LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Bernard Grégoire
Francine, ta formation comme doctorante en Études littéraires et ton expérience dans l’enseignement semblent extrêmement riches. Dis-nous tout: d’où t’est venue la piqûre pour la littérature et qu’est-ce qui t’a donné envie de partager tes connaissances?
«Lorsque j’avais 4 ans, ma grande sœur allait à l’école. Quand ma mère lui faisait faire ses devoirs et réviser ses leçons, je m’assoyais près d’elle et j’effectuais le même travail. J’ai rapidement appris à lire et à écrire.»
«J’ai enfin commencé à aller à l’école. La maîtresse (comme on l’appelait à cette époque) nous avait distribué de petits livres pour enfants. J’ai terminé la lecture du mien avant même qu’elle fût retournée à son bureau. Je me suis levée pour lui en demander un autre, car j’adorais lire. Elle m’a alors répondu que je ne pouvais pas avoir lu tout ce livre aussi rapidement. Me demandant de lui réciter l’histoire, elle fut surprise de constater que c’était pourtant bien le cas. J’ai eu droit à un autre petit livre, mais je ne me suis pas relevée une fois la lecture terminée: j’étais trop timide.»
«Aussi, j’étais probablement la seule à l’école primaire qui adorait faire de l’analyse grammaticale. Depuis, je n’ai pas cessé de lire et d’écrire. Alors, d’où m’est venue la piqûre pour la littérature, je me le demande…»
«Ce qui m’a donné envie de partager mes connaissances, c’est le constat des mêmes erreurs qui se répétaient constamment dans les textes que je corrigeais à l’époque.»
«Les deux premiers cours que j’ai conçus avaient pour but d’inciter les auteurs en herbe à éviter ces erreurs. Améliorer mon écriture s’attaquait, entre autres, aux fautes de grammaire récurrentes, aux maladresses syntaxiques et aux lourdeurs stylistiques. Création littéraire: la nouvelle enseignait à comprendre qu’une nouvelle n’est pas un «résumé de roman», à maîtriser la narration, à concevoir des personnages avec une certaine profondeur et à comprendre les différents aspects de l’écriture de fiction. La popularité de ces cours a entraîné la création d’autres cours comme Le dialogue, Les figures de style, Le pastiche au service de la création et plusieurs autres.»
«Ce qui m’a incitée à poursuivre cette mission, c’est le résultat: des étudiants qui publiaient, des gens heureux de partager leur amour des mots et aussi le plaisir d’enseigner.»
Par ailleurs, tu as aussi bien rédigé – ou co-écrit – des ouvrages de croissance personnelle, des nouvelles policières et de science-fiction, ou encore des poèmes. Qu’est-ce qui fait de toi une autrice aussi éclectique et allumée par tous ces genres littéraires à la fois?
«J’ai dû travailler très fort pour me sortir de mon manque de confiance, de ma peur des gens et de tous les «horribles» défauts qui pourrissaient ma vie: de nombreuses lectures, des séminaires, l’aide de personnes formidables et surtout une persévérance à toute épreuve. Avec mon livre Le travail sur soi, j’ai voulu partager les solutions qui m’ont aidée à trouver le bien-être intérieur. Les poèmes que j’ai écrits s’inscrivent dans cette démarche introspective.»
«Pour ce qui est de la fiction, je lis de tout, j’aime tout, ou presque: la littérature générale, le policier, la science-fiction, l’action, l’histoire. J’ai joué de la musique, je fais de l’origami, je pratique des arts martiaux, j’ai un chien et je me passionne pour l’éducation canine, je joue au badminton, je marche en raquettes, je tire du couteau et je viens de commencer l’aquarelle.»
«Même quand j’étais petite, je voulais tout essayer. J’ai souhaité devenir Zorro, Perry Mason, Monsieur Spock, sauver le monde… J’ai écrit des nouvelles de littérature générale, de science-fiction, des nouvelles policières et ce roman historique qui vient de sortir.»
