«Dans la peau de...» Sébastien Pierroz, auteur de romans teintés d'observations sociologiques – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Sébastien Pierroz, auteur de romans teintés d’observations sociologiques

«Dans la peau de…» Sébastien Pierroz, auteur de romans teintés d’observations sociologiques

Une fiction où l'âme humaine et ses contradictions sont scrutées

Publié le 9 mars 2023 par Mathilde Recly

Crédit photo : Jackson Ho (Groupe Média TFO)

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd'hui, on s'est glissé dans la peau de l'auteur Sébastien Pierroz, qui vient de faire paraître son deuxième roman intitulé «Deux heures avant la fin de l'été» aux Éditions David. Découvrez-en plus sur ses inspirations, son rapport à l'écriture et ses réflexions sur l'évolution de notre société!

Sébastien, quel plaisir de faire votre connaissance aujourd’hui! On vous connaît comme journaliste et producteur de ONFR+ (la plateforme numérique du Groupe Média TFO qui partage des informations autour de l’actualité, la société et la culture), mais aussi comme auteur! On est bien curieux de savoir à quel moment vous avez eu le déclic pour l’écriture, en fait…

«J’ai toujours été un passionné de lecture, que ce soit les romans, les livres sur le sport et les différents journaux qui peuvent exister. Enfant déjà, je nourrissais mon imagination à travers l’écriture. De vieilles feuilles volantes noircies d’une écriture maladroite jonchaient la grande table du salon, au désespoir de mes parents. Mais ce n’était rien de sérieux.»

«Nous sommes tous habités par un récit. J’ai lu récemment qu’on estime à environ une personne sur cinq le nombre de gens ayant commencé le travail d’un roman, que ce soit par le biais d’un processus méthodique ou juste quelques idées très approximatives.»

«Pour ma part, j’avais entamé le processus dans ma vingtaine. Lorsque je vivais en France, j’avais envoyé un manuscrit à plusieurs maisons d’édition, sans jamais recevoir la moindre réponse. Avec le recul, je comprends le silence des éditeurs. Le style et la trame narrative restaient encore très perfectibles.»

«C’est en immigrant au Canada, en 2009, que le “déclic” – comme vous dites – s’est réellement produit. Des thèmes autrefois mineurs ont commencé à m’habiter de manière plus intense, tels que la séparation des proches, le sentiment de déconnexion face à une nouvelle culture. Parallèlement, les expériences de vie engrangées, bonnes ou mauvaises, m’ont convaincu de repartir à l’assaut de l’écriture d’un roman. J’ai réussi en publiant Entre parenthèses aux Éditions Prise de parole en 2016.»

Dites-nous tout! Est-ce que votre métier de journaliste a un impact quelconque dans votre processus de création lorsque vous vous plongez dans l’écriture d’un livre, et si oui, de quelle façon?

«Pas directement, et moins qu’on le croit. L’écriture journalistique est très différente de l’écriture d’un roman. On peut être un excellent journaliste, avec une plume très acérée pour mettre en valeur des faits, et un écrivain médiocre; ou, inversement, un auteur avec une plume magnifique pour les descriptions et les figures de style, tout en étant incapable de posséder la rigueur et la précision journalistiques.»

«Tous les styles d’écriture sont différents. Si j’élargis votre question en prenant l’exemple d’un article universitaire, les exigences sont encore autres. Le professeur ou chercheur devra faire preuve d’une rigueur implacable, en citant chacune de ses sources, en décrivant sa méthode et la nature épistémologique de son hypothèse. On est ici dans la démarche scientifique, et non dans la vulgarisation d’un article de presse.»

«Toutefois, des ponts existent entre l’écriture d’un article (spécialement pour le format magazine) et celle d’un roman. Au-delà des faits, des chiffres ou des citations qui ponctuent un article, il s’agit pour le journaliste de prendre un pas de recul et de laisser parler ses cinq sens pour décrire ce qu’il voit, ce qui va apporter de la couleur à son article, et éventuellement accrocher le lecteur. En lisant “un papier”, les gens ont aussi besoin d’être absorbés dans une ambiance.»

Votre deuxième roman, Deux heures avant la fin de l’été, paraîtra dans quelques jours aux Éditions David. On y suit le personnage de Damien, un employé de Greenpeace qui vit à Londres et qui est amené à rentrer dans son village d’enfance en France pour les obsèques de son grand-père. Confronté aux secrets trop lourds et aux mystères non élucidés du village et de sa famille (dont le meurtre d’une jeune fille en 1976 et la disparition «accidentelle» de sa propre sœur en 2002), Damien va partir à la quête de la vérité avec l’aide de son frère Adrien et de la journaliste franco-ontarienne Cristina. Pouvez-vous nous dire d’où vous est venue l’inspiration pour cette histoire?

