«Dans la peau de...» Sophie Bouchard, auteure fascinée par ce labyrinthe de contradictions qu'est l'humain – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Sophie Bouchard, auteure fascinée par ce labyrinthe de contradictions qu’est l’humain

«Dans la peau de…» Sophie Bouchard, auteure fascinée par ce labyrinthe de contradictions qu’est l’humain

«Bulles de fantaisie», un roman saisissant qui fait l'effet d'une catharsis

Publié le 11 septembre 2024 par Éric Dumais

Crédit photo : Sophie Gagnon-Bergeron

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd'hui, on s'est glissé dans la peau de Sophie Bouchard, auteure de romans durs, mais qui ne le sont jamais autant que la réalité à laquelle nous sommes confrontés au quotidien. Le 12 septembre, les Éditions XYZ ont levé le voile sur son quatrième roman, «Bulles de fantaisie», une histoire envoûtante qui ne vous laissera pas indifférent∙e, croyez-nous!

Sophie, on est bien heureux de piquer un brin de jasette avec toi! Tu habites à Chicoutimi, où tu es intervenante sociale et coopérante volontaire, et tu es aussi autrice à tes heures. Mais avant de parler de littérature, une question nous titille: toi qui as toujours perçu chaque être humain comme un voyage en soi et qui as pour habitude d’aller «à la rencontre de l’autre et des cultures pour mieux les écrire», dis-nous, qu’est-ce qui te fascine tant chez l’autre?

«Son unicité. Sa singularité. Avec l’humain, on ne peut pas généraliser. C’est l’univers de tous les possibles. On ne peut pas sauter à des conclusions hâtives. La personne devant nous est complexe. J’aime me promener dans ces labyrinthes de contradictions que sont les êtres humains que je côtoie, que je rencontre, qui passent subito presto sur ma route et qui repartent.»

«Une seule phrase volée à une table de restaurant peut me faire écrire un roman: le pire défaut de ma sœur, un souvenir de trente secondes que j’attrape du fond de ma mémoire déficiente, le froncement d’un sourcil au mauvais moment, tous les prétextes sont bons pour observer, écouter les messages entre les lignes, décortiquer l’invisible, analyser ce qui n’est pas évident à percevoir.»

«Dans l’équation des réactions humaines, il y a tant de variables interchangeables qui peuvent influencer l’individu dans sa manière d’encaisser ce qu’il vit que je pourrais écrire cent versions d’un même manuscrit.»

C’est en 2008 que l’appel de l’écriture a résonné fort en toi avec Cookie, ton premier roman paru chez La Peuplade. En 2010, tu as fait paraître Les bouteilles, lequel a reçu un accueil favorable des critiques et du monde littéraire. Quelques années plus tard, en 2017, sortait Jeanne à La Courte échelle, un roman d’une redoutable efficacité qui porte sur le processus de changement d’identité sexuelle. De l’affection à combler à l’amour qui fait mal, jusqu’aux vies chamboulées par des réalités parfois dures à encaisser, tu explores, et ce n’est pas peu dire, des thématiques qui confrontent. D’où vient cette soif d’explorer la psychologie humaine en «situation de crise»?

«Il y a des gens qui s’en sortent toujours, parce qu’on se fie aux masques avant de chercher la vérité en coulisses. Bulles de fantaisie devait être une histoire d’amour, mais en cours d’écriture tout a crashé, parce que la vie est dure quand on la mange dans la face chaque jour. Les fées ne se penchent pas sur tous les berceaux.»

«Quand on travaille dans le monde social, la vie se pique dans la rue, dort dans une boîte de carton, se fait réconforter à coups de claque, marche toute la nuit à huit ans pour se sauver de ce qu’il va trouver à la maison, bloque la porte pour empêcher de partir de force, saute à la gorge de son enfant pour l’arrêter de parler…»

«Mes romans sont durs, mais jamais autant que la réalité. Tout se peut, même dans les familles parfaites. Malgré la résilience, il n’y a pas que la beauté, et je ne compte pas me complaire dans le positivisme toxique.»

Ce 12 septembre, les Éditions XYZ ont fait paraître ton quatrième livre, Bulles de fantaisie, une œuvre «qui porte un regard incisif sur les relations amoureuses». Dans cette histoire, on explore les dynamiques complexes qui freinent l’évolution de trois couples: Grégoire et Alice, confrontés à l’absence chronique d’Alice, laquelle préfère son travail à son foyer; Laura et Mathieu, qui luttent contre le manque d’engagement de Laura; et Mireille et David, éloignés par leurs aspirations contraires; l’un souhaite bâtir un futur, tandis que l’autre se complaît dans le moment présent. D’où t’est venue l’inspiration pour cette histoire à trois voies, et peux-tu nous dire à quoi font référence ces fameuses «bulles de fantaisie»?