«Je ne veux pas me cantonner dans un créneau, me confiner dans un seul couloir étroit. Pourquoi est-ce que je devrais me restreindre? En anglais, on dit: the sky’s the limit. Je préfère l’équivalent français: les possibilités sont infinies; c’est moins… limitatif!»
Ton roman historique Shinobi: La naissance d’un ninja – Tome 1 vient tout juste de paraître aux Éditions Fides. Pourquoi avoir décidé de plonger tes lecteurs dans le Japon du milieu du XIe siècle, et comment t’es-tu documentée pour que l’histoire soit la plus réaliste possible, empreinte de l’atmosphère qui régnait à cette époque et dans ces lieux?
«Je pratique le Ninjutsu depuis avril 1987 au dojo Bujinkan Québec. Depuis vingt ans, je vais au Japon chaque année pour m’entraîner avec le grand maître Masaaki Hatsumi sōke et ses assistants japonais. Pendant ma scolarité de doctorat, j’ai suivi un séminaire sur le roman historique. Nous devions choisir un personnage pour amorcer notre roman. Il m’est apparu naturel de me tourner vers les origines de l’art martial que je pratique avec tant de passion et le pays qui l’a vu naître.»
«Ce fut le début de cette belle aventure. Quand je me suis plongée dans le Japon du milieu du XIe siècle, j’ai découvert une fascinante culture en plein épanouissement artistique et littéraire. La période de Heian (794 à 1185) avait apporté une ère de paix. Les nobles de la cour multipliaient cérémonies et concours de poésie. Loin de la capitale, les paysans vivaient dans la pauvreté. Le mécontentement entraînait parfois quelques révoltes. Ce bouillonnement m’a convaincue de poursuivre le travail sur l’histoire du personnage que j’avais choisi.»
«Basé sur des événements historiques, Shinobi: La naissance d’un ninja compte plusieurs personnages ayant existé. Ce roman s’appuie sur une recherche approfondie qui s’est étalée sur plusieurs années. Heureusement que je suis persévérante! J’ai rassemblé d’innombrables données factuelles, notamment en ce qui a trait à la vie et aux coutumes de l’époque. Pour reproduire le plus fidèlement possible la cour, j’ai consulté des œuvres de grande qualité, comme La cour du Japon à l’époque de Heian aux Xe siècle et XIe siècle, Fonctions et fonctionnaires japonais au début du XIe siècle et Histoire du Japon des origines à la fin de Meiji de Francine Hérail, ainsi que ses traductions des notes journalières de certains hauts dignitaires de la cour tels que Fujiwara no Sukefusa et Fujiwara no Michinaga, qui décrivaient en détail le déroulement des cérémonies, les décors, les rites, les protocoles, les règlements, les vêtements, etc.»
«Sans compter de nombreuses autres sources telles que le magnifique Atlas historique de Kyoto de Nicolas Fiévé qui m’a fourni gracieusement les plans de la ville et du palais impérial. Pour plus de rigueur, je suis allée jusqu’à interroger le directeur du Musée national de Tokyo sur la transition entre les lames droites et les lames courbes pour les sabres.»
«Ce roman historique se déroule en partie dans les montagnes d’Iga, où vivaient les shinobi qu’on appelle de nos jours ninja. Parmi les nombreux livres consultés, notons principalement ceux de sōke Masaaki Hatsumi que j’ai interviewé à plusieurs reprises. Ce grand homme, qui a été durant de nombreuses années le président de la guilde des écrivains du Japon, m’a renseignée, entre autres, sur Gamon Dōshi (Fujiwara no Chikada) et sur la caverne où vivait le général Ikaï. Il avait pris une photo de ce lieu qu’il avait visité trente ans plus tôt, mais elle avait malheureusement été perdue à travers tous les documents accumulés au fil des ans. Il m’a aussi écrit des calligraphies pour illustrer les chapitres de mon livre.»
