LittératureLa petite anecdote de
Crédit photo : Camille Tellier
Pleurer au fond des mascottes
Nous sommes le 1er juillet et il fait une chaleur étouffante. J’incarne Feuille d’érable, la mascotte atrocement lourde de la fête nationale. Il n’y a pas de légèreté qui tienne.
Je porte donc une ambitieuse structure pelucheuse: une feuille d’érable rouge. Ce premier juillet-là est caniculaire. Je confirme: dans ma mascotte, il fait facilement 15 ou 20 degrés de plus. Un ventilateur dans un des coins de la feuille est défectueux; aucun vent ne circule dans l’habitacle digne d’un sauna.
Je vois la vie à travers le sourire. Il y a un filtre noir à la hauteur de mes yeux: c’est la bouche souriante de Feuille d’érable.
Je peux voir sans être vu, délectable posture pour le voyeur que je suis. Je passe une journée à faire des pitreries dans le silence et à accueillir les câlins d’enfants asiatiques. On jurerait que les familles chinoises, japonaises et vietnamiennes sont les seules à être présentes, aujourd’hui. Leur sourire parfait m’attendrit, mais je manque de concentration. Mon pelage hors saison cause la ruine de mes glandes. J’ai prévu le coup: je me suis hydraté comme un chameau, j’ai stocké jusqu’à la fin des temps.
Une envie de pipi se manifeste. On n’a rien de prévu pour moi. Je suis convié à uriner au même endroit que les festivaliers: dans une étroite toilette chimique. Il faut ici voir une mascotte faire la queue, parmi la plèbe en sueur. L’absurdité émouvante de ça.
C’est à mon tour. Je contorsionne les pans de ma vaste feuille d’érable pour me faufiler dans le cercueil bleu et vertical. Toutes les pointes du costume raclent les murs. Je le soulève au maximum pour atteindre ma fermeture éclair. J’urine loin de mon profit; ça éclabousse partout dans mon pelage rouge.
Je sors dans une fourrure maculée de postillons de pipi. Rapidement, deux enfants japonais se jettent sur moi et se lovent à la hauteur de mon dégât. Des parents capturent ce moment de tendresse.
Je suis infiniment navré pour tout ça.