LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Geneviève, nous sommes ravis de faire ta connaissance! Toi qui cumules les chapeaux d’acrobate et d’autrice, voudrais-tu nous dire d’où t’est venue la piqûre pour des formes d’art aussi diversifiées que le cirque et la littérature?
«Quand j’étais petite, mon père nous apprenait, à ma sœur et moi, à faire des acrobaties de base (la roue, l’équilibre, etc.) Il avait intégré ça par lui-même quand il était petit. Le métier d’artiste de cirque n’était pas vraiment une option pour lui, mais il nous a inculqué le plaisir d’apprendre à travers notre corps et nous a toujours soutenues là-dedans.»
«Je me souviens qu’on élaborait beaucoup de spectacles dans notre cour et qu’on faisait payer nos parents pour nos prestations. On allait s’acheter des bonbons avec les recettes! Ma sœur a intégré un cours de cirque quand elle avait 11 ans. J’ai voulu la suivre. On a continué notre parcours ensemble et on a même œuvré dans la même troupe pendant quelques années. Je suis ensuite devenue pigiste dans ce domaine.»
«Pour la littérature, c’est moins clair. J’étais une élève très studieuse et j’adorais les compositions écrites. Je devais faire mes cours à distance en raison des tournées, et mes collègues de travail, tous plus vieux que moi (ils étaient à l’université), me fournissaient en livres qui n’étaient pas du tout de mon niveau, ce qui a éveillé mon intérêt pour la littérature.»
On a d’ailleurs lu que c’est entre tes tournées circassiennes que tu as trouvé l’inspiration pour écrire tes romans comme Le guide des saunas nordiques et Panik (Éditions Tête première). Tes voyages – et la vie nomade que ceux-ci impliquent – ont-ils contribué à nourrir ta créativité littéraire et, si oui, de quelle façon?
«Découvrir le monde et être payé pour le faire, c’est un rare luxe auquel peu de jeunes adultes ont accès. Il m’est arrivé de passer à peine une vingtaine d’heures en Thaïlande pour un contrat avant de devoir repartir pour un spectacle à Laval. C’était trépidant.»
«Les meilleures expériences étaient celles où j’avais vraiment le temps de découvrir les artistes locaux, de jouer sur la scène avec eux, et de m’imprégner de leur culture à travers un quotidien partagé. J’ai écrit Le guide des saunas nordiques après m’être complètement amourachée de cette activité lors de mes voyages en Allemagne. Mon amoureux m’a même construit un sauna dans la cour, et j’y retourne souvent. C’est un espace propice à l’élaboration de mes écrits, l’un des seuls moments où la voix de mes enfants ne brouille pas mes idées. Ha ha!»
«Mes voyages dans le Grand Nord canadien m’ont dépaysée, ce qui était rarement le cas avec les 35 autres pays que j’ai visités. C’est ce chamboulement que j’ai eu envie d’exploiter dans Panik, et aussi dans Les acrobaties domestiques, où je relate ma relation trouble avec le camping sauvage nordique, alors que mon premier bébé était âgé de cinq semaines.»
«Voyager avec des enfants est une aventure différente. Avec la pandémie, et la conscience environnementale qui se fait plus présente, je doute de pouvoir leur faire découvrir le monde. La littérature sera peut-être notre seule manière de voyager, ce qui est déjà un excellent moyen. J’en ai parfois plus appris dans les livres que dans la réalité.»
Le 2 mars, ton essai Les acrobaties domestiques est paru aux Éditions XYZ. Toi qui es mère d’un garçon et de jumeaux, tu mesures, au fil des pages, l’impact de la maternité «sur le corps, sur une carrière, sur le couple, mais aussi dans [ton] rapport à une société habile à se donner bonne conscience en matière de soutien aux familles.» Qu’est-ce qui t’a donné l’élan d’aborder de front un sujet de société comme celui-ci?
