LittératurePolars et romans policiers
Crédit photo : Éditions Rivages
James Ellroy est un auteur américain très prolifique qui est entré dans le monde du best-seller vers l’âge de 40 ans avec le célèbre Dahlia noir, en 1987. Très patriotique et néanmoins fasciné par les vices et les travers de sa société, Ellroy aime situer ses intrigues dans le milieu policier, microcosme enchevêtré de moralité (douteuse) et de dévouement (malhonnête). Le Dahlia noir était le premier volet d’une tétralogie appelé le Quatuor de Los Angeles, série suivie de la trilogie Underworld USA. Le cycle qui s’amorce avec Perfidia situe ses intrigues et ses personnages dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale, donc antérieurement aux cycles précédents, qui s’étendaient des années 1950 aux années 1970.
Puanteur de la flicaille corrompue
Dudley Smith, sergent (fictif) détestable, pervers et criminel rencontré entre autres dans L.A. Confidential, dirige l’enquête sur la mort très suspecte des quatre Japonais. Gérant toujours plusieurs affaires pour son compte personnel parallèlement à celles du LAPD, il voudra profiter du climat de peur et d’arrestations arbitraires déclenché par l’attaque de Pearl Harbour pour s’enrichir. Ses accointances illicites multiples, dont les mafias chinoises et juives, se heurtent aux principes de droiture du capitaine (réel) William «Whiskey Bill» Parker, aussi présent dans quelques histoires déjà parues.
Le massacre de la famille japonaise intéresse aussi Parker. Comme il soupçonne Smith de vouloir boucler, ou plutôt bâcler l’enquête rapidement pour bien paraître, il garde un œil sur l’affaire par des avenues détournées. C’est ainsi qu’il fera confiance à Hideo Ashida, petit génie et seul employé japonais du LAPD. Il engage aussi Kay Lake, personnage central du Dahlia noir que l’on rencontre ici en ancienne prostituée, étudiante universitaire et amie d’un policier corrompu criblé de dettes. Les habitués d’Ellroy retrouveront ainsi beaucoup de ses personnages les plus riches du point de vue dramatique.
À l’image de ce que révélaient les écoutes électroniques systématiques qui n’épargnaient personne à l’époque, Perfidia est une histoire de «flics qui gardent des informations compromettantes sur d’autres flics au sein d’une flicocratie corrompue». La situation politique et le contexte social ne servant en réalité que d’arrière-plan, l’intrigue dont le lecteur sillonne les bas-fonds nauséabonds s’écarte peu des tractations liées aux luttes de pouvoir financier et tribal.
Une brique en style télégraphique
Rédigé de manière à multiplier les points de vue, le roman force le lecteur à revoir sans cesse son jugement sur les personnages et à réévaluer leurs motivations. Intéressante et efficace sur le plan formel, cette écriture narrative a néanmoins pour effet de ne permettre aucun attachement. Sans constituer une surprise, le style phrastique concis et froid d’Ellroy atteint d’ailleurs ici son paroxysme et ne laisse aucune émotion surgir, comme lors de cette rafle: «Des flics balancent des tungsters dans les fourgons cellulaires. Des flics bourrent les tongsters de coups de pied sur le bitume. ‘Démonstration de force.’ Musique festive et hurlements.» Il faut dire, de surcroît, que la traduction fanco-française agace un tantinet, et sur plus de 800 pages, ça devient un peu longuet. Bref, Perfidia est un exercice réussi… pour inconditionnels d’Ellroy.
Perfidia, de James Ellroy, traduit de l’anglais américain par Jean-Paul Gratias, publié aux éditions Rivages, 850 pages.
L'avis
de la rédaction