«Dans la peau de...» Pattie O'Green, autrice engagée et aux mille aspirations – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Pattie O’Green, autrice engagée et aux mille aspirations

«Dans la peau de…» Pattie O’Green, autrice engagée et aux mille aspirations

Une réflexion critique, incarnée et vivante sur la spiritualité féminine

Publié le 8 octobre 2021 par Mathilde Recly

Crédit photo : Chloé Charbonnier

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd'hui, on s'est glissé dans la peau de l'autrice Pattie O'Green, dont le livre «Manifeste Céleste: Aventures spirituelles en bottes à cap» est paru aux Éditions du Remue-Ménage le 5 octobre. Découvrez son expérience personnelle et sa quête de spiritualité au féminin, avec toutes les aventures et réflexions qui en découlent!

Pattie, on est curieux de savoir: d’où t’est venue la piqûre pour l’écriture?

«C’est toujours difficile de retrouver l’origine d’une chose comme celle-ci, je trouve, mais le désir et le plaisir d’écrire se sont développés en cultivant la joie de la lecture. Il y a tellement de livres qui m’habitent quand j’écris, mais il y a aussi des œuvres d’art visuel, des films, des chansons, des images, des paysages.»

«L’écriture, c’est une manière d’entrer en dialogue. Mais aujourd’hui, ce qui me drive, c’est vraiment le partage. Je perçois dans les livres d’autofiction une grande générosité et cette volonté de se rencontrer avec nos similitudes et nos différences, de vibrer ensemble. Ça m’émeut et ça me donne envie d’y participer, moi aussi.»

«Mon engagement envers l’écriture vient aussi d’un émerveillement constamment renouvelé pour l’exigence de l’autofiction. Quand j’écris, j’essaie que mes intentions soient alignées avec mon ressenti tout en prenant soin des autres. Cette perpétuelle recherche d’équilibre me permet de cultiver un espace d’empathie, elle m’anime et me donne envie de continuer d’écrire pour l’approfondir.»

En 2015, on a découvert ton premier livre Mettre la hache: Slam western sur l’inceste. Tu y avais notamment dénoncé la loi du silence, ainsi que les violences et blessures psychiatriques qui accompagnent ce «viol doux». Qu’est-ce qui t’avait donné envie d’aborder ce sujet – encore trop – tabou dans notre société?

«Il y a six ans, je ne me reconnaissais pas dans les discours dominants sur les agressions sexuelles. Aujourd’hui, et grâce au mouvement #MeToo, on entend une pluralité de voix et on reconnaît davantage les enjeux systémiques des agressions sexuelles, et c’est vraiment extra!»

«Au moment d’écrire Mettre la hache, je ne supportais plus de me sentir isolée, ni de vivre un sentiment étroitement lié à une sympathie distante envers les victimes: une sympathie qui pointe vers une prétendue anomalie dans un monde à l’endroit. Mettre la hache parle de l’inceste comme d’un enjeu social et non intime, en plus de montrer que, des comportements incestueux, il y en a partout.»

«Quand quelqu’un ne passe pas par les protocoles établis pour obtenir quelque chose, quand les règles sont secrètement “bendées” pour qu’une personne s’arroge un privilège, quand on cherche à garder le pouvoir à l’intérieur de ce qu’on perçoit comme notre “famille”: tant que ces comportements seront acceptés, il y aura de l’inceste, car il y a une anesthésie sociale qui nous empêche de le voir, de le reconnaître.»

«On dit que, pour guérir d’un trauma, il faut cesser d’être confronté.e.s à la cause du trauma pour un temps. Les comportements sociaux incestueux font obstacle à notre guérison et génèrent de l’injustice. Mettre la hache, en plus de partager une expérience singulière, disait quelque chose du genre “j’ai fait mon bout, c’est à votre tour”

Cette fois, tu entraînes tes lecteurs dans un véritable parcours spirituel avec ta plus récente publication, Manifeste Céleste: Aventures spirituelles en bottes à cap, parue aux Éditions du Remue-Ménage le 5 octobre dernier. Pour ta création, tu dis avoir «ouvert le sentier sur lequel [tu as] traîné le bagage critique d’une femme qui a passé beaucoup de temps à l’université», tout en faisant allusion à tes «résistances, [tes] engagements, [tes] frustrations, [tes] désistements et [tes] extases». Qu’est-ce que tu as cherché à approfondir à travers cette démarche, et que souhaitais-tu partager à tes lecteurs? 

