LittératureBandes dessinées et romans graphiques
Crédit photo : Pow Pow
L’autrice, d’origine française n’en est pas à sa première publication. Moi aussi je voulais l’emporter se présente comme un essai autobiographique dans lequel Julie Delporte veut comprendre comment aimer être une femme quand on apprend depuis l’enfance que le masculin l’emporte sur le féminin, une règle de grammaire qui donne son titre à l’ouvrage.
Le roman devait être, à l’origine, consacré à l’artiste suédoise Tove Jansson. Les projets de Delporte évoluent suite à une rupture amoureuse qui la pousse à se questionner sur son identité et ses aspirations. Le projet de livre sur Jansson devient alors un essai dans lequel Julie Delporte interroge son identité de femme et de féministe, mais aussi d’artiste, au fil de ses pérégrinations en Europe et au Québec.
Delporte nous invite à plonger dans ses souvenirs et son intimité avec une franchise désarmante. L’autrice s’interroge donc sur les impératifs sociaux qui modèlent la féminité: minimiser la portée d’un abus sexuel, vouloir être mère, se consacrer aux autres – entre autres.
Construit de manière non linéaire, Moi aussi je voulais l’emporter est structuré autour de constats douloureux et d’interrogations lancées au visage du lecteur comme autant d’aveux d’impuissance. Delporte se débat avec les injonctions gouvernant la féminité, avec les choix qu’on s’impose à nous même. Elle met à nu son désarroi, ses contradictions et ses aspirations; beaucoup seront familières aux femmes qui liront son essai.
Delporte livre également des discussions fouillées sur la place des femmes dans l’art. Leur corps y est largement surreprésenté et sexualisé. Mais quelle place y a-t-il pour les femmes artistes? Delporte réfléchit sur son art, son désir de s’y consacrer et sa peur de n’y parvenir. Les femmes semblent toujours manquer de temps, observe-t-elle.
Des récits de vie, des œuvres et des citations de femmes peintres, dessinatrices, autrices, ponctuent les pages du roman et lui confèrent une profondeur supplémentaire. On y découvre des femmes fascinantes et intrigantes.
Libérée de toute contrainte – sans aucune case – la mise en page laisse toute la place aux dessins lumineux de Delporte. Son médium de prédilection est le crayon, choisi de préférence dans des teintes vives et crues. Une exception, les paysages qui sont reproduits dans un style plus abstrait dans des tons pastel et plus froids évoquant l’humidité et le climat de la Norvège ou de la Gaspésie où l’autrice plante sa tente.
En jouant avec le remplissage des contours, Delporte apporte une belle diversité à ses planches; on trouve de la gouache, des hachures, des aplats de crayon estompé, parfois du vide. C’est aussi au crayon de couleur que les textes sont rédigés, calligraphiés avec soin dans un style enfantin, presque naïf, qui tranche avec leur poids.
Moi aussi je voulais l’emporter est une œuvre forte tant par son texte que par sa composition et son graphisme. Saturé de couleurs et d’émotions, porté par des propos universels et sensibles, cet essai bouleverse et inspire la sororité.
Moi aussi je voulais l’emporter de Julie Delporte, Éditions Pow Pow, octobre 2017, 252 pages. 34,95 $. Pour les anglophones: Julie Delporte, This Woman’s Work, translated by Helge Dascher and Aleshia Jensen, Drawn & Quartlery, March 2019, 256 pages. 29.95 $.
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de la rédaction