LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Josée Lecompte
Pierre, comment allez-vous? On est heureux de vous accueillir à cette série d’entrevues! Vous êtes cardiologue à l’Hôpital du Sacré-Cœur à Montréal et professeur de médecine à l’Université de Montréal. Parlez-nous brièvement de votre parcours professionnel et de votre motivation à vouloir aider et «sauver la vie» d’autrui avec le métier essentiel que vous pratiquez aujourd’hui.
«Merci de m’accueillir! Très heureux. Quand est venu le temps de choisir une carrière, j’étais attiré par la science, mais aussi par l’aspect humain; celui d’aller vers les gens. J’envisageais aussi l’enseignement, me voyant déjà dans le rôle de formateur. Puis, la médecine s’est naturellement imposée, étant au confluent de la science et de l’humanisme. J’ai pu marier le tout en pratiquant mon métier en hôpital universitaire, donc en étant en contact avec des étudiants et des résidents en formation, afin de partager le savoir et l’expérience, tout en étant grandement stimulé par eux.»
«La cardiologie s’est par la suite imposée comme une spécialité par son aspect aigu et l’adrénaline qui vient avec. Ma surspécialité a été pendant trente ans l’intervention coronarienne pas cathéter, technique où l’on désobstrue les artères coronaires, en particulier à la phase aigüe d’un infarctus dès qu’il survient, de jour comme de nuit. Ces interventions urgentes, à l’aide d’une équipe de professionnels dévoués, créent des expériences et des liens marquants pour nous.»
«J’amorce maintenant un lent sevrage de ma pratique médicale pour faire place à une autre passion.»
Malgré un rythme de vie qu’on devine sûrement fort occupé, vous avez su utiliser votre énergie restante à bon escient puisque vous avez trouvé l’espace nécessaire, durant vos temps libres, pour mieux apprivoiser l’écriture. Avant de vous lancer dans la grande épopée que représente la création d’un roman, aviez-vous l’habitude de griffonner des notes dans un calepin, ou encore de vous évader dans votre tête, comme emporté par la vivacité de votre imagination?
«Oui et oui. Mes calepins modernes sont dissimulés dans mon téléphone et ma tablette où j’accumule des “Pensées littéraires” depuis des années. Maintenant que je vous en parle, il me vient à l’idée que je devrais peut-être les verrouiller avec un mot de passe!»
«Depuis que j’ai amorcé sérieusement la rédaction de mon premier roman, et du deuxième, effectivement, il m’arrive fréquemment, de façon inattendue, d’avoir une idée pour un paragraphe ou un rebondissement. Cela peut arriver de jour, de soir, de nuit. Je griffonne alors le concept sur un papier collant auquel je reviens au moment propice. J’en accumule une bonne quantité!»
«L’évasion dans ma tête est constante. Mon esprit hyperactif s’arrête trop peu souvent… Mais j’ai la chance d’en contrôler assez efficacement les tiroirs que je peux ouvrir et fermer quand vient le temps de me concentrer sur une tâche précise. La vie quotidienne, les expériences et les rencontres sont un flot constant d’émotions qui, parfois, sans crier gare, m’amène à réfléchir, à transformer et à illustrer. Sans parler de la richesse de l’offre artistique et culturelle de Montréal qui stimule constamment la créativité.»
«Un artiste dit ou montre quelque chose et met en branle un effet domino qui va amener son voisin à pondre une nouvelle image.»
Vos efforts ont visiblement porté leurs fruits, puisque Notre possible, votre premier roman, paraît en librairie dès aujourd’hui chez Libre Expression. À travers cette histoire qu’on qualifie de chorale, on suit Nathalie et Paul, un «couple modèle» pour qui la vie semble sourire à pleines dents: «belles carrières, beaux enfants, belle maison, beau chalet, beaux voyages. Mais cette vie de famille parfaite s’effrite: maladie, infidélité, remises en question, appels à l’aide…» Au fil des chapitres, on vit, à travers les points multiples de vos personnages, une année dans la vie de ce «couple ordinaire», pas si différent des autres, qui va devoir surmonter les épreuves afin de sortir indemne de cette impasse. On est curieux: d’où vous est venue l’inspiration pour ce roman du quotidien, qui explore les thèmes de la famille, de la vulnérabilité et des blessures à vif?
«J’ai porté une grande attention à tenter de me mettre dans la peau de Nathalie, autant que dans celle de Paul, puis de Florence, sa psychologue, et de donner voix à chacun d’entre eux, imaginant ce qu’ils pouvaient ressentir.»
«Mon inspiration, ma prémisse, le défi que je m’étais lancé, c’était de soumettre des gens ordinaires, comme vous et moi, à des épreuves relativement courantes afin d’illustrer l’intensité des émotions qu’ils vivent. Partir du point de vue que les animaux imaginaires, les extraterrestres, les détournements d’avion ou encore les sorciers maléfiques ne sont pas fréquemment rencontrés par le commun des mortels, mais que, pourtant, nos vies sont emplies de bouleversements et d’émotions fortes.»
«Je souhaite faire pénétrer le lecteur au cœur des cahots émotionnels qu’ils vivent.»
D’après vous, un coup le livre refermé, avec quelles émotions nos lecteurs et lectrices regagneront-ils leur quotidien après avoir vécu auprès de vos personnages durant toutes ces heures de lecture?
«J’espère qu’ils se diront que nous sommes tous dans le même bateau, que nos existences comportent toutes des défis inévitables et que nous n’avons d’autre choix que de faire de notre mieux pour les affronter et rester à flot.»
«L’embarcation peut prendre l’eau ou même chavirer une ou deux fois, mais il faut trouver la force d’écoper et de continuer. Et aussi se dire qu’il est bien normal d’avoir des hauts et des bas, que tout n’est pas toujours rose, mais qu’en prenant le temps de se regarder nous-même et nos proches, on peut espérer garder un équilibre relatif qui sera, par définition, imparfait et variable. La “réussite” de nos vies s’évalue sur le moyen et le long terme. Bon, tout ceci est très moralisateur!»
«Je souhaite aussi montrer qu’il ne faut pas hésiter à mordre dans la vie, à faire des folies, à plonger dans le vide. Un peu comme un cardiologue qui décide de s’improviser romancier…»
Et alors, est-ce que cette aventure comme primo-romancier vous a donné la piqûre du deuxième roman? On l’espère, en tout cas, car ça nous donnerait une belle occasion, dans un futur proche, de poursuivre la discussion avec vous!
«Cette aventure me transporte effectivement. Les idées bouillonnent, le synopsis du deuxième est en chantier, quelques paragraphes ont été couchés sur la page.»
«Il ne s’agit pas d’une suite à Notre possible! Je me poserai un nouveau défi, différent du premier, celui d’amener le lecteur dans une autre direction.»
«Ce fut un plaisir de répondre à vos questions. Je poursuivrai volontiers la discussion au prochain.»