LittératurePolars et romans policiers
Crédit photo : Tous droits réservés / Montage: Éric Dumais
«Ceux de là-bas» de Patrick Senécal • Éditions Alire • 32,95 $
À chaque fin d’année, je peux m’attendre à recevoir religieusement un nouveau Senécal. Il s’agit juste d’être patient les onze autres mois!
Avec ce douzième roman pour adultes, intitulé Ceux de là-bas, il faut croire que le maître du thriller horrifique québécois avait envie, cette fois, d’aborder la mort d’une façon moins gore et violente, et plus philosophique. On fait ici la rencontre de Victor Bettany, psychologue au cégep de Drummondville, dont le père, sur ses derniers milles, égrène ses derniers jours dans un hôpital en attendant que l’Alzheimer emporte son dernier souffle de lucidité vers l’au-delà. En parallèle, il vit une expérience hors du commun en assistant au spectacle de Crypto, l’un des hypnotiseurs les plus en vue, qui semble avoir fait une percée en repoussant les limites de l’impossible. Messmer peut bien aller se rhabiller!
Bon, je tairai volontairement les évènements qui découleront de la représentation de ce spectacle, à la suite duquel Victor reviendra transformé, lire secoué; tout ce que je peux vous partager, c’est qu’il ne va pas passer la meilleure soirée de sa vie…
Personnellement, j’ai bien accroché à l’histoire – j’ai eu toutefois peur que cela ressemble trop à La boîte de Pandore de Bernard Werber! – mais je dois dire qu’il y a des longueurs, et plus on avance, plus l’histoire devient prévisible. Mais j’ai aimé le fait que Patrick Senécal nous offre un roman plus personnel, où il s’attarde sur la psyché de l’humain et sur la peur universelle de la mort.
Horace disait que «la mort rattrape ceux qui la fuient», et cette maxime fait d’autant plus de sens lorsqu’on a lu cette histoire et qu’on a réalisé, même si cela reste une fiction, ce que nous deviendrons une fois mort de l’autre côté…. Et vous, êtes-vous en paix avec la mort? Sinon, gare à vous!
«Ghetto X: une enquête de Victor Lessard» de Martin Michaud • Libre Expression • 27,95 $
Depuis le jour où j’ai croisé l’univers de Martin Michaud, qui remonte à Violence à l’origine en 2014, je n’ai pas boudé un seul de ses romans. Et il faut croire que je ne suis pas le seul à dévorer chacune de ses parutions, car depuis que Victor Lessard est incarné par Patrice Robitaille au petit écran sur Illico, six millions de téléspectateurs ont syntonisé la chaîne sur leur téléviseur pour suivre de près ses aventures et enquêtes.
Ghetto X est en fait le troisième chapitre de l’adaptation télévisuelle où l’on peut aussi apercevoir Julie LeBreton en Jacinthe Taillon. Dans ce roman du même nom, Michaud explore la faille qui a traversé l’enfance de Lessard, plus précisément l’épisode ayant suivi le suicide de son père, et par ricochet l’assassinat de sa mère et de son frère. «Les victimes. Les visages de la mort. Les fantômes qui le hantaient. Il avait vu tant de cadavres, tant de vies brisées, tant de violence larvée. S’il ressentait de la compassion pour ces existences stoppées net, il éprouvait la même empathie pour les vivants, pour ceux qui souffraient en silence», se confie à lui-même l’inspecteur, qui a, depuis, quitté les rangs de la SQ pour bosser comme agent de sécurité au Casino de Montréal.
C’est donc un Victor Lessard fatigué de voir la mort en face dans le cadre de son métier d’enquêteur qui va se retrouver, face à l’insistance de «la grosse Taillon», à devoir se salir à nouveau les mains à l’occasion d’une affaire pas piquée des vers: un journaliste d’information est retrouvé assassiné chez lui par ce qu’il semble être un groupe d’extrême droite réglé au quart de tour.
