Littérature
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Le joual de Troie (1973) de Jean Marcel — Bibliothèque québécoise
«Pourquoi alors a-t-on intérêt tout à coup à brandir le mythe d’une “langue québécoise” si on ne tient aucun compte des conditions réelles d’existence de ceux qui la parlent?»
Commençons par Le joual de Troie de Jean Marcel, un professeur et critique littéraire québécois né en 1941, à Montréal.
Cet essai tisse des liens entre la langue, la politique et la condition socioéconomique de la province. Paru trois ans avant la première prise du pouvoir du Parti québécois, cet ouvrage agit comme un plaidoyer sur la situation des Québécois qui parlent le joual, ce que les linguistes qualifieront plus tard comme une variété du français.
Sa parution coïncide avec de flamboyants élans de réappropriation de la culture et de la langue, à l’époque où Michel Tremblay, avec sa pièce Les Belles-sœurs, œuvrait déjà à doter le joual de vertus littéraires.
Avec cet essai, Jean Marcel se positionne en opposition face aux critiques acerbes d’Henri Bélanger et de Guiseppe Turi. Il recadre le français parlé au Québec dans ses enjeux politiques et économiques, entre aspirations libérales de la Révolution tranquille et préoccupations populaires d’un héritage à préserver.
Son écriture agit comme une affirmation de notre identité, invitant presque à une sorte de révolte sociale et économique:
«[…] il ne s’agit pas de parler comme les Français, mais de parler français avec l’exercice plein et entier de toutes ses possibilités».
Anna braillé ène shot (Elle a beaucoup pleuré) (1996) de Georges Dor — Éditions Michel Brûlé
Alors que Jean Marcel considère la légitimité du français parlé au Québec en le contextualisant dans ses implications identitaires, tout le monde n’est toutefois pas du même avis.
De fait, environ deux décennies plus tard, Georges Dor fait paraître Anna braillé ène shot (Elle a beaucoup pleuré), un ouvrage dans lequel l’auteur et essayiste drummondvillois s’insurge contre la dégradation du français parlé au Québec.
Si Dor se montre conciliant avec les anciennes générations et leur français bien loin du standard, il l’est toutefois beaucoup moins à l’égard de celles ayant suivi la création du ministère de l’Éducation et qui se complaisent, selon lui, dans une médiocrité langagière, elle-même causée par le non-apprentissage du français parlé dès le primaire.
Tout y passe: fonctionnaires, enseignants, humoristes, linguistes et alouette! Quant au joual, George Dor le qualifie comme une «langue déglinguée» qui prouve abondamment que les Québécois forment un «peuple de conquis contents».
En cela, l’auteur se désole longuement de la piètre qualité de notre «parlure québécoise».
Si l’intention est noble — indubitablement, George Dor cherche à élever le niveau des Québécois et à redorer le blason national du peuple —, les propos semblent souvent plus proches de l’anecdote et du cliché que d’une science linguistique probante et nuancée.
Lecteurs et lectrices, vous aurez été averti.e.s!
États d’âme, états de langue: Essai sur le français parlé au Québec (1997) de Marty Laforest — Nota Bene
Publié en réaction à l’essai de Georges Dor, États d’âme, états de langue: Essai sur le français parlé au Québec débusque l’idée selon laquelle les Québécois communiquent dans un français dégénéré.
Sociolinguiste spécialisée dans l’analyse du discours oral, Marty Laforest puise dans les données scientifiques et prend ses distances face aux émotions et clichés qui stigmatisent le joual.
Son ouvrage s’efforce de déconstruire les préjugés dégradants autour du français parlé au Québec. Méticuleusement, l’essayiste démystifie les croyances selon lesquelles le joual serait une sous-classe de français:
«Je n’ai pas l’intention d’entonner un cantique à la gloire du joual; je dis que cette variété de langue est tout aussi systématique, grammaticalement cohérente que cette fiction de français international […].»
