LittératurePoésie et essais
Crédit photo : Boréal
De ses études chez Jacques Lecoq à Paris, où elle a réalisé qu’elle aimait mieux observer les acteurs que d’être sur scène à leurs côtés, jusqu’à la direction de la Nouvelle compagnie théâtrale (aujourd’hui le Théâtre Denise-Pelletier) où elle a pris conscience qu’il lui était impossible de travailler en devant constamment plaire à un conseil d’administration qui a plus à cœur le bénéfice de la compagnie que la qualité des productions qu’on y présente – ce qui la mena à la création de sa propre compagnie dans les années 1990, Sibyllines – Brigitte Haentjens passe tout son parcours en revue. Par la bande, ça nous permet d’en découvrir plus sur sa vie, sur ses créations, et surtout, sur sa vision du métier.
Haentjens est une femme des «pourquoi pas?» Pourquoi pas des lumières néons plutôt que traditionnelles? Pourquoi pas aucun décor? Pourquoi pas 50 interprètes sur scène? Rien ne semble arrêter cette artiste, qui ne travaille pas sur les mots, mais bien sur une image, une intuition que le texte a imprégné en elle. Que peut bien vouloir signifier être fidèle à un texte, de toute façon, puisque celui-ci n’existe pas dans l’absolu et qu’il prend donc inévitablement le regard de celui qui le lit et le met sur pied?
Totalement investie dans ses projets, Brigitte Haentjens ne s’assoit pas sur sa réputation et cherche encore et toujours la posture, le ton, le décor, le costume et le souffle parfait, qui permettra autant à ses comédiens fétiches (Anne-Marie Cadieux, Marc Béland, Céline Bonnier, Sébastien Ricard, pour ne nommer que ceux-là) qu’à sa production de briller et de faire résonner quelque chose chez le public. Très attachée et respectueuse de ses interprètes, la metteure en scène laisse bien sentir qu’il se développe quelque chose de très spécial entre eux pendant le processus de création et de direction.
En ne donnant pas de réponse claire aux questions qui pourraient nous traverser l’esprit à la lecture de Un regard qui te fracasse (Comment choisit-elle les textes qu’elle monte? Y a-t-il un fil conducteur entre ses productions? Etc.), Haentjens ne donne pas dans le prêt-à-mâcher et les recettes toutes faites: elle donne dans la réflexion. La condition féminine dans les œuvres théâtrales ainsi que le statut de femme artiste et le fait de conjuguer vie artistique et vie de famille sont, on pourrait s’y attendre, deux des sujets de prédilection de la metteure en scène.
Mais cette femme impliquée, témoin des développements de l’art dans différentes cultures (la France, l’Ontario francophone, puis le Québec), se lance aussi dans des réflexions sur la place de la culture dans la société québécoise, à l’impact de la familiarité entre acteur et metteur en scène, et même au problème de traductions françaises des pièces au Québec.
Cette passionnée semble poser son regard sur tout et, presque comme un mentor dont on n’aurait qu’à s’abreuver des paroles pour apprendre sur la vie, sur le métier et sur le théâtre, elle raconte ici sa propre expérience, simplement, sans laisser entendre que ce soit le bon ou le mauvais chemin. En nous parlant de ses différents coups de cœur en mise en scène, en arts visuels, en littérature et en cinéma, elle nous fait plutôt comprendre, sans le suggérer, l’importance d’être ouvert, de découvrir tous les types d’arts et de partout dans le monde, pour s’imprégner des talents des autres et ainsi nourrir le nôtre.
De Bertol Brecht à Heiner Müller en passant par Bernard-Marie Koltès, Brigitte Haentjens révèle ceux qui l’ont chavirée, elle, mais il va sans dire que l’essai regorge de références diverses très personnelles à l’artiste et qu’on ne saurait se sentir interpellé par toutes autant qu’elle l’a été. Faut-il pour autant avoir vu ou connaître toutes ses créations et tous les créateurs mentionnés pour apprécier cet essai?
Certainement pas, puisque au-delà de ces indications, c’est la passion, la vision de la mise en scène et la technique de travail d’Haentjens qui intéresse, même fascine.
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de la rédaction