«Pleine de toi» de Geneviève Jannelle – Bible urbaine

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«Pleine de toi» de Geneviève Jannelle

«Pleine de toi» de Geneviève Jannelle

À chacun son deuil

Publié le 19 mai 2014 par Marie-Michèle Martel

Crédit photo : VLB Éditeur

Au moment où elle entrevoyait sa vie de couple comme un petit paradis, Estelle perd celui qu’elle aime, Antoine. Celui-ci décède après avoir été heurté par un camion alors qu’il était en vélo. C’est sur cette trame plutôt sombre que Geneviève Jannelle nous présente son nouveau roman Pleine de toi.  

Auteure de La Juche (Marchand de feuilles, 2011) et d’Odorama dans la série L’Orphéon (VLB Éditeur, 2012), Geneviève Jannelle a su montrer son originalité et la finesse de sa plume. Avec Pleine de toi, elle amène le lecteur dans une zone d’inconfort, celle qui suit la perte d’un être cher, voire de l’amour de sa vie. Après le décès d’Antoine, Estelle ne voit aucunement la lumière au bout du tunnel. Comment survivre à la perte de l’homme qu’elle a aimé et qui l’a aimée?

Il n’est pas nécessaire de lire sur le deuil pour comprendre que tous vivent cette étape difficile à leur façon. Le récit de Geneviève Jannelle le montre bien. Alors qu’elle croit que son monde s’écroule, Estelle découvre qu’elle est enceinte d’Antoine. Le deuil en est donc plus compliqué. Un petit bout de l’homme de sa vie pousse à l’intérieur d’elle. Il est bien difficile de passer à autre chose. Et si le meilleur moyen de passer au travers était plutôt de retrouver Antoine?

Par ceci, Estelle ne pense pas au suicide. Il s’agit plutôt de collectionner les «petits bouts» d’Antoine qu’elle aimait tellement: sa démarche, ses mains, son regard, etc. Elle retrouve chacun de ses morceaux dans plusieurs hommes et tentent de les saisir en faisant l’amour avec ces étrangers. Seulement, est-ce vraiment la solution? Bien sûr, le lecteur comprend qu’il ne s’agit pas d’une solution à long terme. Seulement, jusqu’où devra aller Estelle pour le comprendre? C’est souvent en touchant le fond que la réalité nous rattrape: «Estelle, qu’est-ce que tu fous ici?»

Le personnage d’Estelle représente bien la femme qui pose un regard critique sur sa propre personne. En fait, elle connaît très bien son caractère difficile, ses manies, etc. Elle n’assume pas cet amour qu’Antoine lui portait. Elle sait qu’elle était chanceuse d’être si aimée malgré son caractère sauvage. Si bien qu’elle ne voit pas la souffrance des membres de son entourage et croit que toute la douleur lui revient. De ce point de vue, elle a une des caractéristiques principales des personnages féminins du roman de filles: le narcissisme. Un narcissisme qui s’effrite au contact d’une sensibilité qui lui était inconnu.

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La tendance est à classer chaque livre dans une catégorie: le suspense, le roman policier, le roman psychologique, etc. Or, comment qualifier le style de Geneviève Jannelle? Pleine de toi se rapproche bien de la chicklit, mais en est-ce vraiment? La plume de cette auteure nous mène beaucoup plus loin que ce que le genre destiné à la gent féminine a l’habitude de nous offrir. Par exemple, Estelle vit pleinement ses questionnements. Bien sûr, elle se remet en question comme toute bonne héroïne de roman de filles. Par contre, contrairement au style chicklit, elle est rapidement confrontée à son égoïsme. Geneviève Jannelle n’attend pas à la fin du roman pour lui faire faire sa prise de conscience. Bien qu’elle retombe dans la noirceur par peur que cette situation où elle se sent si bien ne soit encore qu’une preuve de son égoïsme. Bref, on aime particulièrement la plume de l’auteure parce qu’elle est bien difficile à classer. Sortons des propos simples du célibat pour s’attaquer à un dilemme beaucoup complexe et où les tiraillements sont plus puissants.

«Slap Chop, Magic Bullet, ShamWow, Snuggie et compagnie. Ils ont acheté tous les articles figurant sur le portail publicitaire de la famille heureuse. Même le Ab Roller.» Une famille heureuse oui, mais à quel prix? Geneviève Jannelle conclut en montrant que tout le bonheur cache ses périodes difficiles. Et même si Estelle croit être la seule à souffrir, il en est tout autrement. Rien n’est vraiment ce qu’il semble être, une conclusion qui ouvre sur une prise de conscience. De quoi prendre un peu de temps pour réfléchir à cette finale avant de s’attaquer au prochain livre de notre pile. Et, c’est entre autre à cela, qu’on reconnaît un roman bien construit: son potentiel de secouer le lecteur.

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