Elle s’attaque donc parallèlement à la notion selon laquelle un français standard serait parlé quelque part, indépendamment de toute variation régionale. Au fil de notre lecture, on en vient même à voir différemment les anglicismes qui, parfois, n’en sont pas réellement.
En guise d’exemple, l’auteure reprend une croyance populaire voulant que la tournure «La fille que je sors avec» soit un calque de l’anglais pour «The girl I am going out with». Elle nous apprend plutôt que l’usage d’avec en fin de phrase était déjà présent dans l’ancien français, et donc que cette structure est grammaticalement cohérente!
Pour les besoins de cet article, je n’élaborerai pas plus sur ce sujet, mais si de tels enjeux vous intéressent, je vous recommande cette lecture qui apporte une toute nouvelle dimension à la réaffirmation de notre langue.
La langue racontée: s’approprier l’histoire du français (2019) d’Anne-Marie Beaudoin Bégin – Éditions Somme toute
Dernier tome d’une trilogie comprenant La langue rapaillée: combattre l’insécurité linguistique des Québécois et La langue affranchie: se raccommoder avec l’évolution linguistique, cet ouvrage résume l’histoire de la langue française et de son évolution jusqu’au Québec.
Rien de mieux pour réaffirmer notre identité que d’en connaître les racines!
Anne-Marie Beaudoin-Bégin, que vous connaissez peut-être par l’entremise de ses pages Facebook et YouTube, L’insolente linguiste, nous fait renouer avec notre manière de parler et avec nos racines en deux temps trois mouvements! Avec un ton souvent railleur, elle nous invite à mieux comprendre le passé du français pour, comme l’indique Laurent Turcot dans la préface du livre, «se saisir de l’histoire de cette langue racontée afin de se l’approprier».
Retraçant l’histoire du français dans une chronologie linéaire, en commençant par le latin qui s’est transformé en langues romanes en Gaule, en passant par les réformes de Malherbe et de l’Académie, pour aboutir à la colonisation de la Nouvelle-France, Beaudoin-Bégin nous amène au cœur d’un voyage linguistique truffé de clins d’œil et d’apartés ludiques qui font souvent sourire.
La langue racontée normalise le caractère variable de la langue et nous invite à ne pas nous sentir diminué.e.s par nos manières de parler, puisque «[…] la langue changera [et] elle ne changera fort probablement pas dans le sens où on le souhaite. […] Elle changera dans le sens que l’Usage lui donnera.»
Pour une langue sans sexisme: Petit traité pratique pour un usage quotidien (2021) de Céline Labrosse — Groupe Fides
Enfin, pour vous montrer à quel point la langue est étroitement liée à notre identité et se doit de s’adapter aux réalités sociales, je tenais à vous présenter cet ouvrage de Céline Labrosse.
Docteure en linguistique, cette dernière s’intéresse particulièrement à la sociolinguistique et porte ici son attention sur le «genre et le langage».
Bien que ce livre ne se penche pas précisément sur le français parlé au Québec, je trouve qu’il illustre bien à quel point le rapport à la langue peut être le miroir des enjeux contemporains d’une société.
L’essayiste offre ainsi une réflexion intéressante sur les inégalités homme/femme: comment pouvons-nous revendiquer une société sans sexisme si la langue avec laquelle nous communiquons en est truffée?
Dans son petit traité, Labrosse propose ainsi des avenues novatrices pour la désexisation de la langue française et suggère au détour de nombreuses pistes d’amélioration pour un français «sans sexisme, qui met en avant l’essence universelle des êtres humains — peu importe leur identité et/ou leur genre».
Elle suggère entre autres de réactiver l’ancienne règle de proximité, de pratiquer l’alternance des genres dans les textes et discours, et toutes sortes de petites «rectifications» tout à fait intéressantes.
Et comme tout.e bon.ne linguiste qui «ose» imaginer un français qui s’éloigne de la référence académicienne, il est à parier que ses propositions feront grincer des dents les puristes de la langue!