LittératureDans la peau de
Crédit photo : Alma Kismic
Mélissa, on n’avait encore jamais eu la chance de s’apprivoiser avant aujourd’hui! C’est maintenant chose faite! Tu es titulaire d’une maîtrise en création littéraire de l’UQAM, ce qui nous laisse présager que l’écriture t’a toujours interpellée. Justement, à quel moment cette envie d’écrire s’est-elle présentée à ta porte, et quels auteurs et quelles autrices ont marqué ton imaginaire?
«Je pense que je suis née avec un crayon à la main… Effectivement, l’écriture fait partie de ma vie depuis ma tendre enfance. Dès que j’ai su écrire en lettres attachées, je me suis mise à composer des poèmes sur du papier à lettres qui sentait bon.»
«Mon désir profond de raconter des histoires a ensuite pris la forme de lettres interminables que j’écrivais à mes amies et aux garçons qui faisaient battre mon cœur. Ont suivi l’écriture de pièces de théâtre pour mon ancienne école secondaire, un blogue de fiction, puis un autre, des collaborations avec le magazine URBANIA, des nouvelles publiées en revue et… la suite, vous la connaissez!»
«Et je vais vous faire une confidence: je ne lisais pas tant que ça quand j’étais jeune, trop occupée que j’étais à gribouiller mes propres textes! C’est par après que des auteurs comme Alessandro Baricco ou Milan Kundera sont venus m’influencer.»
En 2011 – tu avais donc 28 ans si on est toujours autant doué pour le calcul mental! – les Éditions La Peuplade publiaient Voyage Léger, un tout premier roman qui a suscité un enthousiasme généralisé dès sa sortie. En 2015, cet ouvrage a même été réédité chez Bibliothèque québécoise, et par la suite, tu as fait paraître L’angoisse du poisson rouge (2014), Les couleurs primaires (2016) et Les voies de la disparition (2016). Comment as-tu reçu ces réactions hautement positives à l’égard de ton œuvre?
«Je vais devoir rectifier votre calcul: j’avais 27 ans quand mon premier roman est paru en mars 2011, car je suis née en octobre. ;-)»
«Mais il est vrai que j’ai été extrêmement privilégiée, puisque ce premier livre m’a attiré de très belles critiques et le respect de mes pairs. J’ai toujours accueilli avec humilité et gratitude ces réactions très positives, même si je me désole que cette reconnaissance demeure encore aujourd’hui principalement symbolique; toutes ces tapes dans le dos que j’ai pu recevoir font bien entendu plaisir, mais la vérité, c’est qu’elles ne me permettent pas de vivre…»
«Comme une majorité d’écrivain·es, je dois multiplier les petits boulots pour être capable de payer mes factures, et je trouve dommage qu’il y ait si peu de personnes qui parviennent à vivre de leur plume au Québec – des personnes dont le talent est pourtant souvent souligné.»
Le 1er février, les Éditions XYZ levaient le voile sur ton plus récent roman, La nébuleuse de la Tarentule, un récit singulier et intimiste où tu brouilles volontairement «les frontières entre la réalité et la fiction», comme dans un jeu de miroir où sont provoquées des perspectives inattendues… Parle-nous brièvement de ta protagoniste Mélisa – hmm, est-ce une version projetée de Mélissa, ça? – et des événements qui surviennent dans sa vie au moment où l’histoire démarre.
«Mélisa est effectivement mon alter ego, vous être très perspicaces! ;-)»
«La nébuleuse de la Tarentule est une autofiction parfaitement assumée. Je me suis inspirée de plusieurs anecdotes (et tragédies) survenues dans ma propre vie pour créer la trame narrative – mais je ne vous révélerai pas ce qui est véritablement arrivé et ce qui relève de l’invention, désolée pour les curieux·euses!»
«En résumé, la pauvre Mélisa vit une période difficile et ses grands questionnements existentiels sont exacerbés par des événements étranges: elle découvre entre autres une tarentule dans une boîte de verres à vin, son père se met à parler mystérieusement allemand du jour au lendemain, et elle se retrouve assise côte à côte avec un de ses grands amours d’adolescence dans un train. C’est d’ailleurs cette rencontre qui la forcera à revisiter son passé et à creuser ses propres mensonges.»
On s’entend que l’élément déclencheur de toutes ces bizarreries qui surviennent et chamboulent le quotidien de Mélisa, ainsi que sa perception de la «vraie» réalité, est dû à l’émergence d’un souvenir traumatique refoulé qui est visiblement remonté à la surface. Ça expliquerait, entre autres, pourquoi ses souvenirs diffèrent de ceux de ses proches… Peut-on dire que Mélisa est carrément en train de perdre pied?
«On peut effectivement dire que Mélisa ne va pas très bien. L’anxiété, qu’elle croyait avoir contrôlée, est revenue perturber son quotidien, et elle essaie de comprendre pourquoi elle se sent aussi mal dans sa peau, d’où lui vient son constant sentiment d’inadéquation. La réponse ne se trouve cependant pas là où elle croyait. Elle a longtemps préféré faire fi de la réalité ou, en tout cas, la remodeler pour la rendre plus digeste.»
«Mélisa peut donner l’impression qu’elle est en train de devenir folle, mais je pense, en fait, qu’elle nous parle de la tendance d’une majorité d’êtres humains à baisser les yeux devant les évidences plutôt que de les regarder en pleine face. La fuite en avant et le déni sont des comportements très répandus, aussi salvateurs que destructeurs…»
Il semble qu’on t’ait souvent demandé si ce que tu écrivais avait un ancrage dans la réalité – celle que nous connaissons, là, pas une illusion d’optique! Après tout, les écrivains ont souvent tendance à écrire sur ce qu’il connaisse, n’est-ce pas? Mais comme tu sembles être passée maître en matière d’illusions et de jeux de miroir, on a un doute maintenant… Peut-être que tu pourras éclairer notre lanterne, qui sait!
«Serait-ce une manière peu subtile de me tirer les vers du nez pour que je vous dise ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans La nébuleuse?! Je ne plierai pas, même sous la torture! ;-)»
«Mais je vous confirmerai cependant que je suis obsédée par les concepts de vérité/mensonges et de réalité/fiction – ça nourrit mes textes et mes réflexions depuis mes tout débuts. J’écris des romans vraisemblables qui se déroulent dans un monde drôlement similaire au nôtre, souvent en partant de faits qui m’ont été rapportés et que je tords à ma convenance pour les transformer en histoire; en parallèle, je m’interroge constamment sur mon rapport au réel.»
«Notre expérience individuelle n’est qu’une infime partie du grand kaléidoscope que constitue la réalité, et bien malin serait celui qui pourrait prétendre détenir LA vérité. Dans mes livres, j’essaie tout simplement de vous partager la mienne.»