LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Trevor Walker
Karen, on aimerait beaucoup savoir: à quel moment as-tu eu le déclic pour la littérature?
«J’ai eu un coup de foudre pour la littérature à l’école secondaire (John Steinbeck dans mes cours d’anglais, et Albert Camus dans mes cours de français). Ces histoires squelettiques et déstabilisantes me faisaient voir à quel point mes petits problèmes d’adolescente n’étaient que des poussières. Je me souviens avoir appris par cœur certains passages parce qu’ils évoquaient des couleurs faisant partie d’un plus grand tableau (la cravate de l’avocat, par exemple, ou les sécheresses des terres de l’Oklahoma dans Les raisins de la colère de Steinbeck).»
«Ma fascination pour la littérature a aussi été nourrie par mes parents qui lisaient beaucoup et nous racontaient les histoires de leurs cultures respectives. Ma mère, Acadienne, nous parlait d’Évangéline et du grand dérangement, tandis que mon père nous racontait que le Viking Erik le Rouge (père de Leif Erikson) fut banni au Groenland pour avoir participé à une violente rixe. Pour nous faire sourire, il nous disait que ce colonisateur était tellement grand que, lorsqu’il montait à cheval, ses pieds traînaient sur le sol.»
Il paraît que, dès ton plus jeune âge, tu as été attirée par les arts. Tu as d’ailleurs suivi un cursus de deux ans aux beaux-arts, en plus de faire paraître en 2009 un premier livre illustré, Osemo The Rainbow Zebra, qui a été nominé aux Saskatchewan Book Awards. Est-ce ton amour pour les arts visuels, en quelque sorte, qui t’a menée à l’écriture?
«Oui, sans doute. J’ai fait deux ans en dessin et gravure à l’eau-forte, avec un brin de sculpture. Travailler le cuivre est une forme d’alchimie. Il faut transposer un dessin – comme un négatif – dans la résine préparée, et retracer l’image pour laisser son impression sur la plaque de métal. Sans rien brusquer, on place enfin l’œuvre dans un bain d’acide nitrique qui doit mordre le cuivre aux endroits découverts.»
«Je trouvais difficile de travailler avec tant de produits toxiques et les encres me limitaient à une gamme étroite de couleurs. Osemo The Rainbow Zebra m’offrait la chance de faire des dessins tout en couleur et raconter une histoire en même temps. Ce premier projet a mis le feu aux poudres. Je voulais raconter une histoire bien étoffée à partir d’un point de vue inattendue, à l’intérieur d’un cadre historique. Au départ, les arts m’offraient une source riche de faits, en plus d’un puits inépuisable de récits. Ne restait plus qu’à trouver le fil conducteur.»
Le 17 août, ton nouveau roman Vincent et Gabrielle est paru aux Éditions David. Au fil des pages, on découvre l’histoire de Gabrielle, 90 ans, qui se remémore sa rencontre avec Vincent Van Gogh à l’âge de 15 ans, ainsi que l’amitié qu’elle a nouée avec lui alors que la vie du peintre était plus que jamais tourmentée. Où as-tu puisé l’inspiration, et qu’est-ce qui t’a donné envie de parler des déboires et de la déchéance de ce grand artiste?
«Pour écrire un livre qui tiendrait la route, il fallait commencer par une ressource vitale, c’est-à-dire un outil qui me permettrait de “déballer” une histoire crédible. C’est à partir de deux ouvrages que j’ai reçus par un heureux hasard, Van Gogh: The Life de Steven Naifeh et Gregory White Smith et Van Gogh’s Ear: The True Story de Bernadette Murphy, que l’histoire a trouvé sa mouture.»
«Ces auteurs ont avancé de nouvelles théories sur la mutilation de Van Gogh et la fin tragique de sa vie. J’ai bâti l’histoire à partir de la perspective de Gabrielle, tout en suivant l’ordre chronologique des tableaux que l’artiste a peints pendant son séjour dans la ville d’Arles. L’écriture est un processus qui suit la même rigueur que les gravures à l’eau-forte. Il ne faut rien brusquer et faire confiance à l’équipe qui nous accompagne, pour arriver à offrir une histoire captivante pour les lecteurs et les lectrices.»
Et alors, où t’es-tu documentée, et sur quoi t’es-tu basée pour décrire le plus fidèlement possible l’histoire et l’environnement dans lequel Van Gogh a évolué à la fin du XIXe siècle?
«En plus des livres mentionnés ci-dessus, j’ai lu toutes les lettres que Vincent Van Gogh a écrites à son frère Théo. C’était important de bien situer l’histoire selon les faits historiques des années 1880 dans la ville d’Arles. J’ai dû aussi me renseigner sur la destruction de la ville au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il fallait également bien brosser le portrait de Van Gogh.»
Si tu avais la chance de pouvoir inviter à ta table un.e auteur.e ou un.e peintre que tu admires, encore en vie ou décédé.e, qui choisirais-tu et de quoi parleriez-vous ensemble le temps d’un bon repas?
« Il y aurait Élisabeth Vigée Le Brun, artiste peintre. C’était la portraitiste officielle de la reine Marie-Antoinette et des grandes cours d’Europe. Je lui poserais entre autres la question suivante: “Comment était-ce possible de vivre de votre art au cours des tumultes en France à l’époque où vous y viviez?”»
«Et puis, j’inviterais Federico García Lorca, poète et dramaturge espagnol, qui a été arrêté à Grenade le 16 août 1936 et fusillé trois jours plus tard près de la Grande Fontaine que les Maures appelaient “La fontaine aux larmes”. Je lui demanderais: “Lequel de vos deux grands amis, Salvador Dalí et Pablo Neruda, a exercé une grande influence sur vous? Et si vous aviez à choisir entre la peinture et la poésie, quel serait votre choix?”»