«On dit que les apparences sont trompeuses. On se construit des façades, et c’est derrière ces décors, ces gros rideaux lourds du théâtre, que j’aime regarder le monde. Là où les masques tombent et les clowns sont tristes. Dès qu’on sort de la maison, on est en représentation. De peur de se regarder seul dans un miroir, on se ment et on croit son nouveau reflet. Certains plus que d’autres, car il existe des prestidigitateurs de la vérité inventée.»

«Dans notre monde porté sur l’image, j’explique les bulles de fantaisie comme le moment où la vie construite de l’avatar devient plus réelle que le réel. La seconde où cette vie fait plus de bien, où on y passe plus de temps, où on la magnifie, la fantasme et la désire plus que la vraie.»

«C’est un endroit égoïste qui ne rend heureuse que la personne dedans. Les bulles sont des fuites en avant.»

Dans ce roman saisissant qui se lit d’une traite, on se retrouve aux premières loges pour connaître et mieux comprendre les pensées et les émotions qui traversent tes personnages. Tu y abordes, entre autres, les mensonges, les vies secrètes, les jeux de façade – et sûrement que l’intervenante sociale en toi y est pour beaucoup – mais tu portes aussi «un regard lucide sur les personnalités narcissiques et toxiques, et leur impact destructeur sur les relations et les individus». D’après toi, quelles émotions vont vivre tes lecteurs et lectrices à la lecture de ce livre, et avec quel état d’esprit repartiront-ils, un coup le livre fermé?

«Avec un discours “distortionné”, s’éloignant des faits, se basant sur des perceptions douteuses, Bulles de fantaisie plongera les gens dans le brouillard donnant l’impression d’être manipulés. Plusieurs lecteurs revivront de mauvais souvenirs, mettront des noms sur des relations amoureuses, amicales, familiales ou professionnelles. J’espère que leur lecture les soulagera d’un poids. Lire Bulles de fantaisie comme catharsis.»

«J’écris pour que mes lecteurs évacuent la pression, nomment leurs vécus, fassent sortir le méchant ou aient justice.»

«Pour les personnes narcissiques qui liront ce roman, elles ne se reconnaîtront pas, puisqu’elles n’ont pas de recul sur ce qu’elles infligent, mettent la faute sur l’autre et se placent en victime. Le cerveau, pour être rassuré devant une situation bouleversante, se trouve toujours une réponse logique à ses agissements ou à ce qu’il voit. Ça fait moins mal.»

«Certaines personnes ne pourraient pas continuer à vivre si elles étaient conscientes du mal qu’elles infligent pour vrai. Cela serait humainement insupportable.»

La psychologie est une discipline scientifique fascinante et complexe à l’instar des êtres humains! On est curieux: est-ce qu’il y a un aspect chez l’autre qui t’a toujours intriguée et que tu n’as toujours pas exploré par le biais de l’écriture? On te pose cette question, car peut-être que, mine de rien, ta réponse à cette question pourrait devenir ta prochaine idée de roman! En même temps, on dit ça, on ne dit rien! ;-)

«Je suis à la recherche de la minute où tout bascule. La minute où on est conscient et, ensuite, c’est la chute, le néant social. Je ne saisis pas cette minute, elle m’obsède. (Cet instant, entre parenthèses, où tout le monde est fragile). J’aimerais savoir si ça fait du bien d’abandonner. Je ne parle en rien de la mort, ici, mais bien de la sensation où la défaite goûte meilleure que les standards de réussite imposée.»

«Cette minute élastique, de longue et pénible chute, qui se transforme en deux cents jours, deux milles. Ce moment isolé qu’on ne comprend pas et où il faut se dire C’est fini. L’inacceptable accepté.»

«J’aimerais aussi comprendre pourquoi des gens ont le désir de dominer, de gérer d’autres personnes. La microgestion humaine; parce que le pouvoir est extrêmement dangereux dans les mains de certaines personnes, même à petites échelles.»

Bulles de fantaisie de Sophie Bouchard est présentement disponible en librairie au coût de 27,95 $ (papier). Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les Éditions XYZ.

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