«Certaines informations que je ne pouvais pas trouver dans les livres sur le Japon m’ont obligée à me tourner vers des ouvrages comme La Chine et sa civilisation écrit en 1937. Ma pratique du Ninjutsu m’a aidée à décrire les techniques apprises et enseignées dans Shinobi: La naissance d’un ninja. Finalement, mes voyages au Japon m’ont familiarisée avec la culture, la mentalité et la philosophie japonaise.»
Cette plus récente publication nous invite à suivre les aventures de Fujiwara no Chikada, qui se voit intégrer le monde des ninjas, les shinobi. Peux-tu nous en dire plus sur ce personnage: pourquoi avoir créé un «guerrier de l’ombre» et qu’est-ce qui l’attend en termes de péripéties au fil des pages?
«Précisons tout d’abord que je n’ai pas créé Fujiwara no Chikada, car il a existé. Je lui ai redonné vie. À son époque, ces guerriers de l’ombre ne portaient pas le nom de ninja; ils se nommaient shinobi. Ils transmettaient leurs connaissances martiales et s’entraînaient pour défendre leur famille et leur village. Les shinobi existent depuis un temps si ancien qu’il est difficile de le situer exactement.»
«Il en va autrement de l’origine des ryū (des écoles), dont on connaît les fondateurs depuis leurs débuts. Je voulais écrire sur celui qui avait ouvert la première de ces écoles. En remontant les lignées des neuf ryū qui constituent le Bujinkan, j’ai découvert que Fujiwara no Chikada, qui portera ensuite le nom de Gamon Dōshi, a été le premier sōke de l’Iga Ryū, de 1065 à 1068. Il a été le premier grand maître d’une longue lignée qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours à travers sōke Masaaki Hatsumi, le fondateur du Bujinkan Japon. Shinobi: La naissance d’un ninja relate l’histoire de ce guerrier intrépide.»
«Ce seigneur de guerre était commandant en chef de la défense du Nord à Ashikaga dans la province de Shimotsuke. Il s’est révolté lorsque l’empereur lui a refusé le titre qu’il convoitait. Il a dû se réfugier à Iga pour échapper aux troupes de l’empereur. C’est là que commence son apprentissage avec le général Ikaï et qu’il devient un shinobi. Quatre shinobi réputés — Ongyoki, Suiki, Kinki et Fuki — l’aident à repousser les attaques grâce à des techniques qui ont été rapportées dans un très vieux livre écrit en japonais ancien, Shinpen IGA chishi (il fut très difficile de trouver des traductions partielles des passages concernant Fujiwara no Chikada).»
«Lors d’une interview avec sōke Masaaki Hatsumi, j’ai demandé au grand maître de me donner quelques informations sur Gamon Dōshi (Fujiwara no Chikada) et il m’a répondu: «Regarde-moi bouger et tu sauras comment était Gamon Dōshi.» Très surprise, j’ai porté attention à sa manière de se déplacer. Lors d’un cours subséquent, Hatsumi sensei a déclaré aux étudiants: «La façon dont on bouge est le résultat de nos incarnations antérieures.» J’en ai conclu qu’il disait être la réincarnation de Fujiwara no Chikada. Par la suite, j’ai saisi que lorsqu’il parlait de sa façon de bouger, il faisait référence non seulement à ses mouvements, mais également à sa nature profonde.»
Allez, sortons d’un cadre formel et soyons imaginatifs! Parmi les auteur.e.s de littérature nippone que tu connais, toutes époques confondues, avec lequel ou laquelle aimerais-tu souper, et pourquoi? On veut surtout savoir de quoi vous parleriez durant toute une soirée!
«J’adorerais rencontrer Murasaki Shikibu, qui a écrit Le Dit du Genji au début du XIe siècle.»
«Cette aristocrate ayant vécu à la cour impériale de Heian en aurait long à me dire sur les coutumes de l’époque. Ce grand classique de la littérature a été écrit par une femme, au Japon et peu avant l’époque où est né Fujiwara no Chikada: toutes raisons qui justifient mon choix. Nous parlerions certainement d’écriture, des personnes ayant vécu à son époque, du Japon ancien et de l’évolution de la femme au Japon.»