Littérature
Crédit photo : Dahlia Katz
Hugues, on vous souhaite la bienvenue à cette série d’entrevues découvertes! C’est un réel plaisir de faire votre connaissance. Vous êtes journaliste de profession et historien de formation. D’ailleurs vous avez complété, en 2016, un doctorat en histoire canadienne de l’université d’Ottawa. Dites-nous, d’où vous est venu ce feu intérieur pour l’histoire du Canada, et qu’est-ce qui vous a motivé, en parallèle de vos recherches, à œuvrer en journalisme?
«J’ai toujours été fasciné par l’histoire et curieux d’en apprendre davantage sur les personnages et les événements qui ont forgé notre passé. Cette passion et cette curiosité m’ont accompagné depuis mon enfance. À la maison, nous avions une grande bibliothèque avec plusieurs ouvrages historiques et des encyclopédies que je consultais fréquemment. Je passais parfois des heures entières à la bibliothèque municipale pour consulter des livres!»
«Je me suis intéressé à l’histoire du Canada, car je trouvais que le débat historique était très polarisé à l’époque – fédéralisme vs nationalisme québécois – et cette appropriation de l’histoire à des fins politiques et partisanes m’a toujours fait sourciller. J’ai toujours cru que l’histoire était une science et qu’il fallait l’aborder en tant que scientifique, c’est-à-dire en se basant sur les faits, les documents officiels et les archives. C’est sans doute pour cette raison que j’ai développé très tôt un sens critique.»
«Après mes études, j’ai travaillé dans le journalisme écrit. J’ai vite constaté que l’histoire et le journalisme avaient beaucoup de choses en commun. C’est seulement l’espace-temps qui change.»
Vous êtes un homme décidément fort occupé, puisqu’en plus de ces activités, vous prononcez également des conférences avec, pour sujet clé, l’histoire canadienne, et vous avez également publié cinq ouvrages aux éditions du Septentrion, depuis 2012. Entre autres sujets, vous avez abordé, à travers vos écrits, une période sombre de l’histoire idéologique du Québec, avec le lancement du Parti national social-chrétien par Adrien Arcand, ou encore cet épisode, aujourd’hui oublié, où des investisseurs allemands ont visité l’île d’Anticosti sans que l’on connaisse leurs réelles intentions. Parlez-nous brièvement de ces thématiques qui vous fascinent tant.
«Mon intérêt pour le fascisme et l’antisémitisme au Québec et au Canada a débuté lorsque j’ai appris dans ma jeunesse qu’un médecin-avorteur, qui finançait le mouvement nazi d’Adrien Arcand, le Dr Paul-Émile Lalanne, avait possédé une île sur le lac Saint-François à Sainte-Barbe, tout près de Salaberry-de-Valleyfield, où je suis né et que j’ai grandi. Ce fut d’ailleurs l’objet de mon premier livre, Le docteur Lalanne: le faiseur d’anges à la croix gammée, que j’ai publié aux Éditions GID en 2011.»
«Ma curiosité sur le personnage m’a amené à poursuivre mes recherches sur Adrien Arcand. C’est à ce moment que j’ai découvert que le chef des “chemises bleues” avait dirigé un mouvement fasciste et antisémite dans les années 1930, ainsi qu’un des journaux à caractère antisémite et xénophobe. J’ai donc effectué ma maîtrise sur le sujet à l’université d’Ottawa, puis j’ai écrit mon livre aux éditions du Septentrion.»
«De fil en aiguille, j’ai poursuivi mes recherches qui m’ont mené à écrire mon ouvrage sur la visite de mystérieux Allemands à Anticosti en 1937, puis à faire ma thèse de doctorat sur les revues canadiennes-françaises face à l’extrême droite européenne. Dans chacun des articles de journaux sur lesquels je tombais et qui portaient sur le fascisme au Canada, j’en trouvais quatre sur le communisme. Je me suis dit: “Bon Dieu, les Canadiens français n’étaient peut-être pas aussi fascistes que cela, mais ils étaient farouchement anticommunistes!»
«C’est ainsi que j’ai écrit mon livre La peur rouge: histoire de l’anticommunisme en 2020 aux éditions du Septentrion. J’ai ainsi complété une sorte de trilogie: antisémitisme, fascisme et anticommunisme. Ces trois thèmes sont très interreliés.»
Nouveauté sur les rayons des librairies depuis le 20 février, votre plus récent livre, La Patente, l’Ordre de Jacques-Cartier, le dernier bastion du Canada français, paru aux éditions du Septentrion, vous a permis de «jeter un peu de lumière sur les zones d’ombre de cette société secrète qui fait partie de notre histoire collective». Il semblerait qu’en 1950, on comptait plus de 40 000 membres, dont Jean Drapeau, ex-maire de Montréal, Jacques Parizeau et Bernard Landry, anciens premiers ministres du Québec, de même que le cardinal Paul-Émile Léger! Quelles étaient leurs motivations à rejoindre cet Ordre? Et est-ce qu’il existe toujours de nos jours?
