LittératureDans la peau de
Crédit photo : Maude Chauvin
Magali, vous vous êtes illustrée dans le théâtre en tant que comédienne, metteure en scène ou encore coproductrice de spectacles. D’où vous est venue la passion pour cette discipline artistique, et quelles ont été les grandes lignes de votre parcours jusqu’à aujourd’hui?
«Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été passionnée de théâtre. Petite, je me déguisais et interprétais des personnages, je me fondais dans les écrits de théâtre et je proclamais haut et fort les tirades de Cyrano avec mon père! J’ai toujours été interpellée par cette chance de vivre plusieurs vies à l’intérieur de moi, de côtoyer tout ce que j’aurais voulu être – ou ne pas être –, l’instant d’un rôle…»
«Voilà maintenant plus de vingt ans que j’œuvre dans le milieu professionnel. Ayant une grande soif de découvertes, je cherche constamment à renouveler ma pratique, soit par le biais de projets ou de défis artistiques, soit par ma participation à des formations. J’ai signé plus d’une vingtaine de mises en scène, dont les plus récentes sont Jack, Vie et mort d’un char boiteux et Confidences trop intimes. À titre de comédienne, j’ai joué sous la direction de metteurs en scène comme Gabriel Plante, Louise Naubert, Martin Cadotte et Anne-Marie White, entre autres.»
«Fait marquant: le Théâtre français du CNA m’a offert d’ouvrir sa saison 2013-2014 avec mon projet autogéré Je n’y suis plus de l’auteure Marie-Claude Verdier. La directrice artistique, Brigitte Haentjens, a embrassé ma détermination et mon audace en choisissant de me coproduire tout en sachant que je n’avais pas de compagnie de théâtre établie derrière moi. J’ai dû faire honneur à son intuition, car la production a ensuite été présentée avec grande fierté à Montréal et à Sudbury.»
«Je suis actuellement de la distribution Americandream.ca, une trilogie de quatre heures du Théâtre La Tangente en tournée depuis 2015. Une saga familiale exposant une quête de bonheur qui se heurte aux vicissitudes de la vie. Un road trip à la fois personnel et universel, qui s’interroge sur notre rapport au rêve américain.»
«Ce printemps, je travaillais à la création de mon tout premier texte Dans le bleu qui devait fouler les planches du Théâtre français du CNA, du Théâtre de l’île et du TNO en avril-mai-septembre 2020… Mais pour l’instant, impossible de s’amarrer quelque part, je suis ancrée au large.»
Votre premier livre, Dans le bleu, est paru aux Éditions Prise de parole le 7 juillet dernier. On y suit les aventures d’une femme à la dérive qui vit sa première traversée de l’Atlantique, accompagnée d’un capitaine tatillon, de son épouse ainsi que d’une jeune femme marseillaise. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette pièce qualifiée de «récit d’émancipation à une voix»?
«Dans le bleu est une œuvre scénique qui unit mes deux passions, la voile et le théâtre, tout en alliant poésie et originalité. Une odyssée personnelle, un récit de voyage autobiographique aux allures de conférence idéaliste, une histoire vécue hors norme. Une aventure captivante, touchante et remplie d’étoiles.»
«Une jeune femme embarque sur un voilier avec trois étrangers: un capitaine fantasque, sa jeune épouse quasi muette et une Marseillaise boute-en-train pour traverser l’Atlantique, des Bahamas au Maroc. L’épopée intime est ponctuée d’épisodes magiques – méduses punks, plancton phosphorescent, dauphins au clair de lune, baignade dans l’infini –, mais aussi d’épreuves physiques, amoureuses et humaines incluant un changement de cap inopiné pour finalement se dérouter jusqu’en Bretagne.»
«Moments de doute, d’extase, de fièvre; rencontres qui usent ou qui font du bien, et surtout l’immensité turquoise et mouvante de l’océan. Dans le bleu touche les êtres dans leur quête personnelle. Chevaucher un océan, c’est avant tout l’expression d’une fascination, mais surtout une traversée de ses propres questionnements.»
Outre les arts de la scène, on a pu découvrir que vous occupiez votre temps comme navigatrice et que vous aviez même «10 700 miles nautiques» à votre actif! On fait vite quelques rapprochements avec Dans le bleu: quel rôle cette autre passion a-t-elle joué dans vos processus de création et d’écriture de cette première publication?
