LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Chloé Charbonnier
Elie, nous sommes curieux de savoir: d’où t’est venue la piqûre pour la création et, plus spécifiquement, pour l’écriture de pièces de théâtre?
«C’est difficile de répondre à cette question, parce que je pense que j’ai toujours aimé raconter des histoires et m’en faire raconter. Après, comme beaucoup de créateur.trices, ma première rencontre avec le théâtre professionnel a été marquante. En 5e année du primaire, j’ai pris l’autobus jaune pour aller voir une pièce à la Maison des arts de Laval. Je ne me souviens pas du titre de la pièce, mais je me rappelle très bien de l’histoire qui mettait en scène trois enfants récemment devenu.es orphelin.es. Au cours de la pièce, les personnages apprenaient à composer avec la mort de leurs parents, chacun.es à leur manière.»
«À la fin de la pièce, une médiatrice a demandé au groupe d’élèves de mon école ce qui aidait les personnages à traverser le deuil de leurs parents. Les mains de mes camarades de classe se sont rapidement levées pour nommer les outils qui étaient utilisés par deux personnages. Ces outils, que j’ai complètement oubliés, étaient explicitement nommés par les personnages dans leurs dialogues.»
«Seule la stratégie qu’utilisait le troisième personnage pour traverser son deuil n’était pas nommée dans le texte. Par contre, pendant la pièce, on le voyait jouer avec un ballon de basket-ball et on pouvait donc en déduire que faire du sport aidait ce personnage à traverser son deuil. Ce qui m’a le plus marqué, donc, c’est que le théâtre utilise bien plus que les mots pour raconter le monde.»
«À ce moment-là, j’ai eu l’impression de découvrir un monde de possibilités pour raconter des histoires. Cet émerveillement-là a été assez déterminant, parce qu’après, j’ai demandé à mes parents de faire du théâtre, et je n’ai jamais arrêté depuis.»
Le 28 septembre prochain, ton livre Sœurs Sirènes paraîtra aux Éditions du remue-ménage. Dans cette pièce de théâtre destinée aux enfants de 9 à 12 ans, le lecteur fait la connaissance de Charli, une enfant trans qui s’entraîne pour le Championnat canadien junior de plongeon à la piscine du quartier, et Agnès, une fille amputée qui vient faire ses entraînements de réadaptation physique au même endroit. D’où t’est venue l’inspiration pour créer cette histoire?
«C’est une anecdote assez cocasse: j’ai rencontré une sirène professionnelle. Claire, la première sirène professionnelle de France est une performeuse qui pratique le mermaiding. Vêtue d’une queue de sirène, elle plonge en apnée dans l’Aquarium de Paris avec une raie et un requin. Son parcours m’a beaucoup impressionné et ça m’a inspiré. Mais je voulais m’éloigner de ce qu’on associe généralement à la sirène, alors je devais réfléchir à ce que j’allais écrire à partir de ça.»
«À ce moment-là, j’avais aussi très envie d’aborder la question de l’identité de genre pour un public d’enfants (ce qui se faisait encore très peu), et les deux projets ont fini par se rencontrer. Les sirènes, n’ayant pas d’organes génitaux, deviennent un symbole très fort pour aborder cette question de façon plus poétique. Ensuite tout est allé très vite; Charli et Agnès sont apparues en même temps, et j’ai eu l’idée de ce titre Sœurs Sirènes. Il ne restait plus qu’à écrire…»
Au fil des pages, Charli et Agnès seront amenées à se côtoyer et à nouer «une improbable amitié». Comment, à travers leur histoire, as-tu souhaité faire cheminer les lecteurs pour qu’ils s’interrogent sur les préjugés qui existent dans notre société vis-à-vis des enfants marginalisés?
«Dans mes pièces, j’essaie toujours de laisser la parole à mes personnages. C’est eux qui me guident et qui m’indiquent le chemin à prendre pour raconter leur histoire. C’est encore plus vrai avec Charli et Agnès, parce que leur quête est complètement liée à leur intériorité, à ce qu’elles ont de plus intime.»
«J’ai vraiment pris le pari de les écouter, de les laisser se révéler au monde. Il y a toutes sortes de subtilités dans leurs dialogues, des moments de grandes confidences qui sont pourtant contenus dans une phrase très simple, comme quand Charli et Agnès se révèlent qu’elles ne peuvent pas se changer devant les autres dans le vestiaire.»
«Le monde intérieur des personnages est aussi révélé dans ma pièce par des moments oniriques, des moments où les personnages rêvent d’un monde où elles seraient plus libres. Et je crois que la quête de liberté de Charli et d’Agnès m’a aussi inspiré dans la forme, parce que je me suis permis de mettre un lamantin (un mammifère marin d’assez grosse taille) dans une piscine publique… Au final, je pense que le chemin de l’empathie est celui que j’ai choisi, parce qu’en fait, la quête de Charli et d’Agnès en est une d’acceptation de soi, et je pense que tout le monde peut se reconnaître dans cette histoire.»
À court ou moyen terme, as-tu déjà d’autres projets de création en lien avec l’écriture et/ou le théâtre? Par exemple, on se demande si les spectateurs auront prochainement la chance de faire la connaissance de Charli et Agnès sur les planches…
«Oui, j’ai plein de projets devant moi! D’abord, vous pourrez voir la première de Sœurs Sirènes à Terrebonne le 25 novembre prochain dans le cadre du festival Le rendez-vous des Tannants. Je participerai aussi pour la première fois en tant qu’auteur au Salon du livre de Montréal avec Sœurs Sirènes, et c’est très excitant!»
«Ensuite, j’ai plusieurs projets qui m’attendent. Je travaille sur Racines, un spectacle pour les tout-petits qui aborde la séparation entre un enfant et son parent, et pour lequel je signe le texte et la mise en scène. C’est une co-production de la Minoterie (Dijon, France) et Petits Bonheurs (Montréal) qui sera présentée en première à Dijon le 18 octobre, puis à Montréal en mai 2022.»
«Je travaille aussi comme auteur et metteur en scène sur Cœur de neige en juillet. C’est un projet pour ados qui traite de l’amour entre femmes et des aprioris culturels qu’on peut avoir quand on voyage (l’histoire se passe en Suède et en Finlande). Je suis un peu dans une thématique nordique, on dirait, parce que je développe aussi un projet avec la chorégraphe sino-suédoise Kyrie Oda autour de l’art ancestral du Kintsugi.»
«Et pour les adultes, je viens tout juste de présenter mon texte Je suis perdue, toi aussi au festival du Jamais Lu, et je travaille sur un texte sur la figure de la sorcière et de la codeuse informatique dans le cadre de ma maîtrise en théâtre à l’UQAM. Bref, je suis vraiment choyé!»