«L’Ordre de Jacques-Cartier a été créé en 1926 à Ottawa par des fonctionnaires et des membres du clergé qui jugeaient que les Canadiens français étaient toujours la cible de groupes anglophones et protestants. Les Canadiens français n’avaient pas de société ou d’organisme voué à la défense de leurs droits comme pouvaient avoir les Irlandais catholiques avec les Knights of Columbus, et les anglophones protestants avec l’Ordre d’Orange et les loges maçonniques. C’est alors que les membres ont décidé de fonder la première commanderie à Ottawa. Plusieurs commanderies se sont ajoutées comme cela dans les années 1930, à Montréal, à Québec et partout ailleurs en province.»
«L’Ordre a mené divers combats visant à promouvoir le bilinguisme au gouvernement fédéral, à défendre le français par tous les moyens possibles. Les membres étaient triés sur le volet. Les personnes recrutées étaient soigneusement choisies dans la société civile, ainsi que parmi les représentants du clergé. Seuls les hommes pouvaient y accéder. On s’assurait des convictions, de la foi catholique, du nationalisme et de la discrétion de chaque candidat avant de procéder à son initiation selon un rituel qui se rapprochait de celui des francs-maçons.»
«À son apogée, dans les années 1950, l’Ordre comptait plus de 40 000 membres. Parmi ceux-ci, on comptait des figures célèbres, dont le maire de Montréal Jean Drapeau, le ministre québécois Pierre Laporte, les premiers ministres du Québec Jean-Jacques Bertrand, Jacques Parizeau et Bernard Landry, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Louis Robichaud, l’écrivain, politicien et journaliste André Laurendeau et le cardinal Paul-Émile Léger. Tous avaient un point en commun: ils avaient à cœur la défense des droits des Canadiens français et des Acadiens!»
Et d’après vous, comment peut-on mesurer l’importance de cette société secrète à travers l’histoire du Canada français?
«En fait, au cours de son histoire, qui aura duré près de 40 ans, l’Ordre a eu une grande importance pour défendre le fait français et favoriser le rapprochement entre les Canadiens français de partout au pays. L’Ordre a contribué à la fondation d’organismes tels que les Clubs Richelieu, a obtenu des gains importants pour les francophones comme la nomination de Mgr Guillaume Forbes à titre d’évêque francophone du diocèse d’Ottawa, le timbre, la monnaie et les chèques bilingues au Canada, puis a participé à l’expansion des Caisses populaires Desjardins, à la défense des médias francophones, à l’adoption du fleurdelisé en 1948 comme drapeau officiel du Québec, à l’ouverture du Collège militaire royal de Saint-Jean en 1952, puis de l’Université de Moncton.»
«L’Ordre a aussi contribué à l’élection d’éminents politiciens qui ont changé le cours de l’histoire. Je pense entre autres à l’élection de Jean Drapeau à la mairie de Montréal en 1954, ou à celle de Louis J. Robichaud, à titre de premier ministre du Nouveau-Brunswick en 1960.»
«Comme l’évoque le titre, je parle du dernier bastion du Canada français, car depuis sa dissolution en 1965, les Canadiens français n’ont plus de véhicule qui les unit au-delà des frontières provinciales. Les associations travaillent en vase clos. Les Québécois ne se portent plus à la défense des Acadiens, des Franco-ontariens, des Fransaskois et autres, comme on le voyait à l’époque où l’Ordre de Jacques-Cartier dominait les associations de défense du fait français au pays.»
Vous qui êtes spécialisé en histoire canadienne, dites-nous donc quelle période vous a le plus fasciné d’hier à aujourd’hui, tous sujets confondus?
«Je crois que la période de l’entre-deux-guerres, 1918 à 1939, est certainement la plus intéressante, non seulement au Canada, mais aussi en Europe. C’est un peu l’adolescence du XXe siècle, la période de questionnements et des tentations diverses avec des idéologies comme le communisme et le fascisme.»
«C’est l’époque où nous quittons la vie ancienne et entrons dans le monde moderne. L’avènement de nouvelles inventions, de nouvelles technologies qui changent notre façon de vivre et de percevoir le monde. Je pense à la voiture, à l’avion, au téléphone, à la radio, à l’électrification. C’est le début du phénomène de l’accélération de l’histoire. Il y a une brisure avec le monde ancien. On entre dans une nouvelle ère. Ce phénomène s’accompagne de questionnements, de remises en question.»
«On réalise aussi que l’industrialisation et les inventions n’ont pas que des côtés positifs. Les abus du capitalisme, la grande dépression des années 1930 nous font réaliser que le monde est fragile, que la vie est toujours aussi éphémère.»