«Dans la peau de...» Isabelle Richer, journaliste judiciaire, autrice et animatrice télé – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Isabelle Richer, journaliste judiciaire, autrice et animatrice télé

«Dans la peau de…» Isabelle Richer, journaliste judiciaire, autrice et animatrice télé

L'écriture, un exutoire pour se libérer la tête (et l'esprit!)

Publié le 30 septembre 2022 par Éric Dumais

Crédit photo : Bénédicte Brocard

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd’hui, nous avons jasé avec Isabelle Richer, animatrice d'une quotidienne à ICI RDI qui a cumulé 35 ans de métier à ce jour. Elle a notamment travaillé sur les émissions d'affaires publiques «La facture» et «Enquête». Mais saviez-vous qu'elle avait également été correspondante au palais de justice? De cette expérience à la fois enrichissante et déroutante en ressort un livre paru aux Éditions La Presse, «Ce que je n'ai jamais raconté: 25 ans au palais de justice», où elle relate 22 procès qui l'ont marquée dans le but de trouver une paix intérieure et de montrer qu'il y a parfois de l'espoir, autant pour les victimes que pour les accusés.

Isabelle, c’est un honneur pour nous d’échanger avec vous! Votre carrière remonte à 1987, au défunt TQS, votre tremplin vers Radio-Canada où, onze ans plus tard, vous avez travaillé sur divers mandats: La facture, l’émission d’affaires publiques par excellence; le palais de justice, à titre de correspondante, et ce, jusqu’en 2015; Enquête, où vous avez collaboré aux reportages en plus d’être co-animatrice; et Isabelle Richer, l’émission quotidienne que vous animez à ICI RDI depuis 2013. Quelle feuille de route! Dites-nous: qu’est-ce qui vous anime le plus dans votre quotidien?

«Ma plus grande préoccupation demeure celle de me faire comprendre, d’être limpide dans mes explications et de parvenir à rendre simples des concepts qui sont parfois complexes. Tout ça en étant intéressante! Je garde toujours en tête que les affaires judiciaires comportent des notions très arides qui encadrent des faits bien souvent bouleversants, mais qui méritent d’être expliqués!»

«Mon rôle comme journaliste est d’exposer les faits, mais aussi de susciter une réflexion. Et pour ce faire, il est impératif d’expliquer sur quoi reposent les décisions, les jugements ou les verdicts.»

«Les gens sont souvent indignés de ce qu’ils entendent, mais on constate qu’ils manquent parfois de recul ou qu’ils comprennent mal les règles établies par le droit. Quand on leur fournit des explications, ils sont peut-être encore indignés, mais ils comprennent davantage les raisons qui motivent les décisions.»

Et quels ont été les défis majeurs que vous avez rencontrés, ou qui sont toujours au rendez-vous au sein de votre métier?

«Le défi qui m’occupe encore, après 35 ans de métier, est celui de rentabiliser le peu de temps dont on dispose pour exposer clairement des situations, en permettant à tous les points de vue de s’exprimer.»

«Quand je suivais des procès, j’avais habituellement deux minutes pour résumer le contenu de la journée en cour. Il me fallait vraiment aller à l’essentiel en évitant de tourner les coins ronds. C’est un exercice de synthèse formidablement exigeant!»

«Maintenant que j’anime une émission et que je fais des entrevues sur des sujets d’actualité, je dispose d’un peu plus de temps, mais c’est très marginal! Six ou sept minutes pour exposer un sujet d’envergure avec un invité, ça passe vite!»

«L’autre défi, qui est presque un combat en soi, est celui de défendre la nécessité de maintenir un beat judiciaire dans la salle des nouvelles. Ce pan de l’actualité est majeur, il se passe rarement une journée sans qu’une nouvelle d’importance surgisse. Je ne parle pas d’une arrestation banale, mais d’un jugement important, d’un enjeu qui aura un impact sur la population. Toute salle de nouvelles qui se respecte se doit d’avoir des journalistes formés pour couvrir ce secteur afin d’assurer une couverture sérieuse.»

«Finalement, le défi qui m’apparait souvent le plus difficile à relever est celui de convaincre mon entourage au travail que la qualité de la langue française est un enjeu majeur.»

«Je me suis moi-même baptisée “Mémère la Virgule” pour emprunter à Pierre Foglia, qui se souciait beaucoup du délabrement du français dans les médias et dans la société en général. Comme je rechigne à être vue comme celle qui relève les fautes et qui se lamente sur l’état du français, je me garde bien de harceler mes collègues… mais je n’en pense pas moins!»

