«Odorama» de Geneviève Jannelle – Bible urbaine

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«Odorama» de Geneviève Jannelle

«Odorama» de Geneviève Jannelle

Les locaux javellisés du 3e étage

Publié le 7 décembre 2012 par Jean-Francois Lebel

Crédit photo : VLB

Lauréate du prix de la nouvelle Radio-Canada (2011-2012) pour Péril en ta demeure et auteure de La juche (2011), Geneviève Jannelle commence à peine à se faire connaître dans le monde littéraire. Elle travaille avant tout dans le domaine de la publicité, mais s’est récemment jointe à la série L’Orphéon et se propose de nous emmener faire un tour au 3e étage de l’édifice, où sont installés Les Laboratoires Odosenss.

Laurent Piffeteau est un nez professionnel pour cette compagnie de créations d’odeurs en tout genre. Ce chimiste, expert en olfactométrie, ne conçoit pas des parfums qui sont contenus dans de jolies bouteilles et vendus par des David Beckham. Odosenss offre plutôt comme service du «marketing par l’odorat». Ces experts cherchent en réalité à reproduire les odeurs du quotidien à des fins commerciales. Ils tentent de vendre un produit à un consommateur en se servant des odeurs pour réveiller en lui des souvenirs. Le protagoniste, surnommé Pif, est le meilleur de l’entreprise, et il occupe le laboratoire no3 en compagnie de son collègue et ami de longue date, Thibert.

Le récit débute abruptement avec un Laurent Piffeteau tout décontenancé. Sa femme Sofia, mère de ses enfants, a en effet rompu avec lui. Le nez se remet difficilement de cette rupture puisqu’il ne peut vivre sans l’odeur de cette dernière. Il ne dort plus et ses journées lui semblent dépourvues de sens. Il veut tellement retrouver son odeur qu’il en oublie la femme qu’il a perdue.

Il n’est pas facile de trouver le personnage de Laurent Piffeteau sympathique et attachant, et on se demande ce qui peut bien faire son charme et susciter autant d’émotions auprès de «la gang de filles du bureau». C’est un pari difficile pour un auteur que de faire embarquer un lecteur dans une histoire, alors que le personnage principal est plutôt fade. On en apprend toujours très peu à la fois sur son sujet et lorsque c’est le cas, c’est seulement selon le point de vue de ses collègues de travail.

On comprend pourquoi le personnage est présenté de la sorte, c’est là tout le noyau de l’histoire. Le lecteur attend impatiemment le moment où Laurent s’éveillera de sa léthargie et qu’il «explose» enfin. La question revient souvent. Quand? Qu’elle sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase? En même temps, on ne peut s’empêcher de comprendre le départ de Sofia et le fait qu’elle étouffait dans un environnement insipide et dépourvu de spontanéité. En fait, dans l’ensemble, contrairement aux hommes qui nous laissent indifférent, les femmes créées par l’auteur suscitent quant à eux l’intérêt du lecteur. Elles sont plus vraies, plus vivantes. Certes, il y a la délicieuse Sofia qui intrigue, mais un personnage  comme Lisabeth – une autre chimiste chez Odosenss – est une méchante que l’on aime détester avec ses insultes et ses notes to self bien placées.

Odorama n’est pas sans rappeler deux œuvres littéraires très marquantes (que la majorité des étudiants ont eu l’obligation de lire durant leur parcours scolaire). D’abord, il est certain qu’avec le thème des odeurs on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour Le Parfum de Patrick Süskind. Surtout qu’il y a une certaine similitude sur le plan psychologique (peu d’émotions, importance des odeurs) entre Laurent Piffeteau et Jean-Baptiste Grenouille, mis à part leurs odorats particulièrement développés. En entrant dans les locaux de la compagnie, on pense aussi à 99 francs (Frédéric Beigbeder). Bien que les deux univers soient très différents – la publicité versus la création d’odeurs – on retrouve entre Laurent et Thibert le même type de complicité qu’Octave entretenait avec son coéquipier dans le roman de Beigbeder. Jannelle nous plonge réellement dans l’univers de cette entreprise, que ce soit concernant le patron verbomoteur, la réceptionniste peu professionnelle, ou la compétition entre collègues pour un quelconque contrat.

Il faut admettre que le roman de Geneviève Jannelle est quelque peu inégal. Il vous faudra persévérer durant votre lecture. En effet, le rythme est lent, et on se demande vers quoi on se dirige. Ce n’est qu’après les cent premières pages que le récit commence à avancer et que les fils de l’intrigue se complexifient. Enfin, on veut savoir ce qui va se passer, car bien que la lecture était agréable jusque-là, elle n’était pas nécessairement prenante. Au-delà de cette histoire qui saura ou non accrocher votre attention, on ne peut passer outre la plume de l’auteure. On aime son écriture. Le style est frais et actuel. Elle saura vous faire rire par son vocabulaire coloré et son expertise résidant dans l’art des métaphores imagées à souhait. Par exemple, Laurent Piffeteau qui n’a pas ce petit quelque chose «qui amène les ovaires des filles à applaudir sur votre passage».

Notons qu’il faut lire plusieurs tomes de l’Orphéon pour comprendre et saisir le plaisir non-négligeable que procurent au lecteur les références aux autres personnages de la série. Une preuve de l’efficacité du concept est justement qu’on a l’impression de comprendre les insides des auteurs. À notre plus grand bonheur, Odorama est davantage pourvu de ces interactions et de ces références que l’était Corax de Stéphane Dompierre, nous laissant impatient de visiter les autres étages de l’édifice.

Dans la même série:

  • Stéphane Dompierre, Corax
  • Roxanne Bouchard, Crématorium Circus
  • Véronique Marcotte, Coïts
  • Patrick Sénécal, Quinze minutes

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