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1. Kaiser Karl de Raphaëlle Bacqué
Quel plaisir de lire cette biographie! L’écriture à la fois agréable et recherchée de l’auteure est richement imagée et nous plonge dans la vie de Karl Lagerfeld.
Celui qui a tant cherché à brouiller les pistes toute sa vie finit par nous confirmer ce pressentiment qui nous tenaille depuis le temps qu’il nous fascine: il est si dur à saisir que, même à travers les pages de ce livre, on se demande encore quelle est la part de fiction et celle de la réalité dans ce qui est relaté.
Si vous pensiez terminer le livre en ayant réponse à toutes vos questions, je dirais que ça risque d’être à moitié le cas. Mais qu’importe! C’est une joie infinie de se promener dans un Paris de fête et de débauche, notamment entre 1950 et 1980, et de redécouvrir cette rivalité à peine déguisée entre les deux grands noms de la mode qu’étaient Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld, deux personnages à la fois proches et antagonistes.
À travers les pages, on ressent aussi diverses émotions qui se superposent, car le créateur ne laisse pas indifférent dans sa façon de penser et d’agir: quel choc, par exemple, de voir qu’il a voulu «se débarrasser» de sa mère dans son domaine de Grand-Champ avec des employés qui s’occupaient d’elle une fois qu’elle avait eu un AVC, pour la simple et bonne raison qu’il ne supportait pas de la voir diminuée!
On peut aussi ressentir une forme d’incrédulité face à ce personnage bien plus intéressé par le travail que par toute relation charnelle. Son goût assumé pour le luxe et son train de vie fastueux frôlent aussi l’indécence… Pourtant, on en ressort avec l’impression grandie qu’il est fascinant, car très dur à saisir, immensément cultivé, avec toujours des traits d’esprit et un sens de la répartie inégalable. Sa volonté de fer et sa passion infinie pour l’esthétisme ne peuvent laisser indifférents.
Je conseille fortement Kaiser Karl à toutes les personnes qui ont un intérêt pour la mode, le style et les personnalités hautes en couleur qui ont marqué les dernières décennies.
Kaiser Karl, Raphaëlle Bacqué, Éditions Albin Michel, 2019, 320 pages, 29,95 $.
2. Système de la mode de Roland Barthes
Soyons honnêtes, ce livre est sûrement la lecture la plus ardue que je vous propose à travers cette sélection, mais elle demeure tout à fait pertinente et intéressante avec une analyse approfondie du célèbre sémiologue français Roland Barthes au sujet de la mode, ses codes, son langage.
Ce dernier nous fait part de ses observations au sujet de la mode «écrite» (comprenez la mode représentée dans les textes des revues fashion spécialisées) et la mode représentée visuellement à travers des dessins ou des photographies, qu’il compare au vêtement tel qu’il est dans le réel. Il va jusqu’à décomposer les phrases et les descriptions que l’on trouve dans les magazines de mode et analyse le sens qui s’en dégage.
Il me semble que Système de la mode, au-delà de s’adresser aux gens qui s’intéressent purement à l’étude des signes, est un incontournable pour toute personne qui souhaite faire carrière dans le milieu de la mode ou de la couture: futur styliste, journaliste fashion, accessoiriste, ingénieur textile ou représentant marketing d’une grande maison de couture sont les professionels tout désignés pour lire ce livre qui nourrit les réflexions au sujet de ce que l’industrie de la mode évoque et fait passer comme message, tant à travers les créations elles-mêmes, qu’à travers leur représentation et leur symbolique aux yeux des possibles acheteurs.
Je vous recommande par contre de le feuilleter à un moment où vous avez la tête bien reposée, car une lecture à moitié concentrée ne sera pas bénéfique pour tout bien saisir et en tirer le meilleur parti possible.
Système de la mode de Roland Barthes, Éditions Points, 2014, 275 pages, 20,95 $.
3. Carnet d’inspirations textiles de Catherine Legrand
«Si la vie ne tient qu’à un fil, le tissu fait lien»: c’est sur cette réflexion courte et punchée que commence l’avant-propos de Catherine Legrand, tour à tour graphiste, styliste et photographe. Son livre est en quelque sorte un carnet de voyage qui ajuste sa lentille sur les us et coutumes vestimentaires de nombreuses cultures et ethnies à travers le monde.
Portraits de femmes habillées selon les traditions locales, gros plans sur des bouts de tissus à motifs ou texturés, mosaïque de visages avec des cheveux habillés de coiffes et pompons: à chaque nouvelle page, c’est une véritable immersion d’un continent à l’autre.
Ce plongeon instantané dans d’autres codes vestimentaires et des référents culturels inédits fonctionne grâce aux clichés qui, par leur dynamisme, nous invitent à voyager avec une telle rapidité qu’on se retrouve pris dans un tourbillon d’univers contrastés. Parmi mes coups de cœur personnels, je compte la Cotonnade fleurie d’Ouzbékistan, le dessus de lit de Guizhou en Chine et les pagnes du Bénin.
En somme, Carnet d’inspirations textiles est un ouvrage qui stimule les sens visuels grâce aux motifs, aux couleurs et aux tissus variés… et un indispensable pour stimuler la créativité de celles et ceux qui aiment créer leurs propres vêtements!
Carnet d’inspirations textiles de Catherine Legrand, Éditions de la Martinière, 2021, 216 pages, 50,95 $.
4. Balenciaga de Marie-Andrée Jouve et Jacqueline Demornex
Cet ouvrage publié aux Éditions du Regard a été une merveilleuse surprise!