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Durant 25 ans, vous avez endossé le chapeau – et non le moindre – de correspondante au palais de Justice de Montréal. Durant cette période, vous avez «suivi les procès les plus marquants et les plus significatifs […]. Couvrir ainsi la scène judiciaire, c’est côtoyer le pire de la nature humaine. C’est plonger au cœur de la violence, de la détresse, de la folie et de la douleur.» Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion de vous confier à travers Ce que je n’ai jamais raconté: 25 ans au palais de justice, votre livre paru le 29 septembre et publié aux Éditions La Presse?

«Ça fait déjà des années que ce recueil mûrit en moi. Ces procès que j’ai suivis, ces personnages sombres dont j’ai écouté les histoires, ces victimes que j’ai vues et entendues m’habitent. Je n’en fais pas une obsession! Mais ces récits se sont imprimés en moi. Je voulais, grâce à l’écriture, me défaire de ces impressions qui m’encombrent l’esprit.»

«Pendant toutes ces années où j’ai fait des reportages quotidiens, debout sur le parvis du palais de justice, ce n’est pas de moi que je parlais (ce n’était pas pertinent), mais bien d’eux.»

«Lorsque je couvrais le judiciaire au quotidien, il y a bien des choses que je ne racontais pas parce qu’elles n’étaient pas importantes dans la compréhension de l’affaire. Ces détails sont restés en moi et j’ai choisi de les expulser. Et puis, au fil des ans, plusieurs histoires ont trouvé un écho dans ma vie. Ces correspondances m’ont parfois étonnée. J’ai eu envie de les raconter. Au-delà de ça, il y a aussi le fait que mon regard sur tous ces personnages a évolué avec le temps.»

«Dans mes premières années de couverture judiciaire, j’étais secouée par tous ces drames et ces détails terribles que j’entendais. Je le serais encore aujourd’hui, sans aucun doute. Mais le passage du temps a fait en sorte que j’ai vu autre chose que le premier degré. Je n’avais toutefois pas envie d’écrire un essai sociologique ou criminologique (je n’ai pas cette formation), mais besoin de faire de l’espace dans mon cerveau pour, qui sait… permettre à la fiction de naître!»

«Il m’apparaissait aussi important de montrer qu’il y a parfois de l’espoir. Pour les victimes, comme pour les accusés.»

Parlez-nous du travail d’élaboration derrière la création de cet ouvrage: quels sont les principaux procès dont vous faites le récit, et sous quel angle les abordez-vous? On serait curieux de savoir si le fait d’avoir écrit ce livre vous a fait un bien fou, aussi.

«Comme je n’avais pas l’intention d’en faire un ouvrage journalistique, je ne raconte pas les procès de A à Z. Je garde ça pour mon travail de journaliste à travers mes balados, par exemple.»

«Dans ce recueil, je rapporte des fragments d’histoires, parfois des histoires qui n’ont pas grandement marqué l’actualité, mais qui ont trouvé une résonance particulière chez moi.»

«Je parle de certains procès qui m’ont secouée (notamment celui d’Agostino Ferreira ou celui de Mario Bastien). Ou alors des procès qui concernent la violence que l’on inflige aux enfants ou aux femmes. J’aborde les choses de façon à ce que les lecteurs puissent voir un autre point de vue, pas seulement celui des faits horribles que tout le monde a entendus.»

«Je le répète, je ne suis pas criminologue ou psychiatre, je ne prétends pas détenir d’explication universelle. Mais les parcours de bien des accusés sont misérables et ils reproduisent ce qu’ils connaissent.»

«J’ai l’impression d’avoir réussi à me défaire, en partie, de ce bagage de souffrance qui s’est déposé en moi depuis les années 90.»

Et si à un moment de votre carrière on vous avait donné le choix de changer de métier pour vous accorder une trêve, auriez-vous fait le grand saut? Ou jamais de la vie, parce que vous êtes née pour être journaliste!

«Il m’est arrivé à quelques occasions de recevoir des offres. Certaines vraiment tentantes, que j’ai soupesées avec sérieux. Je choisissais toujours de rester à Radio-Canada pour y pratiquer un métier que j’aime passionnément.»

«Je crois que le seul moment où j’ai vraiment failli faire le saut c’est lorsque j’ai envisagé de finir mon droit (j’ai complété seulement quelques cours) et de pratiquer comme avocate.»

«Aujourd’hui, j’ai la certitude que j’aurais été une excellente avocate! Mais je n’ai AUCUN regret de ne pas avoir franchi le pas. La vie n’est pas finie! Qui sait ce qu’il adviendra?»

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec Les Éditions La Presse.

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