«Lettres à une jeune cinéaste» de Micheline Lanctôt – Bible urbaine

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«Lettres à une jeune cinéaste» de Micheline Lanctôt

«Lettres à une jeune cinéaste» de Micheline Lanctôt

Fascinante leçon de cinéma

Publié le 17 février 2016 par David Bigonnesse

Crédit photo : www.sogides.com

Après Lettres à un jeune politicien de Lucien Bouchard et Lettres à un jeune chef de Jérôme Ferrer, VLB Éditeur nous propose la vision de Micheline Lanctôt sur le métier de réalisatrice. Artiste talentueuse, femme cultivée et politisée, la réalisatrice nous livre ses huit Lettres à une jeune cinéaste avec sa franchise habituelle, ce qui rend cet essai pertinent, éclairant et aussi déstabilisant.

Avec un titre comme «Le métier stupide» pour sa première lettre, Micheline Lanctôt donne le ton aux lettres qui suivront. En fait, oublier les lunettes roses. Elle avoue d’ailleurs la réalité suivante: exercer le métier de réalisatrice n’a jamais fait partie de ses plans ni de ses désirs inavoués. La cinéaste québécoise vient plutôt du cinéma d’animation.

Lanctôt poursuit dans sa deuxième lettre, «Écrire un film», avec l’écriture scénaristique en soulignant avec justesse qu’un scénario n’est pas une œuvre littéraire, alors que dans «Raconter une histoire», elle met en exergue le fait que c’est la caméra et les éléments du métrage qui construisent le récit.

La réalisatrice de Pour l’amour de Dieu (2012) et Autrui (2014) s’attaque à «Un métier d’homme». Partie fort incontournable de ce livre pour une jeune femme souhaitant embrasser le métier de cinéaste. Elle raconte ses expériences au cinéma d’animation, la façon dont on juge les œuvres des femmes artistes dans le milieu et met surtout en relief le double standard qui existe entre les confrères masculins et féminins.

Pour la cinquième lettre, «L’acteur de cinéma», l’attrait du propos réside dans le fait que Micheline Lanctôt «en est une». Elle a donc un regard autre, car elle comprend à la fois la posture du réalisateur et celle de l’actrice. On est chamboulé dans ce texte, alors que la cinéaste dévoile les difficultés d’être acteur au grand écran. Toutefois, l’actrice principale de La vraie nature de Bernadette de Gilles Carle (1972) affirme que la raison d’être de l’acteur au cinéma se trouve notamment dans la pérennité de l’œuvre dans laquelle il incarne son personnage.

La partie la plus intéressante de la lettre «Les œuvres, le public et la critique» est sans aucun doute lorsque Lanctôt soulève les problèmes liés au parcours du film, c’est-à-dire la production, la distribution et la diffusion. Elle réussit à illustrer que les ficelles tirées par les décideurs de ces trois grandes étapes ne favorisent pas toujours le rayonnement d’un film en salles.

Dans «De l’idée à l’écran», la réalisatrice trace le chemin général à travers lequel un cinéaste doit passer pour voir son film dans les salles de cinéma. Elle explique la nature de l’industrie cinématographique d’ici, les organismes subventionnaires, les avantages et inconvénients d’un système étatique de financement de la production, et rappelle que «Malgré ses imperfections, notre industrie subventionnée a donné l’occasion de s’exprimer à beaucoup de gens de talent qui n’auraient pas pu le faire autrement.»

Pour conclure cet essai, la cinéaste de L’Homme à tout faire (1980) récapitule l’évolution de la perception visuelle chez l’humain à travers les transformations technologiques de l’image. Micheline Lanctôt souligne dans «Quel avenir pour le cinéma?» les changements qui affectent et continuent d’affecter l’ensemble de la communauté qui gravite autour du cinéma. Pleine de questions sans réponses, puisque tout se transforme, la dernière lettre est la moins intéressante et captivante du lot, peut-être parce qu’elle s’avère trop fourre-tout.

D’un point de vue formel, en utilisant le «je» et en s’adressant à son interlocutrice au «tu», la réalisatrice se conforme bien au genre qu’est la lettre, ici davantage une thématique déployée sur plusieurs pages qu’une lettre en bonne et due forme. Il n’y a pas d’abus de ces pronoms personnels et l’on saisit très vite qu’ils sont employés avec un fond loin du témoignage du journal intime.

Loin de s’imposer en maître absolu de la vérité, la cinéaste nous éclaire avec des titres qui correspondent au sujet traité et en intégrant de manière limpide, sans lourdeur, l’histoire du cinéma, des nouvelles technologies ainsi que de la société en général. D’ailleurs, la réalisatrice de Sonatine (1984) n’assène pas sa correspondante par une abondance d’exemples tirés de ses propres créations. Avec des exemples aussi variés dans le temps que dans le style, la professeure nous offre alors une plus large vue d’ensemble de la planète cinéma.

Au final, on retrouve l’honnêteté respectueuse de Lanctôt dans sa critique de la société, puisqu’elle vise justement à ce que cette jeune cinéaste connaisse la réalité de la profession artistique, sans ambages. Il n’y a pas de doute que le surgissement d’interrogations s’active dès les premières lignes de chaque lettre. De surcroît, les thèmes explorés par la cinéaste sont d’une brûlante actualité et risquent de l’être pour longtemps. La lecture est d’autant plus savoureuse.

«Lettres à une jeune cinéaste» de Micheline Lanctôt, VLB Éditeur, 2015, 144 pages, 18,95 $.

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