«Je souhaitais partager une réflexion critique, incarnée et vivante sur la spiritualité féminine. Pour cela, j’avais envie d’explorer ce que j’appelle le “edge”: cette zone d’entre-deux inconfortable, mais tellement vivante, entre l’abandon total de soi dans l’expérience spirituelle et les “limites” générées par une pensée critique.»

«J’écris “limites”, car j’ai longtemps eu l’impression que ma pensée m’empêchait de vivre une expérience spirituelle entière. J’étais frustrée. Au fil du temps, je me suis rendu compte que ma spiritualité est indissociable d’une pensée critique, et que l’expérience spirituelle se déploie avec toutes ses subtilités lorsque j’accueille avec curiosité et ouverture cet entre-deux.»

«Les pratiques dites spirituelles jouent un rôle dans le livre, mais les aventures spirituelles qui y sont décrites s’ancrent dans le monde, le quotidien et les communautés. On y retrouve également le message que la connexion à notre corps et à notre imaginaire – mais surtout à la nature (thème central dans le livre) – permet de créer sa propre spiritualité et de l’approfondir.»

«Mais même là, on est toujours à risque de se faire prendre au piège, par exemple, en occultant le fait que la nature est, elle aussi, façonnée par des rapports au monde et des intérêts. D’où l’importance de se maintenir dans le “edge” pour que l’émerveillement ne devienne jamais un aveuglément.»

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Au fil des pages, en plus de tes écrits, on découvre également les illustrations réalisées par Delphine Delas, avec qui tu avais déjà collaboré pour Mettre la hache. Qu’aimes-tu particulièrement dans sa signature artistique et visuelle, et en quoi penses-tu que celle-ci s’accorde bien avec ton univers et tes mots?

«Delphine est une artiste à la ligne libre et spontanée. C’est comme si ses dessins émergeaient de nulle part, d’un espace vaste. Elle peut se revirer sur un dix cents, comme on dit, et créer des images complètement inattendues et différentes les unes des autres.»

«Comme elle le dit elle-même, elle est très instinctive. J’adore ça. Chaque fois que je regarde ses illustrations, j’ai l’impression de les avoir dessinées tellement elles s’harmonisent avec ce que je ressens. Par exemple, pour le chapitre Les sirènes, Delphine a dessiné des femmes que je vois régulièrement sur la plage du Rocher Blanc à Rimouski. Elle a carrément fait leur portrait, comme si elle les connaissait. La ressemblance n’est pas simplement physique. Elle se retrouve aussi dans la posture de ces femmes, leur regard, leur “esprit”.»

«Aussi, Delphine est muraliste-graffiteuse. C’est une artiste qui sait créer sur et pour la place publique. Cette force d’appropriation de l’espace public transparaît dans ses compositions, et je trouve ça à la fois puissant et original.» 

À court ou moyen terme, as-tu d’autres projets créatifs en tête, quelle qu’en soit la forme?

«Ouiii! Je viens d’obtenir un financement pour de la recherche et de la création afin d’écrire un livre de nature writing. Si le nature writing est déjà présent dans Manifeste céleste, ce projet me permet d’explorer davantage ce genre littéraire dont je dévore les ouvrages depuis quelques années et, plus précisément, les nombreux récits de nature écrits par des femmes.»

«Je ressens une telle proximité avec ces femmes qui passent beaucoup de temps dans le bois, seules, à observer, marcher, écrire et peindre à l’aquarelle. C’est dans la pratique de ce genre littéraire que toutes mes facettes peuvent enfin se rencontrer et dialoguer: l’historienne de l’art, la sémioticienne, l’horticultrice, l’arboricultrice, la forestière, mais aussi la randonneuse, l’aventurière et la yogini.»

«Si le nature writing requiert beaucoup de solitude, c’est pourtant en tissant des liens singuliers avec la nature que j’apprends à mieux connecter avec les autres.»

«Je n’en dévoilerai pas plus, mais ce projet m’enthousiasme beaucoup!»

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les Éditions du remue-ménage.

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