LittératureDans la peau de
Crédit photo : Chloé Charbonnier
Marie-Claude St-Laurent, Marie-Claude Garneau et Marie-Ève Milot, vous êtes toutes trois codirectrices de la collection de théâtre féministe La Nef, parue aux Éditions du Remue-ménage. Quel a été votre déclic pour la littérature, et plus spécifiquement pour celle du théâtre?
«Nous étions toutes déjà de grandes dévoreuses de livres quand nous nous sommes rencontrées – il y a 17 ans! – dans une école de théâtre. Fait à noter, très très peu de femmes faisaient partie du corpus étudié, ce que nous avons réalisé bien plus tard, malheureusement… Si notre grande histoire d’amitié a débuté là, c’est à travers notre éveil féministe qu’elle a trouvé son ancrage.»
«En 2013, nous nous sommes retrouvées pour créer une conférence-performance qui a mené à l’écriture de La Coalition de la Robe. C’est entre autres à travers ce processus que s’est cristallisé notre désir d’être dans l’action. Publier du théâtre féministe est une action concrète, et militante!»
En tant que féministes, qu’est-ce qui vous allume, et comment souhaitez-vous mettre cela en lumière avec La Nef?
«La transmission féministe est l’une de nos principales préoccupations. Cette collection, c’est ça, c’est avant tout un travail de mémoire. Et nous avons envie de le faire avec l’intention d’aller vers les textes, pas dans l’attente qu’ils nous arrivent d’eux-mêmes.»
«L’ancienne collection proposait d’importants documents d’accompagnement. Nous avons eu envie d’y faire écho. Comme nous avons à cœur de créer des ponts entre écritures dramatiques et pensées critiques, les postfaces de nos deux premières parutions sont signées par une chercheuse et une dramaturge féministes.»
Pourquoi pensez-vous qu’aujourd’hui, plus que jamais, il est temps de redonner vie à la collection de théâtre féministe aux Éditions du remue-ménage, dont le dernier ouvrage, Joie, était paru en 1995?
«Que ce soit avec le Théâtre de l’Affamée, compagnie de création au mandat féministe, pour Marie-Claude S. et Marie-Ève, ou à travers sa thèse de doctorat portant sur les dramaturgies féministes pour Marie-Claude G., au cours des dernières années, nous avons toutes trois creusé nos démarches et affirmé notre engagement féministe.»
«En parallèle, nous avons assisté à une recrudescence de paroles féministes dans l’espace public, qui s’incarne aussi sur nos scènes. Et nous avons ressenti le besoin de créer un espace pour faire dialoguer ces multiples féminismes, d’en rassembler le plus possible, et surtout de les inscrire dans la lignée de leurs prédécesseures.»
Les pièces Guérilla de l’ordinaire et KINK sont les premières à être éditées avec le retour de La Nef cet automne. Pouvez-vous nous parler de l’histoire et des enjeux principaux présents dans chacun de ces textes, de même que de leur pertinence aujourd’hui?
«Dans Guérilla de l’ordinaire, on retrouve une série de personnages réunis lors d’une vigile, un an après la disparition d’une femme, une militante féministe. Des gens qui l’ont côtoyée de près ou de loin se remémorent des souvenirs d’elle, certaines de ses actions et de ses paroles. La pièce traite, entre autres, de la fatigue associée à la militance et des violences sexistes auxquelles font face les femmes.»
«KINK, de son côté, est une «initiation poétique au BDSM», comme l’indique la couverture du livre. Les pratiques sexuelles BDSM (bondage, domination, sadisme, masochisme) sont au cœur de cette pièce, dans laquelle l’auteur et l’autrice discutent à partir de leur propre expérience. Les notions de jeu, de liberté et de consentement sont des thèmes centraux dans l’œuvre.
«Les sujets abordés dans ces textes, de même que leurs formes – épurées et fragmentées – traduisent bien ce qui nous intéressent actuellement à La Nef. Nous sommes convaincues de la pertinence littéraire, dramatique et sociale de KINK et de Guérilla.»
Imaginons que vous ayez carte blanche et que tout soit possible! Comment aimeriez-vous voir évoluer La Nef à plus ou moins long terme, par le biais de quels projets, et avec quelles figures actuelles du féminisme?
«On cherche définitivement à aborder des sujets qui font appel à la sensibilité de notre lectorat, des sujets qui s’incarnent dans une dramaturgie travaillée et qui n’ont pas peur de dire les féminismes. Une dramaturgie qui prend des risques et qui choisit de prendre position.»
«On cherche donc des formes plurielles, qui s’engagent envers leur sujet et la langue. On veut des œuvres vivantes, politiques. Et on veut surtout avoir du fun! On veut collaborer avec des autrices engagées, qui ont à cœur le geste d’écriture et la pensée féministe. Le travail de direction littéraire et d’édition est quelque chose de minutieux et d’attentionné. On veut travailler avec des personnes soucieuses de ce même engagement.»