«Dans la peau de...» Frank et Dominique, co-fondateurs de la maison d'édition Atelier Akatombo – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Frank et Dominique, co-fondateurs de la maison d’édition Atelier Akatombo

«Dans la peau de…» Frank et Dominique, co-fondateurs de la maison d’édition Atelier Akatombo

La concrétisation d'un vieux rêve...

Publié le 10 juillet 2020 par Éric Dumais

Crédit photo : Tristan Sylvain

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Cette semaine, nous avons interviewé Frank et Dominique, co-fondateurs de la maison d'édition Atelier Akatombo, non pas Parisienne mais établie à Paris!, qui se spécialise dans la littérature de fiction japonaise.

Frank, Dominique, vous êtes les co-fondateurs d’Atelier Akatombo, une jeune maison d’édition basée à Paris qui se spécialise dans la littérature de fiction japonaise. D’ailleurs, vous avez fêté vos 2 ans d’existence le 25 juin dernier. Félicitations! Qu’est-ce qui vous a motivés à vous lancer, tête première, dans le monde de l’édition? Parlez-nous de vos parcours respectifs.

Dominique: «Merci! En fait, Atelier Akatombo est la concrétisation d’un vieux rêve de Frank. Lui et moi sommes partis vivre à Tokyo au début des années 90. Nous avons vécu au Japon plus d’une dizaine d’années avec un intermède à Singapour. Quitter mon emploi dans la communication d’entreprise m’a permis de découvrir que mon véritable désir était d’écrire de la fiction. Tokyo a été la source d’inspiration de mon premier roman, lequel a été publié en France. Ça a été le début d’une carrière de romancière que je poursuis toujours. Quand Frank a enfin pu créer sa maison d’édition dédiée à la traduction de textes japonais, je lui ai tout naturellement apporté mon soutien puisque j’avais acquis de l’expérience dans le domaine de l’édition. Et entre-temps, j’ai pris goût à l’aventure. Traduire permet de découvrir les rouages d’un texte et la volonté profonde d’un auteur. C’est une expérience unique.»

Frank: «Je m’insurge violemment, Atelier Akatombo n’est absolument pas parisien! (rires). L’un de nos traducteurs vit à Tokyo, un autre dans un village perdu de la campagne de Kyoto, une collaboratrice est basée à Toulouse, une autre dans le Val de Loire… Nous tenons à remercier les médias du Québec, de la Suisse et de Monaco qui ont eu la gentillesse de parler des livres que nous publions. Je préfère dire que nous sommes une petite maison qui fait des traductions dans l’espace francophone… D’autant que, grâce au télétravail, je dialogue avec vous depuis un petit port breton…»

Logo de la maison d’édition Atelier Akatombo

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs le défi que ça représente, celui de fonder une maison d’édition, de nos jours? Faites-nous également un portrait de votre quotidien et de vos tâches, on est curieux de connaître les rouages de votre travail!

Dominique: «Je consacre l’essentiel de mon temps à la traduction des textes. Au début, je ne travaillais en binôme qu’avec Frank (il parle et lit le japonais, moi pas); depuis, nous avons recruté des collaborateurs. Le premier traducteur me fournit une version «brute» pour que je la transforme en un texte fluide (bien sûr, en essayant de comprendre au mieux les intentions de l’auteur). Nous utilisons aussi les services de traducteurs uniques, et dans ce cas, j’assure la relecture du texte fourni avant de le transmettre à la correctrice. Je rédige aussi les quatrièmes de couverture, les communiqués de presse et les argumentaires pour nos représentants. Nous concevons les couvertures à deux. Une collaboratrice gère les réseaux sociaux, la composition des textes, les services de presse, la réalisation de vidéos, le contact avec les blogueurs, etc.»

Frank: «Il y a bien des façons de faire de l’édition. Notre cas est assez particulier, en notant que tout éditeur a au final sa singularité… Le premier défi est économico-temporel. Lancer une petite maison d’édition prend beaucoup de temps et ne rapporte pas des fortunes, donc c’est quelque chose à faire, comment dire… quand les enfants sont grands et la maison payée… Mais le vrai défi, il me semble, c’est d’offrir au lecteur des histoires qu’il ne connaît pas, de lui ouvrir des portes qu’il n’avait pas vues parce qu’elles étaient cachées derrière des tentures. Ça implique d’avoir déjà soi-même poussé ces portes et regardé le monde de l’autre côté du chambranle. Cela implique d’avoir lu des centaines de romans japonais avant de pouvoir dire au lecteur: «Vous voyez, cent routes s’offrent à vous, je les ai toutes parcourues et je vous recommande celle-ci parce que le voyage en vaut la peine…» Depuis deux ans, mon quotidien, c’est à peu près douze heures par jour et sept jours sur sept consacrés à Atelier Akatombo, entre la lecture de livres potentiellement intéressants, les traductions et les discussions autour des difficultés de l’adaptation du japonais vers le français (doit-on dire une pièce de «six tatamis» ou une pièce de «12 mètres carrés»?), les relectures et vérifications, les choix de couverture, les discussions avec les journalistes, les blogueurs, la gestion des imprimeurs et des stocks, le contact avec le distributeur/diffuseur, le paiement des fournisseurs…»