«Un très grand rôle! Suite à la création de la pièce Je n’y suis plus, une lente implosion s’est opérée en moi-même. Des deuils trop vite faits, des douleurs enfouies, mon GPS intérieur qui déraillait. J’avais besoin de lumière et de vide. Je suis partie sur la mer pour me guérir, ou me mettre en danger, ou peut-être un peu de tout cela… jouer le tout pour le tout. Comme une médecine douce, sur les flots, j’ai embarqué en 2014, 2015, 2016 et 2017; le voilier devenant une île isolée et mouvante, un petit monde coupé du monde. La terre était loin, elle n’existait plus et je respirais, je regardais la mer; j’étais bien et je réapprenais à vivre.»
«Et voilà qu’est né en moi le désir de créer une œuvre me redéfinissant. Alors, je me suis mouillée à l’écriture, «comment dire»: j’ai osé raconter. Grâce à ma complice, la dramaturge Marie-Claude Verdier, un premier travail d’écriture a débuté à l’hiver 2016, une correspondance sur la mer. Les tableaux se sont accumulés dans mes cahiers et la traversée vers une œuvre plus complète est devenue rapidement essentielle en moi. En février 2017, j’ai plongé tête première, bohème dans les mots, et le public a entendu les premiers balbutiements de Dans le bleu, un voyage confrontant notre solitude aux forces irrésistibles de la nature, à tout ce qui échappe à notre contrôle et qui peut nous submerger, à tout moment.»
«Et puis, au printemps, un spectre qui ne vit ni ne meurt s’est réveillé du trépas. Une ombre qui me hante. C’est alors que je suis retournée sur la mer pour traverser l’Atlantique d’ouest en est. Un voyage initiatique où je me suis vue confrontée à de multiples épreuves.»
«À mon retour sur terre, j’ai pris un café avec l’auteur Claude Guilmain qui m’a demandé de lui parler de ma traversée, et s’en est suivi un long récit de plus de deux heures sur une terrasse.
«Puis un long silence.»
«Il m’a proposé d’écrire ce parcours magnifiquement troublant, dramatiquement poétique… étrangement théâtral. Je me suis installée avec mon crayon et j’ai écrit, et écrit et écrit.»
«48 heures plus tard, mon odyssée personnelle était couchée sur papier: naissance de la première version de Dans le bleu.»
Vous êtes présentement en réflexion afin de donner un souffle nouveau à Dans le bleu. Vous songez à créer un livre audio dans lequel vous seriez vous-même l’interprète! Pouvez-vous nous en dire plus à propos de ce projet et de ce qui vous interpelle dans ce concept de «mise en voix» de l’histoire?
«Au printemps dernier, le Théâtre Catapulte, en collaboration avec La Nouvelle Scène Gilles Desjardins, a lancé une branche en Ontario français du mouvement Au creux de l’oreille initié par Wajdi Mouawad au Théâtre national de la Colline à Paris. J’ai eu l’immense bonheur d’y participer à titre de comédienne, pour apporter un peu de lumière aux gens en confinement. Lors de mes appels, j’ai choisi de lire des extraits de mon livre Dans le bleu, dont la création au Théâtre français du CNA venait d’être stoppée vu la pandémie. Le bonheur de partager mes mots et mes maux, l’écoute active des auditeurs au bout du fil, la simplicité de l’échange m’ont beaucoup fait vibrer.»
«Ce désir de mise en voix s’est confirmé lors de l’enregistrement d’un extrait du livre cet été, dans le cadre du balado Signal nocturne – une production de La Fabrique culturelle de Télé-Québec en collaboration avec Transistor. Toute seule au micro, dans un petit studio noir, en pleine canicule, l’océan naissait à nouveau devant mes yeux.»
«Je suis une passionnée des mots, de la voix et du rythme. Et je me questionne beaucoup sur notre rapport au texte ces dernières années. Notre dramaturgie offre un monde des possibles, et la mise en scène y trouve toute sa liberté… c’est excitant et parfois angoissant! Les disciplines s’entrecroisent et s’entremêlent. On ne raconte plus de la même façon. Et, en tant que public, on ne voit plus le théâtre de la même manière. Nous sommes exigeants et créatifs. Nous évoluons. Notre rapport aux mots est différent, et je cherche une façon de toucher l’imaginaire de notre siècle, comment raconter aujourd’hui, comment rêver, comment dire…»
On jase, là! Pour un prochain projet d’écriture, quel autre sujet ou quel autre genre littéraire aimeriez-vous explorer et pourquoi?
«Le livre audio? Le balado? Je retourne sur la mer prochainement, je lancerai la question dans le bleu et y trouverai sans doute ma réponse… mais mon Moleskine sur lequel je gribouille de la poésie n’est jamais très loin ;)»