«Dans la peau de...» Aurélie Lanctôt – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Aurélie Lanctôt

«Dans la peau de…» Aurélie Lanctôt

Un regard lucide et lumineux

Publié le 25 novembre 2016 par Elise Lagacé

Crédit photo : Alexandre Claude

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Cette semaine, nous avons interviewé Aurélie Lanctôt pour discuter de l'effet Les libéraux n'aiment pas les femmes et du projet «Faut qu’on se parle».

1. Voilà plus d’un an que vous avez lancé «Les libéraux n’aiment pas les femmes», un titre percutant pour un essai qui l’est tout autant. Avec ce petit recul d’une douzaine de mois, comment percevez-vous votre essai et l’accueil qu’il a reçu?

«Cet essai a bénéficié d’un très bel accueil, ça m’a surprise et touchée. On en a beaucoup parlé, et on m’en parle encore tous les jours, ou presque. J’ai reçu beaucoup de témoignages de femmes qui m’ont dit que ce petit livre les avait fait rager, et qu’elles avaient aussi compris que les difficultés qu’elles affrontent participent d’un système. Elles disaient avoir réalisé en lisant Les libéraux n’aiment pas les femmes que ce n’est pas un hasard si leurs conditions de travail se détériorent au même moment que les services dont elles ont besoin pour mener une vie digne et autonome. Plusieurs m’ont dit que mon livre leur avait donné envie de se retrousser les manches et de résister aux assauts de l’austérité. Ces témoignages me touchent beaucoup, bien plus que les critiques flatteuses ou quoi que ce soit d’autre. Que ce petit livre ait un écho auprès des gens, c’est la chose la plus importante à mes yeux.»

2. Mêlant féminisme et politique, il s’agit d’un titre qui vous a placée à l’avant-scène de discussions très controversées. Comment vivez-vous avec ladite controverse? Votre manière de la vivre a-t-elle changé depuis la parution de l’ouvrage et ses suites?

«Je crois qu’il faut relativiser la controverse. Comme je disais, j’ai surtout reçu des réactions très positives. En fait, je crois que j’aurais aimé en découdre avec les tenants de l’idéologie que je pointe du doigt dans mon livre. Comme j’aurais aimé, par exemple, entendre la posture d’une Monique Jérome-Forget ou d’une Dominique Anglade sur les faits que je mets en exergue dans l’essai. Qu’ont-elles à répondre aux femmes que le rouleau compresseur de l’austérité isole et appauvrit, alors qu’elles disent pourtant avoir l’égalité hommes-femmes à cœur? Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de débattre avec elles. J’en suis venue à me dire que certaines personnes se trouvent dans une posture si privilégiée qu’elles planent au-dessus des débats qui touchent immédiatement à la vie des gens. Il existe, je crois, une véritable déconnexion entre les préoccupations des femmes qui se demandent jour après jour comment assurer leur autonomie, et les préoccupations des femmes – et des hommes – qui gravitent dans les sphères décisionnelles. C’est un véritable problème, parce que pendant qu’on se demande comment assurer la parité sur les conseils d’administration des entreprises, l’écrasante majorité des femmes se demandent tout bonnement si elles auront encore accès aux services publics, aux emplois et aux ressources dont elles ont besoin, demain et les jours suivants. Le fait qu’il y ait un voile entre la minorité privilégiée et la majorité des femmes empêche de travailler pleinement à l’atteinte de l’égalité.»

3. Vous faites partie des intervenants du projet «Faut qu’on se parle». Quel avenir envisagez-vous pour ce projet?

«J’ai joint Faut qu’on se parle un peu à la dernière minute, lorsque l’équipe a décidé d’agrandir son cercle de collaborateurs pour répondre à la demande incroyable d’assemblées de cuisine. L’enthousiasme suscité par le projet a dépassé les scénarios les plus optimistes, et nous nous en réjouissons. Depuis le début de la tournée, j’ai eu la chance de faire une vingtaine d’assemblées de cuisine un peu partout au Québec. Je suis complètement sciée par la volonté qu’ont les gens d’échanger de manière intelligente, respectueuse et profonde. Cette démarche me fait réaliser à quel point les Québécois sont intéressés par la chose politique, mais ils n’ont pas toujours l’occasion ni de s’exprimer ni de s’engager dans des projets porteurs.»

«Les participants des assemblés ont des profils hyper diversifiés. Des préposés aux bénéficiaires, des ingénieurs, des employés de la fonction publique, des enseignantes, des entrepreneurs, des étudiants, des retraités, des travailleurs de la construction: j’ai croisé de tout et j’ai tellement appris en échangeant avec les participants. Les gens savent ce qui est leur intérêt et ils ont de bonnes idées pour reconstruire le Québec.»

«Alors je crois, peut-être naïvement, qu’il y a réellement quelque chose qui germe au fil des assemblées de cuisine – et pas seulement de notre côté! Pour nous, l’avenir de ce projet, concrètement, c’est d’abord la production d’une synthèse de la tournée sous forme de livre, qui paraîtra cet hiver. Ensuite, les horizons sont ouverts. Est-ce que FQSP aura fait germer des initiatives autonomes? Peut-être, on le souhaite. La formation d’un parti politique, puisque c’est ce que tout le monde demande, est exclue. Mais est-ce que le collectif tel qu’il est constitué présentement mènera des projets ultérieurs? À voir. Pourquoi pas!»

4. Vous avez étudié en journalisme et, aujourd’hui, vous écrivez autant pour des blogues que des magazines. Quels liens tissez-vous entre la pratique de l’écriture journalistique à l’ère des médias numériques et le journalisme tel qu’il est enseigné?

«D’abord, je pense que ça vaut la peine de spécifier que même si, avant de faire du droit, j’ai effectivement fait un baccalauréat en journalisme, je ne me définis pas du tout comme journaliste. Oui, bien sûr, j’écris pour des blogues et des magazines, mais j’écris surtout des textes d’opinion ou d’analyse. Je n’ai pas la prétention de croire que ça fait de moi une journaliste. Il m’est donc très difficile de fournir une réponse éclairée à cette question. Je crois que dans les écoles et les facultés de journalisme, on réfléchit sérieusement aux transformations de la pratique journalistique à l’ère du numérique. Le fruit de ces réflexions commence à se traduire dans les programmes et les cours offerts, et c’est tant mieux. Mais comme je ne suis vraiment pas une experte sur la question, je ne saurais pas fournir d’opinion éclairée sur le journalisme tel qu’il est enseigné.»

5. Selon votre manière de voir les choses, l’écrit essayistique peut-il être considéré en tant qu’art?

«L’essai que j’ai écrit n’est clairement pas artistique. C’est un essai politique. Toutefois, je crois parfaitement que l’essai peut être considéré comme un art. La matière première de l’essai, c’est la société. Ensuite, l’essayiste y apporte son regard, ses mots. Certains essais que j’adore sont sans l’ombre d’un doute des œuvres d’art, du moins à mes yeux. Je pense au travail de maîtres comme Susan Sontag, bell hooks ou, chez nous, Pierre Vadeboncoeur. C’est très dommage, d’ailleurs, que l’essai, comme forme littéraire, soit si peu célébré ici. On gagnerait à mettre de l’avant le travail des essayistes. Lorsque ce travail est bien fait, l’essai ouvre de nouvelles perspectives sur le réel, il nous aide à mieux penser la société. À mon avis, c’est très important.»

Pour consulter nos chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/Dans+la+peau+de…

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