«J’étais submergée par la maternité. J’arrivais assez mal à mettre des mots sur mes émotions. La fatigue était devenue le personnage principal de ma vie. Écrire ce livre a été pour moi un exutoire, à coup de cinq minutes de pause. J’avais envie d’être plus éloquente, pour que mon conjoint comprenne bien ce que je n’arrivais pas à formuler entre deux hurlements d’enfants. Si tu demandais à n’importe quelle maman de te parler de sa progéniture, elle pourrait écrire, elle aussi, un livre entier. Je me suis octroyé une plateforme pour nommer tout ce que j’éprouvais, et j’en étais certaine, ce que beaucoup d’autres femmes vivaient.»
«Je ne prétends pas amorcer une discussion sur l’égalité homme-femme dans la parentalité, mais la continuer, pour que la lutte se poursuive, pour que nos enfants jouissent de meilleures conditions. Pour que mes fils deviennent les pères présents de demain.»
Tes carnets «infiniment personnels» invitent chaque personne qui les lit à «se questionner sur son rôle dans ce qui devrait rester la plus belle des aventures: donner la vie.» Quel regard portes-tu personnellement sur cette expérience, avec du recul?
«On dit beaucoup que ça change une vie, d’avoir un enfant. Ça m’a changée, d’une manière profonde. Plusieurs croyances et certitudes ont pris le bord. Je suis pleine de gratitude par rapport à ces changements. Mes perceptions ont été drastiquement modifiées, mes émotions, exacerbées, et mes valeurs se sont définies. Je me sens comme la meilleure version de moi-même, je n’ai pas le choix.»
«Les enfants sont des êtres exigeants qui demandent un renouvellement constant, au rythme de leur évolution. En nous déstabilisant tous les jours, ils nous font prendre connaissance du caractère impermanent de la vie. Ils nous apprennent à être attentifs au présent. Ils nous apprennent l’humilité, la sincérité. Le jeu. Ils nous aident à prendre contact avec nos instincts, qu’on nous a forcés à ne plus écouter, parfois. J’y vois beaucoup de beauté, mais aussi de constantes remises en question.»
«À certains égards, on est plus soutenus par la société (notamment avec le RQAP et le système de garderies), mais on se sent démunis parce que le fameux «village» n’est plus au rendez-vous. On se force à croire qu’on a seulement besoin d’argent et de bébelles pour élever des enfants, alors qu’il faut de l’aide, de la présence, du soutien. On a remplacé l’humain par le matériel.»
«Je le vois, avec les femmes que j’aide en tant que marraine d’allaitement et aide natale. Les parents sont dépassés, parce qu’ils ne sont pas ou peu soutenus humainement. Après le séjour à l’hôpital, ils se font «relâcher» dans la nature pendant la période la plus vulnérable de leur vie.»
Et quels autres projets artistiques occupent ton temps et/ou ton esprit, actuellement?
«Est-ce que mes enfants sont un projet artistique? Blague à part, mon prochain roman sortira à l’automne 2022, alors nous en sommes aux dernières corrections. C’est une histoire triste et belle qui se déroule sur l’Île Verte. Je l’ai écrite juste avant de mettre mes jumeau/jumelle au monde. Le manuscrit a dormi dans mon ordinateur pendant une certaine période avant que je trouve le courage de l’envoyer à mon éditeur.»
«J’ai un autre projet de roman qui germe doucement. Je suis parvenue à écrire seulement quelques pages, mais l’intrigue se profile dans ma tête.»
«Ma carrière de cirque n’est plus aussi présente, mais il m’arrive encore de participer à des spectacles ici et là. Mon horaire à la maison de naissance ne laisse pas beaucoup de place à la performance artistique, et je me prépare vers une fin de carrière, qui a duré 30 ans! Je ne sais plus si j’ai la force d’être pertinente dans ma discipline. Je suis prête à faire ce deuil, même si ma connexion au milieu restera forte.»
«J’ai eu le plaisir de voir mon fils participer à une performance avec son père le week-end dernier. Je me sentais choyée d’être une spectatrice, pour une fois.»