Et pourquoi avoir fait le choix de vous spécialiser dans la littérature de fiction japonaise et les mangas? D’où part cette passion en fait?

Frank: «Mon père a été parmi les premiers judokas français après la Seconde Guerre mondiale et j’ai également pratiqué le kendo et le karaté. Il y a plus de trente ans, ce sont des raisons liées aux arts martiaux qui m’ont amené pour la première fois au Japon, même si la découverte des traductions françaises de Kawabata, Abe Kôbô ou Mishima et celles des films d’Ozu ou de Mizoguchi avaient été pour moi des expériences marquantes. Ce n’est qu’une fois sur place que je me suis pris un uppercut en pleine face en découvrant la littérature populaire japonaise. Il faut préciser qu’il y a un lien particulier entre les littératures de genres japonaise et française. Les romanciers populaires japonais ont été beaucoup influencés par la production française. Les Japonais sont de très fins connaisseurs d’auteurs comme Maurice Leblanc, par exemple. En tout cas, trente ans plus tard, dans cette mer fertile, je suis encore et toujours en train de pagayer avec mon petit canoë…»

Couverture du manga «Serii» de Takehito Moriizumi

Ces derniers temps, vous semblez connaître un beau succès avec la traduction française d’Une grande famille de Hika Harada, Cruel est le ciel de Tetsuya Honda et le manga Serii de Takehito Moriizumi. Parlez-nous brièvement de ces trois histoires et de ce qu’elles recèlent de fabuleux, selon vous.

Dominique: «Le texte de Hika Harada nous a séduits parce qu’il s’agissait d’un roman très noir, aussi âpre que drôle, et qui dépeignait une réalité aux antipodes d’un Japon de carte postale. On est à la limite de l’horreur, et j’ai toujours trouvé passionnant le mélange des genres. Tetsuya Honda est également un auteur qui aime explorer une réalité assez sombre du Japon contemporain. J’avais eu l’occasion de le découvrir dans une traduction en anglais et j’avais été séduite par l’énergie que dégageaient ses romans et par la personnalité de son héroïne, la lieutenante Himekawa. Quoi? Une femme à la tête d’une équipe masculine! Ses textes sont aussi prenants que des polars américains, mais l’ambiance est complètement différente.»

Frank: «Dans Ikiru, un film de Kurosawa (ikiru signifie «vivre»), il y a cette question et cette inquiétude essentielles chez les Japonais: comment vivre? C’est une question d’esthétique parce que la mort inévitable n’est pas si importante, vivre est le vrai souci. Que l’on retrouve aussi chez Montaigne, par exemple. Et il me semble qu’Hika Harada et Tetsuya Honda posent, d’une certaine façon, la question de savoir comment la mort peut être utile à la vie ou, de façon plus optimiste, comment une vie peut être utile à d’autres vies. Ce qui n’est pas loin de ce que fait le héros de Serii: en transmettant à un androïde le goût de la lecture, il permet à celle-ci de transmettre à son tour et bien des années plus tard ce même goût à de jeunes enfants… Il me semble que l’on n’est pas trop loin de la quête des jeunes générations actuelles qui cherchent un travail «faisant sens»  et montrent un véritable souci de vivre».

Comme vous êtes probablement les mieux placés pour nous recommander de petits joyaux de la littérature nipponne à dévorer sans plus tarder, qu’auriez-vous envie de nous proposer, comme suggestions de lectures, avec l’été chaud qui est (enfin) arrivé? On a envie d’être diverti, effrayé et… agréablement surpris!

Dominique: «Ce ne sont pas des nouveautés, mais pour moi, ce sont des textes extraordinaires: Out et Disparitions de la romancière Natsuo Kirino.»

Frank: «Je vais suivre la recommandation de Dominique, en notant que le titre original en japonais d’Une grande famille est DRY  (il était malheureusement déjà pris en français) et que beaucoup de commentateurs ont vu en Hika Harada, une lectrice attentive de Out

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

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Par Atelier Akatombo @ Tous droits réservés

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