«Personne ne sort les fusils» de Sandra Lucbert – Bible urbaine

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«Personne ne sort les fusils» de Sandra Lucbert

«Personne ne sort les fusils» de Sandra Lucbert

Déconstruire la langue d’un système

Publié le 11 janvier 2021 par David Bigonnesse

Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Éditions du Seuil

C’est à un véritable travail de déconstruction d’une langue, d’un système, que s’est attelée l’autrice Sandra Lucbert. Avec Personne ne sort les fusils, l’écrivaine a mis sous la loupe le procès France Télécom-Orange. Le harcèlement moral dont ont été victimes de nombreux salariés de l’entreprise française a mené au suicide de plusieurs d’entre eux. À l’origine de cette tragédie, un plan de réduction massif du personnel. La littérature ne pouvait passer sous silence un tel fléau.

Que le lecteur soit avisé, Sandra Lucbert se fait ici la porte-voix des sans-voix dans cette histoire. Et pour ce faire, tout y passe: les techniques de gestion inhumaines, les règles du néolibéralisme et du marché du travail, la lutte des classes, la prolifération des problèmes de santé, etc. Rien ni personne n’est épargné.

Avec une plume chirurgicale et sans fioriture, l’auteure met en exergue les mots et phrases clés utilisés pour redéfinir un monde à l’image des besoins du capitalisme. Les salariés deviennent des «collaborateurs» et des «partenaires», le personnel doit être «agile», et les problèmes de santé mentale sont d’abord et avant tout des problèmes de nature personnelle.

Qui plus est, la métaphore et la comparaison font partie de l’arsenal de Lucbert pour montrer l’ampleur d’un univers aliénant. Aliénant parce les salariés en ont aussi accepté les codes et le langage.

À titre d’exemple, l’écrivaine française n’hésite pas à évoquer le procès de Nuremberg, jugeant le monde de nazi, avec ses bourreaux et ses exécutants, qui ont agi sans ne rien remettre en question. Elle souligne toutefois que le procès France Télécom-Orange met a contrario en scène un monde qui ne nous est pas étranger:

«Toute notre mécanique sociale devrait comparaître; et c’est impossible, parce que nous sommes à l’intérieur; elle dicte nos présupposés. On ne la voit pas: c’est par elle qu’on voit. Ainsi, le tribunal est intérieur à ce qu’il juge. Il parle la langue qu’il accuse.» 

Même si l’autrice place la déconstruction d’une langue et de son système au cœur de son œuvre, on aurait aimé plus de passages avec des descriptions des personnages et de situations, puisqu’elle excelle à créer des images fortes et pénétrantes à certains moments du récit.

Au final, Personne ne sort les fusils, publié aux Éditions du Seuil, est tout aussi audacieux dans son traitement que dans son sujet. L’affaire France Télécom-Orange fait ici office de symbole d’une machine qui broie les individus. Certains pourraient reprocher à l’auteure d’avoir une vision manichéenne de la société, mais elle a à tout le moins le grand mérite d’exposer ce qui nous opprime tous, à un moment ou un autre, dans la sphère du travail.

Personne ne sort les fusils de Sandra Lucbert, Éditions du Seuil, 2020, 156 pages, 29,95 $.

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