faux réfugiés.»

Peggy Nkunga Ndona et son conjoint Simon. Photo: Les Films du 3 Mars @ Tous droits réservés

Je souhaite que les Canadiens réfléchissent à ce que cela signifie, cette question de déterminer qui mérite ou ne mérite pas de protection. Si la famille de Peggy et Simon, qui sont des travailleurs essentiels très bien intégrés et qui contribuent positivement à leur communauté, ne méritent pas protection, nous avons un grave problème social.» -Émilie B. Guérette

«Aujourd’hui, dans notre monde, il y a beaucoup de paroles, mais peu d’actions. Vouloir, c’est bien, mais le faire, c’est encore mieux. Lorsqu’on croise une personne, on ne peut s’imaginer le bagage qu’ils portent en eux. Je souhaite que ce film amène les gens à poser un autre regard sur les demandeurs d’asile. Qu’ils ne se contentent pas de les juger, mais tentent de les connaître», conclut Peggy Nkunga Ndona.

Le documentaire L’audience, présenté par Les Films du 3 Mars et Colonelle Films, sera à l’affiche à compter du 26 mai 2023. Pour acheter vos billets dans un cinéma près de chez vous, c’est par ici! Bon visionnement!

*Cet article a été écrit en collaboration avec Les Films du 3 Mars.

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