«Miley Cyrus et les malheureux du siècle» de Thomas O. St-Pierre chez Atelier 10 – Bible urbaine

Littérature

«Miley Cyrus et les malheureux du siècle» de Thomas O. St-Pierre chez Atelier 10

«Miley Cyrus et les malheureux du siècle» de Thomas O. St-Pierre chez Atelier 10

Un plaidoyer pour l’indulgence vis-à-vis notre époque

Publié le 30 mai 2018 par Maude Rodrigue

Crédit photo : Atelier 10

Dans son essai intitulé Miley Cyrus et les malheureux du siècle, Thomas O. St-Pierre dénonce le mépris qu’affichent de nombreuses personnes vis-à-vis notre époque, les jeunes et le changement qu’ils-elles incarnent. L’ex-professeur de philosophie au cégep oppose une saillie d’indulgence et de relativisme à la haine que sont tentés-es de vouer certains-es d’entre nous à l’époque contemporaine.

Dans ses ouvrages, Thomas O. St-Pierre louvoie devant les codes de la narration, prenant ouvertement parti à certaines occasions et renonçant à la neutralité intrinsèque au rôle de narrateur.

L’auteure du présent texte a décidé, elle aussi, de se jouer quelque peu des codes de la critique littéraire, osant exprimer ici le léger inconfort qu’elle ressent à l’idée de rédiger à propos de Miley Cyrus et les malheureux du siècle, Thomas O. St-Pierre ayant adressé ce clin d’œil à l’intention des critiques d’art dans son essai:

«De tous les territoires sur lesquels on peut trainer de force une œuvre d’art pour parler d’autre chose que d’art (un sujet ambigu, aride, souvent ennuyeux), aucun n’est plus satisfaisant pour les êtres humains que la moralité, et rien n’est plus moral que la condamnation d’un déclin. Cette récupération morale est d’autant plus jouissive qu’on a très peu d’opinions sur les romans et la musique, sur leurs particularités et leurs subtilités techniques, alors qu’on a les poches pleines de sentences sur le comportement des autres et la dérive de la civilisation.»

Ainsi, bien qu’il ne s’agisse pas d’un roman, elle rendra compte sommairement des propos contenus dans l’essai – afin de ne pas rebuter ceux-celles qui désireront connaître plus amplement la pensée de l’auteur -, en prenant soin de ne pas se vautrer dans la condamnation morale qu’il décrie.

La «modophobie» ou le mépris de l’époque

Un néologisme de l’auteur, la «modophobie» («modo» référant à «récemment, à l’instant»), encapsule cette idée de haine contre l’époque. Un tel ressentiment constituerait une manière de ne pas endosser les travers de la société: «tonner contre son temps, c’est s’exclure de ses inélégances», affirme à ce titre l’écrivain.

Le mépris envers notre époque dissimulerait, en outre, la peur de la mort. Voir les jeunes d’aujourd’hui refuser d’être les dépositaires des attributs de sa propre jeunesse, c’est ainsi craindre de se voir soi-même reléguer aux oubliettes. Thomas O. St-Pierre étaye sa réflexion par le truchement de la vie de Miley Cyrus, figure iconographique de la culture populaire et «objet privilégié du mépris contemporain».

Jeunesse, succès et scène

La réflexion de St-Pierre s’axe sur trois thèmes: la jeunesse, le succès et la scène.

Dans un premier temps, l’auteur révèle l’ambivalence que ressentent ceux dont l’embarcation quitte les rives de la jeunesse pour dériver vers un enlaidissement inéluctable. Les corps toniques sur lesquels le poids des années ne s’exerce pas encore suscitent un mélange d’admiration, de nostalgie et de mépris. Tandis qu’on souhaiterait prolonger sa propre jeunesse, on s’indigne devant les jeunes d’aujourd’hui qui adoptent des comportements différents des nôtres à leur âge.

Thomas O. St-Pierre analyse ensuite notre rapport ambigu au succès de même que notre refus de reconnaître la qualité de la culture populaire. Un individu érige son identité sur la base de ses intérêts. Or, en admettant qu’il aime la même chose que la large majorité, il tourne le dos à une occasion de marquer son unicité propre, d’où la tendance chez l’être humain à prétendre dédaigner ce qui est maculé du succès populaire.

Puis, la question des médias sociaux et de la scène est approfondie. L’écrivain est d’avis que le désir de se mettre en scène est inhérent à notre nature plutôt qu’il ne serait le fruit de notre époque ou simplement exacerbé par celle-ci. Ainsi, les réseaux sociaux seraient une illustration – parmi bien d’autres au cours de l’histoire – de notre tentative perpétuelle de nous construire et de nous révéler aux autres.

Avant toute chose, c’est cette distinction entre ce qui relève de l’époque et ce qui se rapporte plutôt à la nature foncière de l’être humain que Thomas O. St-Pierre s’applique à révéler. En ce qui a trait à la jeunesse, celle-ci constituerait en fait une posture sensiblement constante au fil des époques, subissant toutefois l’influence respective à chacune d’entre elles. De fait, quoi qu’on prétende, la jeunesse d’autrefois se caractérisait, elle aussi, par la prise de risques, l’impétuosité, la fougue…

Qui plus est, ceux qui s’acharnent à plaquer les éléments de leur propre jeunesse sur celle d’aujourd’hui s’offusquent qu’ils ne siéent pas à cette dernière. Or, en réalité, la nostalgie que suscite chez les adultes leur propre jeunesse idéalisée, dont les aspérités ont été policées par le passage du temps, revient à regretter un «âge d’or» qui, en réalité, n’a pas forcément existé.

Une réussite renouvelée de la part d’Atelier 10

Le style de Thomas O. St-Pierre est fort bien maitrisé, l’écrivain maniant l’art de la métaphore et jetant l’éclairage d’un humour réjouissant sur les constats qu’il dresse. On sourit à la lecture des conseils qu’il prodigue pour exercer efficacement la modophobie, pour «faire oublier son succès» ou encore pour «s’indigner sur Internet». Sa pensée croise celle de penseurs illustres. Proust, Tolstoï, Rousseau, André Laurendeau (dont on est heureux de se familiariser avec le principe de charité intergénérationnelle), Benjamin Constant et Ugo Gilbert Tremblay sont du nombre.

Comme à son habitude, Atelier 10 fournit une matière dense, mais néanmoins accessible. Bien qu’on souhaite en partager le contenu avec autrui, on tiendra à récupérer sa copie annotée de Miley Cyrus et les malheureux du siècle afin de s’y plonger à nouveau lors de soubresauts de ressentiment envers la société d’aujourd’hui.

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