LittératureBandes dessinées et romans graphiques
Crédit photo : Éditions de La Pastèque
1944. Jérôme Beauvais est un déserteur. Après une permission et visiblement traumatisé par la guerre, il décide de ne pas retourner au front. Alors que le conflit bat son plein et que les alliés débarquent en Normandie, sa mère l’envoie se cacher dans le bois auprès de son grand-père, un homme taciturne et peu loquace. Jérôme s’installe dans une cabane à côté de la grande et vieille maison que les deux hommes retapent ensemble.
C’est une maison aux mille secrets: dévastée par un incendie, la dernière propriétaire s’y était suicidée. D’autres mystères se dissimulent sous le plancher et dans les murs, mais on n’en dira rien pour laisser aux lecteurs et lectrices le plaisir de la découverte.
Le temps s’étire et les saisons passent. Jérôme se promène dans la forêt, il apprend à travailler de ses mains. Dévoré par ses démons intérieurs, il devient obsédé par l’histoire de la maison au point qu’elle hante ses rêves et lui donne des visions morbides les nuits de première lune.
Les scènes hallucinatoires s’échappent des cases pour occuper de pleines pages, inquiétantes et douloureuses, entre scènes de guerre, visions mortifères et quelques gouttes de sorcellerie.
Bien que les secrets de la maison constituent le fil conducteur de la narration, sa richesse est ailleurs. Le roman graphique explore avec délicatesse et en peu de mots, chacun étant choisi avec soin, la relation entre Jérôme et son grand-père, le processus de deuil, la solitude et les espoirs déçus.
Il est aussi question d’histoire – la grande, celle de la Deuxième Guerre mondiale et du rôle des conscrits québécois; et la petite, celle d’une bourgade tranquille, de ses habitants, et de la famille de Jérôme.
La trame narrative s’écoule lentement comme le temps qui semble ralentir dans le bois. J’ai apprécié cette lenteur dans la narration de Thomas Desaulniers-Brousseau, qui laisse une large place aux magnifiques planches de Simon Leclerc.
Ce sont les illustrations de Jours d’attente qui transportent le lecteur dans un monde à la lisière du rêve et de la réalité. D’une richesse et d’une profondeur graphique sans cesse renouvelée, elles invitent à la contemplation. Les planches sont très texturées, tour à tour sombres et débordantes de couleurs, des rouges criards, des roses, bleus et verts plus pastel.
Le travail de Simon Leclerc est époustouflant. Il apporte toute sa profondeur au récit de Desaulniers-Brousseau. Usant du pastel à l’huile et de la gouache avec brio, Leclerc applique les teintes et les noirs profonds avant de dessiner les personnages et les décors d’un fin trait.
Nulle monochromie dans ce roman graphique. Les couleurs et les noirs s’entrelacent et se superposent au grès des saisons. Le rouge et son camaïeu dominent les scènes d’intérieur dans la maison du grand-père et les visions de Jérôme, mais la vie «réelle» se pare de mille couleurs chatoyantes. On s’y arrête longuement, comme ensorcelé, pour mieux les apprécier.
Ce roman graphique vous transportera dans un monde étrange, peuplé de mystères à dévoiler et de souvenirs à apprivoiser. La lecture de Jours d’attente est un régal tant narratif que visuel, un magnifique premier roman graphique écrit par un tandem québécois de grand talent.
Jours d’attente de Thomas Desaulniers-Brousseau et Simon Leclerc, Éditions de La Pastèque, septembre 2019, 272 pages, 23,95 $.
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