Trame narrative bourrée de rebondissements et d’action, psychologie des personnages taillée aux ciseaux, humour délicieux qui détend l’atmosphère, écriture fine et délectable pour les yeux, Martin Michaud prouve une fois de plus qu’il n’a rien à envier à personne.
«On tue…» de Jean-Jacques Pelletier • Alire • 32,95 $
Il y avait un bail déjà que j’avais côtoyé l’univers de Jean-Jacques Pelletier, et ce n’est pas par désintérêt, bien au contraire, puisque j’avais vécu toute une expérience de lecture en lisant Les visages de l’humanité en 2014. J’aurai du rattrapage à faire; en attendant, j’ai décidé de faire mon mea culpa en plongeant dans On tue…, un thriller environnementaliste sur fond de terrorisme vibrant d’actualité et de rebondissements.
En ouvrant les premières pages du livre, j’ai eu une petite crainte, je l’avoue, car en réalité, j’assistais à la troisième enquête de l’inspecteur Henri Dufaux, lancée avec Bain de sang et Deux balles, un sourire. Mais Dieu soit loué: ce pavé de près de 650 pages se lit de façon autonome et il n’est aucunement nécessaire d’avoir lu ces romans pour s’y retrouver.
Comme lecteur, on comprend vite ce à quoi on a affaire: un groupe d’extrémistes surnommé les Ultravéganes, qui se présentent comme les «sauveurs autoproclamés de la planète», envoient des lettres de menace au premier ministre du Québec pour l’inciter, par le biais d’un chantage en bonne et due forme, à poser des actions visant à enrayer le mal fait aux animaux et à protéger, de surcroît, la fragilité de notre écosystème. Le hic, c’est que le gouvernement du Québec fait la sourde oreille, et des gens sont assassinés et tombent comme des dominos. Décidément, les Ultravéganes n’entendent pas rire, et si le premier ministre n’établit pas un plan d’action, d’autres décès suivront.
On se rend vite compte qu’on n’a pas du tout affaire à un déséquilibré ou à un tueur en série. Il est évident qu’on a affaire à des gens sérieux, qui militent pour le bien des animaux et contre la maltraitance faite à leur égard, donc à ce niveau, j’ai trouvé que l’auteur aurait pu accélérer les choses pour qu’on arrive dans le vif du sujet et qu’on cesse de tourner en rond.
Cela dit, un coup le lecteur et les inspecteurs sur la même longueur d’onde, il était délicieux de prendre part à cette grande aventure sur les médias, la politique, les réseaux sociaux et les préoccupations des citoyens quant à l’avenir de notre planète.
«Un(e)secte» de Maxime Chattam • Albin Michel • 34,95 $
Le temps passe si vite! Je me rappelle encore, comme si c’était hier, la fois où j’ai rencontré Maxime Chattam au Renaud-Bray sur l’Avenue du Mont-Royal. Que ta volonté soit faite venait de paraître… Depuis, il y a eu un bond dans le temps, j’ai plongé quelques années plus tard dans Le signal, et voilà que tout récemment je revenais à nouveau dans l’univers sombre de l’auteur avec Un(e)secte, à prononcer «insecte».
Ne vous attendez pas pour autant à voir une similitude avec le style de Bernard Werber, créateur de la célèbre Trilogie des fourmis, car on en est loin! D’accord, les insectes ont effectivement un rôle à jouer dans cette histoire, mais l’univers de Maxime Chattam reste assez unique en son genre; j’oserais avancer que ses histoires sont d’une rare intensité, et ces derniers, s’il dégoûte autant l’inspecteur Atticus Gore, de retour sur le papier, c’est qu’ils n’ont pas l’intention d’être sympathique avec la race humaine.
