LittératureDans la peau de
Crédit photo : Tamara Léger
Paul, tu es né à Winnipeg, tu as grandi à Ottawa et tu as voyagé sur divers continents avant de t’installer définitivement à Toronto, où tu résides aujourd’hui. Avais-tu ce besoin, à l’époque, de découvrir le monde afin de forger ta vision d‘écrivain, ou il y avait longtemps que tu savais que c’était ta vocation?
«Comme bien des jeunes adultes – à plus forte raison, ceux qui ont grandi dans une bulle de banlieue – cette bougeotte découlait, avant tout, d’une soif de voir le monde, de me frotter à d’autres cultures et façons de faire. L’écriture m’a accompagné pendant ces voyages, quoique de façon spontanée, par à-coups: un poème griffonné à la va-vite dans un bus, des observations notées dans une auberge de jeunesse… Mais honnêtement, à l’époque, l’idée de devenir écrivain me semblait aussi probable que celle de devenir dresseur de licornes.»
«Cela dit, voyager les yeux et les oreilles grand ouverts, avec une bonne dose d’humilité, de respect et de curiosité saine, c’est un des meilleurs moyens que je connaisse pour développer l’empathie. Et l’empathie – cette capacité de s’imaginer pleinement dans la peau d’un autre – reste, selon moi, une condition sine qua non de l’écriture de fiction.»
Le 3 octobre 2019, tu dévoilais Crevaison en corbillard, un premier recueil de 30 nouvelles, publié chez Flammarion Québec, « où ce ne sont pas seulement les pneus qui éclatent, mais la vie tout entière ». Explique-nous la genèse de sa création et aussi la signification de ce titre qui pique notre curiosité!
«Ce livre est le plus heureux des accidents. Il y a quelques années, alors que je me trouvais dans une passe personnelle difficile, je me suis mis à écrire de plus en plus de nouvelles, comme exutoire et pour le simple plaisir de la chose. Bien que j’écrivais avant tout pour moi, je m’amusais aussi à répondre parfois à des appels de textes lancés par des revues littéraires. L’idée d’un recueil n’est venue que bien plus tard, une fois que j’ai compté et colligé mes textes, et que je me suis écrié: Pardi! Je crois bien en avoir assez pour un livre.»
«Crevaison en corbillard est le titre d’une nouvelle éponyme qui raconte la mésaventure rocambolesque de deux croque-morts, pris dans une course contre la montre pour livrer un cercueil à temps pour des funérailles prévues dans une petite église de campagne, au Manitoba. Je trouvais que ce titre donnait bien le ton pour l’ensemble du recueil, qui tente de naviguer sur la fine ligne séparant le rire des larmes. L’humour aide souvent à faire passer des réalités plus amères, voire à conjurer la mort.»
Et pourquoi avoir opté pour l’écriture de nouvelles plutôt qu’un roman? Dis-nous ce qui a motivé ton choix et ce que tu aimes particulièrement de ce format d’écriture plus succinct et souvent plus punché.
«L’écrivain britannique Neil Gaiman résume avec brio la beauté de ce genre: Les nouvelles sont de petites fenêtres vers d’autres mondes, d’autres pensées, d’autres rêves. Ce sont des voyages qui nous permettent de nous rendre à l’autre bout de l’univers, et quand même revenir à temps pour le souper.»
«Ce que j’aime tout particulièrement du format de la nouvelle, c’est cette possibilité d’explorer une grande variété de thèmes, de personnages, de lieux, d’époques. Le bref, en littérature, c’est aussi un merveilleux laboratoire créatif où l’on peut expérimenter différentes techniques et voix narratives. Écrire du point de vue d’un objet inanimé ou d’un animal, par exemple, c’est quelque chose avec lequel on peut s’amuser, le temps d’une nouvelle, mais qui s’avère plus casse-gueule sous la forme d’un roman.»
On aimerait aider nos lecteurs francophones du Québec à mieux se familiariser avec la littérature franco-canadienne. Peux-tu nous présenter brièvement au moins trois auteurs que tu as découverts récemment et nous dire en quoi leurs œuvres t’ont charmé?
- «Blaise Ndala, un romancier de l’Ontario, pour sa verve incisive et son sens de la satire.»
- «Georgette LeBlanc, une poétesse de la Nouvelle-Écosse, pour son univers mêlant oralité, intimité et tranches d’histoire.»
- «Bertrand Nayet, un haïkiste du Manitoba, pour ses images à la fois subtiles et surprenantes.»
Crevaison en corbillard fait partie des œuvres en lice pour le Prix littéraire Trillium, qui vise à récompenser les écrivaines et écrivains francophones de l’Ontario et leurs éditeurs. Toutes nos félicitations et la meilleure des chances! Comment as-tu accueilli la nouvelle et, selon toi, qu’est-ce que cela peut t’apporter pour la poursuite de ta carrière d’auteur?
«J’en suis tombé en bas de ma chaise. Écrire, c’est une activité tellement solitaire qu’on ne sait jamais trop à quoi s’attendre lorsqu’on sort de sa grotte pour mettre un livre au monde. Donc, c’est sûr que ça m’a fait un petit velours de recevoir une validation comme celle-là.»
«Mais ce qui me comble davantage, à vrai dire, ce sont les retours des lecteurs. Voir comment le livre a pu faire œuvre utile pendant la crise de la COVID-19 m’a aussi fait très chaud au cœur. Un comédien de Québec a récemment lu des extraits de Crevaison en corbillard à des personnes confinées, dans le cadre du magnifique projet Au creux de l’oreille. Et ça, pour moi, ça vaut mille nominations.»
«Il reste que je suis très reconnaissant de me retrouver en lice pour ce prix. Quant à l’avenir, je n’ai pas de boule en cristal, mais j’espère que cela permettra à ce corbillard de faire encore un petit bout de chemin. Malgré sa crevaison.»