LittératureDans la peau de
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Jonathan, on te sait grand passionné de poésie. Peux-tu nous parler du rapport que tu as entretenu avec celle-ci, de tes premiers coups de cœur littéraires comme lecteur jusqu’à l’écriture de tes propres poèmes?
«J’ai commencé à écrire très jeune, au début de l’adolescence. Des paroles de chansons pour les groupes (plutôt punk, puis métal) dans lesquels je jouais de la batterie. Je me suis mis à lire Baudelaire, Verlaine, Nelligan, Denis Vanier. Dès 15 ans, j’étais un peu bum, mais je prenais le travail d’écriture très au sérieux. Je passais de longues soirées à composer, à travailler des textes, à chercher les mots dans le dictionnaire, en écoutant de la musique et en sirotant une bière. J’allais marcher pour écrire dans ma tête ou pour «mâcher» un poème. J’écris d’ailleurs encore très souvent en marchant. Pour moi, la poésie a toujours été une pratique du corps, de la voix dans notre corps, et du corps dans l’espace. Elle peut aussi s’inscrire ailleurs que sur le papier.»
Comme artiste, tu pratiques des formes aussi éclatées que la poésie sonore, la poésie-action, la vidéopoésie et l’intervention dans l’espace public. Peux-tu nous parler davantage de ces concepts et nous partager ce qui t’attire dans ces diverses déclinaisons de la poésie?
«J’ai d’abord lié la poésie à la musique, puis j’ai trouvé beaucoup de plaisir à la présenter de manière hybride lors de happenings que j’organisais quand j’étais au cégep. Pour le lancement d’un petit recueil publié à compte d’auteur, j’avais invité tout le monde à participer à la lecture et à accompagner les mots de musique improvisée. J’ai continué lors d’évènements à l’UQAM et à la Maison Paul-Émile-Borduas, où je travaillais. Comme le mouvement automatiste l’incarnait, la poésie peut dialoguer avec tous les arts, toutes les formes d’expressions. Les moyens, avec le temps, ne cessent de se multiplier. Que ce soit par le travail de la voix, par une action ou un contexte inhabituel, un poème peut emprunter différentes avenues performatives. Ce sont pour moi autant de manières d’y remettre du corps, ou encore d’aller vers le dehors. Ces possibilités, qui proposent différentes expériences de la poésie, me stimulent au plus haut point. Heureusement, elles sont inépuisables.»
En avril dernier, ton plus récent recueil Nous faisons l’amour est paru aux Éditions du Noroît. Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans la poésie érotique et à côtoyer ce genre littéraire?
«J’avais envie de me faire plaisir! Mon précédent recueil, La vie sauve, était dédié aux guerriers et aux guerrières de la tendresse. J’ai mis en pratique cette idée, parce que c’est ce qui sauve le monde, du moins ce qui le rend supportable: la tendresse, l’affection, l’amour. Ça peut paraître quétaine. Je le sais, je l’assume. Je considère aussi cet amour aussi comme un combat, cette tendresse comme un acte de résistance. Et il n’y a rien de quétaine à résister. La poésie peut paraître bien sombre, inutile et inefficace, mais il me semble important de continuer à donner du sens au langage, au monde et à l’intimité. Je qualifierais davantage Nous faisons l’amour de «post-érotique», comme on parle de «post-rock», parce que j’ai voulu m’éloigner le plus possible des clichés du genre, notamment celui du poète masculin chantant (et, par conséquent, objectivant) le corps de la femme. Les poèmes de ce livre évoquent les rencontres répétées d’un couple composé de deux sujets amoureux.»
On adorerait si tu pouvais, en définitive, nous choisir l’un de tes poèmes au choix, celui qui te vient à l’esprit, et que tu nous partages ton inspiration et ce qu’il évoque pour toi.
«Ce poème est en quelque sorte celui qui a lancé l’écriture de Nous faisons l’amour»:
nous faisons l’amour
comme des pneus qui brûlent
au loin les cités scintillent
deux limaces s’enlacent
nos kimonos planent
comme des cerfs-volants
au lendemain des attentats
nous sommes sains et saufs
dans notre nid d’instincts
«J’avais envie d’aborder l’érotisme comme une force positive. Un lieu de joie, de lumière, mais sans faire l’économie de la violence du monde, de tout ce qui le trouble, le menace et nous affecte. L’érotisme devient quelque chose comme une réconciliation. La tendresse nous protège. J’avais envie de plonger dans la dimension sensuelle de l’univers. La sexualité est intime, mais on la retrouve partout, chez tous les êtres vivants.»
Si l’un de tes rêves les plus fous se réalisait et que, comme par magie, tu avais l’occasion rêvée d’avoir une discussion avec le poète de ton choix, toujours en vie ou disparu, qui choisirais-tu et de quoi souhaiterais-tu lui parler?
«J’ai la chance de côtoyer beaucoup de poètes. Et la plupart de ceux et celles que j’admire sont toujours en vie. C’est sûr que j’aurais aimé connaître Gaston Miron, Gérald Godin, Paul-Marie Lapointe, Roland Giguère, Claude Gauvreau, Louis Geoffroy, Huguette Gaulin, Marie Uguay et Josée Yvon. J’aurais aimé, comme mon grand-père l’a fait, aller voir Nelligan à l’asile et qu’il me récite un poème. J’aurais bien passé un après-midi à discuter près de la rivière avec Saint-Denys-Garneau. J’aurais bien assisté aux soirées Place aux poètes! de Janou Saint-Denis. Mais je crois que j’aime encore mieux me souvenir des moments que j’ai eu le plaisir de passer en compagnie de poètes que j’admire.»