Les meurtres ne se font pas attendre bien longtemps, vous l’aurez deviné! Pour vous résumer l’histoire brièvement, un meurtre crapuleux est commis dans le zoo abandonné de Griffith Park, dans le district d’Hollywood où officie Atticus Gore. Une fois arrivé sur les lieux, l’inspecteur découvre un macchabée dans un sale, très sale état. «Il y a des trucs qui sont difficiles à raconter», lui dit une inspectrice aux homicides, et elle n’aurait pas su mieux dire: maigreur squelettique, mâchoire osseuse, absence d’un nez, du sang, beaucoup de sang poisseux, et surtout, un amas d’insectes morts près du cadavre… De son côté, à New York, la détective privée Kat Kordell se voit confier par une mère inquiète une affaire en apparence banale, celle d’une adolescente disparue. Ses investigations la pousseront à découvrir des choses sordides… qui la mèneront sur les mêmes traces qu’Atticus Gore!
À bien y réfléchir, je trouve que le style de l’histoire est dur à classer, mais j’y trouve certaines similitudes avec l’ambiance de la Trilogie du mal. Maxime Chattam joue ici dans le registre du roman policier, mais il flirte aussi librement entre le roman d’horreur et le roman à suspense. Et il sort des sentiers battus aussi, car il met sous les projecteurs non pas un mais deux inspecteurs, ce qui est plutôt rare, et son protagoniste Atticus Gore est stylé au possible: nom évocateur, homosexualité librement affichée, goût pour la musique métal. Pour un inspecteur de police, c’est plutôt inhabituel.
À l’instar du Signal, j’ai trouvé que la trame de fond se déployait merveilleusement bien, mais certaines longueurs font que mon intérêt s’est égrené en cours de route. Reste que la réflexion globale sur l’évolution de notre monde, que je tairai ici, est franchement intéressante, mais surtout inquiétante quant à notre avenir…
«Victime 2117» de Jussi Adler Olsen • Albin Michel • 34,95 $
Si on compte L’unité alphabet, le roman qui a révélé Jussi Adler Olsen comme auteur à surveiller, Victime 2117 est officiellement sa neuvième parution à voir le jour, en français, chez Albin Michel. Jusqu’à tout récemment, je pouvais me vanter d’avoir lu presque entièrement sa bibliographie. L’arrivée de ce nouveau pavé de près de 600 pages m’a forcé à me replonger dans l’univers de cet auteur que j’admire, en plus de me procurer le plaisir renouvelé de retrouver les personnages du désormais célèbre Département V de Copenhague.
Au fil des ans, Adler Olsen a su créer un tableau vivant avec des personnages plus grands que nature. Comme moi, les habitués ont rapidement appris à apprivoiser Carl Mørck et ses humeurs changeantes, Assad et son passé syrien mystérieux, Gordon et sa naïveté renouvelée, puis Rose et ses nombreux stigmates… Mais justement, que sait-on d’Assad? Pas grand-chose justement. Victime 2117, c’est l’histoire qui allait enfin me (nous) permettre de jeter un éclairage sur ses origines et son histoire.
Par respect pour vous, et par souci de ne pas vous révéler trop de punchs, je dirai seulement qu’Assad s’appelle en réalité Zaid al-Asadi et qu’il est né en Irak et non en Syrie, comme il l’affirmait. S’il a décidé d’enfin s’ouvrir sur son passé, c’est qu’un corps trempé, retrouvé sur une plage de Chypre, «La victime 2117» comme l’ont intitulé les médias, a été trouvé, et Assad, qui a été bouleversé à la vue du cadavre dans la presse, a décidé de s’ouvrir à Rose d’abord, devant son insistance, vous la connaissez!, puis à ses collègues du Département V. Car Assad connaissait la victime, et cet assassinat allait réveiller en lui des démons qu’il croyait jusqu’alors endormis…
Jussi Adler Olsen a réussi une fois de plus à m’immerger le corps entier dans une histoire à sensation où je suis resté scotché de la première à la dernière page. Et plus j’y repense, et plus j’en viens à la conclusion qu’outre son talent de conteur, c’est la force et l’unicité de ses histoires parallèles qui dynamisent autant son récit, et ce, jusqu’à la révélation finale. En trame principale, on goûte à l’amertume du terrorisme, en suivant Assad et ses collègues du Département V jusqu’à Berlin, où un attentat monstre est en branle, et en trames secondaires, on suit Joan Aiguader, un journaliste dont la curiosité pourrait l’emmener à sa perte, de même qu’Alexander, un gamer jusqu’à la moelle, qui nourrit un mépris profond pour le monde entier. Son objectif: accumuler 2 117 points à son jeu, comme pour rendre un hommage à la victime 2 117, avant de mettre son plan en action.