«Ce récit est une pure fiction. Et je me suis moi-même laissé emporter par cette histoire, sans vraiment que ce meurtre soit relié à une quelconque affaire ayant trait à la réalité. Tout n’est qu’imagination.»

«J’ai toujours eu un faible pour les récits ou les films capables de replonger le lecteur dans une époque ancienne. Mon histoire se déroule sur trois périodes: l’été 1976 marqué en France par une grande sécheresse, juin 2002 avec la Coupe du monde de soccer, la chaleur encore et la France en émoi après l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, puis mars 2020, avec l’arrivée imminente de la COVID-19 et l’inquiétude (ou le déni) autour de cette future pandémie.»

«Sur ces trois périodes, on a donc un événement mini-apocalyptique qui bouscule les croyances et les certitudes des résidents de Mongy, le village central de mon histoire.»

«Aussi, j’ai toujours été fasciné par l’hypocrisie des relations sociales. Derrière les apparences de politesse, de neutralité, de retenue, se cachent bien souvent le pire – les pulsions primaires et destructrices pour autrui – comme le meilleur – l’amour, l’amitié et la solidarité. Le gène de la vertu, n’en déplaise aux moralistes de droite et de gauche de plus en plus nombreux, n’existe pas. Chacun est traversé par des vents contraires. J’adore rendre compte des contradictions de l’âme humaine, la mienne en premier, tout en me nourrissant de quelques observations quotidiennes.»

Il paraît que «puisant dans [vos] origines, [vous] traite[z] dans ce fascinant polar du racisme qui hante depuis longtemps cette France de «l’entre-deux», avec en filigrane la désindustrialisation et les effets pervers de la mondialisation.» Pouvez-vous nous en dire plus sur ce phénomène, et sur ce qui vous a poussé à en parler au sein de votre deuxième roman?

«Dans mon roman, nous ne sommes effectivement pas dans la France des grandes villes – où les personnages évoluent par exemple dans de beaux immeubles haussmanniens avec des problèmes existentiels –, ni la France “des banlieues” avec une population paupérisée et très marginalisée. Non.»

«Il s’agit plutôt de la description d’un village fictif, Mongy, marqué par la désindustrialisation, le déclin démographique, la peur de la mondialisation et le sentiment de déconnexion avec les élites des grandes villes. C’est une France très réceptive malheureusement aux idées du Rassemblement National (RN), mais que les élites urbaines et éduquées comprennent difficilement depuis leur tour d’ivoire. Cette dichotomie se retrouve souvent dans les résultats des élections en France.»

«En lisant mon manuscrit, une personne m’avait demandé: “Es-tu certain que ce que tu décris dans le livre existe vraiment?”. L’aspect très patriarcal de certains personnages la gênait un peu. Or, ces personnages sont le reflet d’une époque, et non forcément de mes convictions. Faut-il mettre un voile sur ce qui nous gêne? Ses hésitations m’ont confirmé que je touchais un objectif: montrer clairement une partie de cette France ignorée ou mal comprise depuis le Canada.»

«Dans la littérature ou le cinéma, j’ai toujours beaucoup apprécié le courant réaliste et naturaliste. Aussi, je crois à la capacité de l’art de montrer une réalité dérangeante. On ne peut pas changer le monde, si nous ne voulons pas nous confronter à ce qui choque et dérange.»

Et alors, à court ou moyen terme, quels sont vos prochains projets? On se demande si vous avez déjà dans l’idée de vous lancer dans l’écriture d’un troisième livre, qui sait?

«Tout à fait. Bien que mon travail au sein de Groupe Média TFO soit prenant, je sens une petite graine de création qui continue inlassablement de germer depuis plusieurs mois. En d’autres mots, un récit s’écrit et se structure progressivement dans un coin de ma tête. En revanche, je n’ai pas encore écrit le moindre mot sur un fichier Word de mon ordinateur!»

«J’aimerais garder une thématique de nouveau très sociologique dans ce manuscrit, en tentant de partir, comme pour Deux heures avant la fin de l’été, d’une énigme. Peut-être que cette fois-ci l’aspect social supplantera le côté “suspense”.»

«Les dernières années ont été extrêmement riches en termes d’actualités. Que l’on pense à la pandémie, la guerre en Ukraine ou l’influence progressive d’une pensée post-nationale et décoloniale, nous vivons des événements majeurs et un tournant. Cela ne signifie pas que la condition humaine s’améliore. Bien au contraire. Cela nourrit en tout cas la réflexion de mon futur roman.»

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les Éditions David.

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