À l’intérieur se déploient alternativement photos d’archives de Balenciaga et de ses créations, croquis et échantillons du styliste, et gros plans sur certaines de ses robes ou vestes pour mieux en admirer les détails – comme le choix de plumes ou de broderies.
L’un des chapitres qui m’a le plus fascinée est celui intitulé «Analogies entre Balenciaga et la peinture», puisque les parallèles faits entre certaines œuvres picturales et les tenues du créateur offrent une perspective nouvelle sur ses inspirations.
J’ai particulièrement été saisie par la ressemblance entre la cape de Balenciaga (collection hiver 1949) et la peinture Portrait de Don Carlos (datant des années 1555) du peintre espagnol Alonso Sánchez Coello. Et puis, j’ai également beaucoup apprécié le chapitre sur la passion des tissus de Balenciaga et le choix des créations présentées qui sont de toute beauté: le boléro court brodé de fleurs de nacre et de perles sur fond de résille dorée et organza ne peut pas vous laisser sans émotion, je vous le garantis!
Moi qui étais moins familière avec l’identité artistique du couturier d’origine hispanique, j’en ressors avec l’envie décuplée d’aller faire un tour dans ses archives pour découvrir l’ampleur de son legs dans le monde de la mode.
Balenciaga de Marie-Andrée Jouve et Jacqueline Demornex, Éditions du Regard, 2023, 303 pages, 65,95 $.
5. Au-delà des frontières: portraits et mode dans l’objectif des photographes du Québec sous la direction d’Anne Eschapasse et de Thierry-Maxime Loriot
Ce livre, qui est en fait le catalogue de l’exposition du même nom présentée au Musée McCord Stewart du 31 mai au 6 octobre 2024, est une œuvre d’art en soi.
Pour avoir déambulé dans les allées de l’exposition somptueusement scénarisée par Thierry-Maxime Loriot (dont j’avais déjà savouré le travail de commissaire pour Thierry Mugler – Couturissime au Musée des beaux-arts de Montréal en 2019), je trouve que les 268 clichés sélectionnés font un bel écho et complètent parfaitement la plongée unique dans le travail artistique de nos photographes québécois qui brillent par leur talent et font maintenant, pour la plupart, carrière à l’international.
Le choix esthétique des couleurs d’arrière-plan pour les biographies de chacun des 17 artistes exposés sublime les images au fil des pages. Dans l’objectif de ces photographes, musiciens, comédiens et autres personnalités publiques jouent le jeu et se transforment en modèles, immortalisés en prenant la pose dans un décor où rien n’est laissé au hasard.
Notons que nombre des photographes présentés se sont également illustrés dans le milieu de la mode en collaborant avec des créateurs issus du milieu du luxe comme Chanel (William Arcand), Versace (Alex Black), Louis Vuitton (Shayne Laverdière), Burberry (Xavier Tera) ou encore Chloé (Shayne Laverdière).
Bref, voilà un beau-livre magnifique à la couverture rigide qui rend un hommage vibrant à nos photographes locaux ayant par ailleurs collaboré avec des magazines comme Vogue, Elle ou le Rolling Stone.
Au-delà des frontières: portraits et mode dans l’objectif des photographes du Québec sous la direction d’Anne Eschapasse et de Thierry-Maxime Loriot, Éditions Musée McCord Stewart et BT Publishers, 2024, 252 pages, 53 $.
6. Dior de Françoise Giroud et Sacha Van Dorssen
Dior est en fait une réédition du très beau livre de Françoise Giroud, initialement paru en 1987 aux Éditions du Regard.
Il se concentre exclusivement sur l’œuvre de Christian Dior comme couturier, de sa première collection présentée le 12 février 1947 – où la rédactrice en chef du Harper’s Bazaar avait d’ailleurs sorti les mots prophétiques annonçant le succès mondial de son style New Look –, jusqu’à sa mort inattendue en 1957 d’une crise cardiaque foudroyante.
Je préfère mentionner que ce n’est pas l’ouvrage qu’il vous faut si vous êtes curieux de découvrir les créations et le style des successeurs à la direction artistique de Dior, tels qu’Yves Saint Laurent ou Maria Grazia Chiuri. En effet, d’une page à l’autre, Françoise Giroud nous plonge exclusivement dans l’univers du créateur qu’a été Christian Dior et revient sur son parcours de galeriste, d’illustrateur de mode et de modéliste avant de se consacrer entièrement à créer sa propre maison de couture dès 1946.
Les photos sélectionnées, extrêmement nombreuses et variées, font le tour des tenues, accessoires et parfums qui ont été dévoilés par le styliste au cours des années 1950. De temps à autre, on aperçoit également le public venu assister en nombre à ses défilés, ou encore des mannequins en pleine séance d’essayage avec lui.
Pour ma part, je suis tout particulièrement fan des images qui zooment sur le détail de ses créations: par exemple, l’ensemble haut-jupe «Vilmorin» avec broderies raffinées de pâquerettes sur organza blanc est de toute beauté, et le gros plan permet d’admirer les moindres détails, comme si on avait la tenue même entre les mains, à quelques centimètres de nos yeux. Aussi, la page complète dédiée à une parure présentant trois rangs de perles entre un collier de strass et pierres bleues et un autre de strass et opaline est envoûtant à regarder d’aussi près.
Juste parce qu’on en ressort avec une envie irrépressible de porter de jolies créations fleuries et de se plonger dans le Paris fashion en ébullition du début de la seconde moitié du XXe siècle, je vous recommande fortement d’ajouter cette publication à votre bibliothèque!