LittératureL'entrevue éclair avec
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Ronald, c’est un plaisir de discuter avec vous aujourd’hui! Au cours de votre carrière, vous avez été journaliste et réalisateur à Radio-Canada, et on peut dire que votre flamme pour l’écriture ne s’est jamais réellement éteinte. Parlez-nous brièvement de votre parcours professionnel, notamment de ce qui alimentait vos passions pour l’actualité et la réalisation, et de ce moment où vous avez ressenti l’appel pour la littérature.
«J’ai grandi dans une ferme du sud du Manitoba. Trois ou quatre fois par année, mes parents nous amenaient dans les grands magasins de Winnipeg. – Oh! Les fish and chips du troisième étage du magasin Eaton’s! Pour mon douzième anniversaire, ma mère m’a proposé de choisir un livre à la librairie du magasin. J’ai pris The Call of the Wild (L’appel de la forêt) de Jack London, parce qu’il y avait un chien sur la couverture. Je l’ai lu d’un trait et, en refermant le livre, je me suis dit: “Voilà ce que je ferai de ma vie”. Écrivain, pas dompteur de chiens!»
«Encore fallait-il la gagner, cette vie. J’ai découvert l’actualité avec l’assassinat du président Kennedy. Je dévorais le Winnipeg Free Press et je faisais un bulletin de nouvelles pour les copains qui n’en demandaient pas tant. Dans ma petite ferme reculée, CBC/Radio-Canada me semblait une cathédrale de l’intelligence et de la raison. J’ai déchanté un peu en y entrant… mais pas tant que ça!»
Pour ceux qui l’ignoraient – il n’est jamais trop tard pour apprendre tout un tas de choses! –, vous êtes l’auteur de quatre romans, à savoir Tous des loups, duquel nous aurons la chance de jaser dans quelques instants, Tchipayuk ou le chemin du loup, lauréat du Prix Champlain, Le bonheur à Memracook et Le village entré dans le silence. Quels sont les thèmes chers pour vous, et pourquoi la nature occupe-t-elle une place aussi prépondérante dans vos récits?
«Les enfants d’agriculteurs ne connaissent que la nature, sans trop le savoir. Le soir, en donnant le foin aux vaches ou en sortant le fumier (activités connexes, s’il en est) je roulais en tracteur sous des masses d’étoiles et de feux polaires. La prairie est un planétarium. L’été, entre deux fenaisons, on visitait les lacs sur la frontière ontarienne. Pour un gamin des plaines, la forêt boréale est un éblouissement. Seulement, voilà… Je prends conscience, aujourd’hui, que je suis né dans un pays de quinze millions d’habitants et que nous serons bientôt quarante. À l’école, on nous apprenait que la planète portait trois milliards de bipèdes. Aujourd’hui, près de huit. Tout cela en l’espace d’une seule vie humaine.»
«Mes thèmes: l’intergénérationnel, l’orgueil, et l’immense difficulté que nous avons à nous voir tels que nous sommes vraiment, comme individus et comme espèce.»
Depuis le 21 septembre aux éditions Fides, votre plus récente parution, Tous des loups, est sortie en librairie. Dans ce roman policier dont l’histoire se déroule en 1914 dans le Nord canadien, on avance à tâtons, comme sur nos gardes, sur une terre hostile où votre protagoniste, Matthew Callwood, un jeune policier tout ce qu’il y a de téméraire et d’ambitieux, part à la chasse d’un fugitif. En effet, un homme en cavale est accusé d’avoir assassiné sa femme et son enfant et, depuis cette tragédie, il se terre dans la forêt boréale. D’où vous est venue l’inspiration pour cette histoire? Partagez-nous aussi vos modèles d’inspiration, on est curieux de savoir quelles sont vos idoles en matière de roman policier!
«Vous allez rire, mais autrefois, les petits garçons de l’Ouest rêvaient d’entrer à la GRC. L’uniforme rouge, les armes, les chevaux, l’entraînement de six mois réputé surhumain, tout cela formait un mythe fabuleux! J’ai rencontré des policiers, par la suite, largués dans des villages nordiques, isolés, largement désœuvrés, tenus à distance par les communautés autochtones, se rongeant les sangs en se demandant s’ils étaient des «vrais». Première inspiration pour ce roman. Puis le culte de la guerre de 14-18. Je ne sais trop pourquoi, mais chez nous, il n’y avait que la Première Guerre mondiale qui comptait. Par nostalgie de l’Empire, peut-être.»
«Mon idole en matière de romans policiers: Fred Vargas. Une autrice géniale. – D’ailleurs, pourquoi ce sont les femmes qui dominent dans le polar? – Un style enlevé, des personnages attachants. Ses intrigues sont si fantasques qu’on ne peut y croire, mais j’aime mieux ça que les enchaînements d’improbabilités ou le gore. Le meurtre, le vrai, est sordide et prosaïque.»
«En faire un petit jeu intellectuel aseptisé à la Agatha Christie m’a toujours paru curieux. Cela dit, comment ne pas aimer Hercule Poirot? C’est Marcel Proust en détective!»
Sans trop nous dévoiler de détails croustillants – on se confesse: on déteste les divulgâcheurs et, bien évidemment, on aimerait que la surprise reste intacte pour nos lecteurs∙trices! – parlez-nous de la façon dont vous avez ficelé votre intrigue et des défis que votre protagoniste rencontrera en chemin.
«Notre héros est entré dans la police par idéalisme. En arrivant dans son premier détachement, il apprend, effaré, qu’il va se tourner les pouces pendant deux ans. Dans les journaux qu’on daigne lui envoyer tous les trois mois, il apprend que la guerre est déclarée et que ses camarades de classe partent pour l’Europe.»
«Désespéré, il se lance aux trousses d’un fugitif qui n’existe peut-être pas. Par miracle —l’innocence a ses droits —, il relève la trace du meurtrier et le duel s’engage. En cours de route, le doute s’installe, les allégeances s’embrouillent, les grands principes du jeune policier en prennent plein la gueule…»
Depuis que vous êtes écrivain, y a-t-il une bribe d’histoire qui traîne dans l’un des tiroirs de votre conscience et que vous n’avez jamais ouverte, faute d’avoir trouvé l’inspiration divine? Si oui, on serait curieux d’en connaître la teneur! Et sinon, on veut bien savoir sur quels projets vous allez travailler dans les prochains mois, histoire de vous suivre à la trace!
«Il y a longtemps que je rêve d’écrire une histoire d’amour. Tout est prêt: les personnages marchent et respirent déjà. Mais quand je déroule l’intrigue devant ma femme, mes filles ou mon éditeur, j’ai droit à des regards vitreux où je peux lire: “Vraiment? T’es sérieux?”»
«En ce moment, je travaille à un roman qui se passe dans les plaines de l’Ouest, à la toute fin du XIXe siècle, avec pour toile de fond la destruction des troupeaux de bisons.»
«Suivez-moi à la trace si vous voulez. Mais prenez garde: ça peut être long. Quatre romans en trente-cinq ans… ça vous donne une idée?»