Je vous le dis: préparez-vous à vivre le frisson royal à la lecture de ce roman, car la chute est vertigineuse.
«L’institut» de Stephen King • Albin Michel • 36,95 $
Pour moi, Stephen King est LE maître absolu de la littérature à suspense et du roman fantastique. Or, même si j’attends chacune de ses oeuvres avec grande impatience chaque année, je suis capable, et toute objectivité, d’admettre qu’il n’a pas mis sur papier que des chefs-d’oeuvre. La preuve, j’ai une préférence pour ses romans des années 1980 (Cujo, Misery) et 1990 (Bazaar, Jessie), et pour moi, le creux dans la carrière de King a opéré au début des années 2000. Heureusement qu’il a eu une série d’éclairs de génie avec Dôme, 22/11/63 et la trilogie avec Mr Mercedes, Carnets noirs et Fin de ronde. Un pur délice.
Tout cela est une question de goût, bien sûr, et m’emmène à vous parler de L’institut, la nouveauté parue chez Albin Michel le mois dernier. Avec cette histoire où ses personnages ont des pouvoirs spéciaux à l’instar de Carrie ou du pasteur Charles Jacobs dans Revival, Stephen King surfe sur la populaire vague Stranger Things avec un casting majoritairement composé de jeunes enfants, le point de départ de son livre étant basé sur le nombre record de disparitions de jeunes enfants. De fait, selon le Centre national pour les enfants disparus et exploités, environ 800 000 d’entre eux disparaissent chaque année aux États-Unis, et la plupart ne sont jamais retrouvés. Et qu’en est-il de ces enfants qu’on dit surdoués et qui sont kidnappés à leur insu pour servir de cobayes à l’institut?
L’une des forces de King, c’est sa capacité à bien mettre la table avant d’ouvrir les valves du suspense. Dès l’ouverture, on fait la connaissance de Tim Jamieson, un homme pas trop pressé par la vie, que l’on finira par abandonner pour mieux le croiser à nouveau quelques centaines de pages plus tard. Car l’auteur, à un moment clé, nous happe de plein fouet avec une histoire parallèle qui deviendra bien vite la trame principale du livre. Et dans celle-ci, c’est Luke «Lucky» Ellis qui en deviendra le héros. Qui est-il? C’est un gamin intelligent capable de faire bouger des boîtes de pizzas par la pensée. Et c’est à cause de ce pouvoir qu’il sera arraché à ses parents pour être conduit dans un institut auprès d’autres enfants aussi surdoués que lui. Sauf qu’il se rendra bien vite compte que sa vie en captivité cache une réalité bien plus sombre encore que son pire cauchemar…
Je m’arrête ici, car l’envie me démange de vous raconter la suite! Par contre, laissez-moi vous dire que j’ai été séduit par cette histoire, qui m’a solidement attaqué les nerfs à quelques reprises, mais son seul défaut est qu’il y a des longueurs – bémol qui revient souvent, ma foi! – qui plombent carrément la belle lancée sur laquelle j’ai été pendant plusieurs centaines de pages. L’institut reste, après Sleeping Beauties et L’outsider, un roman qu’il fait bon dévorer parce que son suspense file à un train d’enfer. Et c’est ça qui m’avait manqué chez King!