LittératureDans la peau de
Crédit photo : Les éditions du Septentrion @ Tous droits réservés
David, on est ravis de t’accueillir pour la toute première fois à cette série d’entrevues! Commençons par une présentation succincte de toi: originaire du Massachusetts, tu es écrivain, réviseur et chercheur, et au fil des ans, tes écrits ont été publiés dans plusieurs tribunes prestigieuses, dont Time et Smithsonian, sans oublier Histoire sociale / Social History, Résonance et Le Forum, au sein desquels tu as signé plusieurs articles et critiques. Raconte-nous les moments charnières de ton parcours professionnel et ce qui t’a mené vers la recherche et l’écriture.
«J’ai toujours été écrivain. Quand j’étais petit, je pliais un morceau de papier ensemble et j’en faisais un livre. Mon premier emploi après l’université a été en tant que chercheur pour un livre de référence dans le domaine des classiques publié par Oxford University Press.»
«Plus tard, je suis devenu chercheur et écrivain (ghost writer) pour des consultants, des universitaires, des hommes d’affaires et d’autres. J’ai passé des décennies à enquêter sur la présence canadienne-française en Nouvelle-Angleterre en utilisant les compétences que j’ai acquises de mon expérience professionnelle, en commençant par ma propre famille.»
«Des gens disaient: “Tu devrais écrire un livre à ce sujet!” Finalement, je l’ai fait.»
En octobre 2018, la maison d’édition québécoise de langue anglaise Baraka Books a fait paraître A Distinct Alien Race, un livre que les éditions du Septentrion ont traduit en français sous le titre Une race d’étrangers. Le récit méconnu des Franco-Américains. Dans ce récit social s’échelonnant de 1840 à 1930, tu racontes l’arrivée aux États-Unis de près d’un million de Canadiens français qui ont traversé la frontière afin de trouver un emploi stable et, du même coup, un avenir meilleur chez les Yankees. Parle-nous brièvement du contexte économique et démographique de l’époque au Canada et des motivations de ces gens à s’expatrier.
«La motivation des émigrants était simple. Ils voulaient nourrir leurs grandes familles. Après 1763, le blé avait été la principale culture de marché au Québec sous le régime anglais. Lorsque l’Ouest s’est ouvert à l’agriculture des colons, il y avait une concurrence féroce sur le marché du blé. Cela signifiait que les agriculteurs québécois devaient changer et se diversifier.»
«Parallèlement, la population du Québec augmente rapidement et les terres arables commencent à se remplir. Comme il était coûteux de déménager dans l’Ouest, travailler dans les usines de la Nouvelle-Angleterre semblait être une alternative viable. Le développement des chemins de fer et l’amélioration de l’infrastructure de transport ont rendu le déménagement possible.»
«Selon mes recherches, ce n’est pas la stagnation économique, mais le dynamisme économique qui sous-tend le mouvement d’immigration du Québec vers la Nouvelle-Angleterre. Des changements démographiques et économiques se produisaient partout en Amérique du Nord et les Canadiens français y étaient emportés.»
Entre le fait que «certains ont vu dans l’arrivée de ces masses d’immigrants un prétendu complot de l’Église catholique visant à bouleverser l’Amérique, l’essor et la chute de l’industrie aux États-Unis, le nativisme et la peur de l’Autre, l’émigration par-delà les frontières terrestres et la construction de la race», il va de soi que l’intégration de ces Canadiens français en sol américain n’a pas été chose facile, notamment au niveau de leurs conditions et de la «grave opposition» rencontrées là-bas. Peux-tu nous résumer, sans trop entrer dans les détails, le «choc» qu’ils ont vécu à plusieurs niveaux?
«L’un des “chocs” que les travailleurs canadiens-français ont vécus a été le passage d’un milieu rural, où même les travailleurs salariés travaillaient souvent dans des fermes ou dans une économie entièrement dépendante des fermes, à un milieu urbain où l’industrie était la norme. Les conditions dans leurs maisons et sur leur lieu de travail étaient souvent épouvantables.»
«À cette époque, la Nouvelle-Angleterre était fortement identifiée à son héritage anglo-saxon et protestant. Il est difficile aujourd’hui de dire à quel point les Canadiens français, avec leur religion et leurs coutumes, semblaient “étrangers” aux Yankees. Les Yankees craignaient d’être “remplacés” par des catholiques francophones, ce qui a suscité la peur et l’hostilité de la presse yankee et dans les rues.»
«Des groupes comme les Know Nothings, l’American Protective Association et le Ku Klux Klan des années 1920 étaient hostiles aux “étrangers” catholiques, y compris les Canadiens français.»
Pour nos lecteurs et lectrices avides d’histoire franco-américaine, et par ricochet d’histoire du Québec – qu’aimerais-tu qu’ils retiennent, surtout, de leur lecture un coup le livre refermé?
«Je veux que les lecteurs québécois comprennent que les émigrants ne se sont pas assimilés rapidement à la culture américaine anglophone. Ils se sont battus avec acharnement pour conserver leur langue et leur identité. Tout comme ils avaient préservé une identité distincte au Canada, ils ont cherché à faire la même chose aux États-Unis.»
«Ils ne voyaient pas beaucoup de différence entre le fait d’être entouré d’anglophones au Canada ou aux États-Unis. Ils n’étaient pas des traîtres ou des vendus comme les élites québécoises voulaient les dépeindre afin de décourager l’émigration. Ils ont quitté le Québec pour des raisons économiques et non parce qu’ils voulaient devenir des “Americans”.»
«Les enclaves francophones finissent par disparaître pour des raisons économiques: la base industrielle de la Nouvelle-Angleterre s’érode. Il n’y avait aucune raison pour que les quartiers francophones existent alors que les emplois industriels qui attiraient les travailleurs dans la région n’étaient plus là.»
En tant que chercheur et grand passionné d’histoire, on ne doute pas une seule seconde du fait que ta curiosité cherche constamment à être rassasiée. Si ce n’est pas un secret d’État, bien évidemment, dis-nous donc sur quels projets tu travailles en parallèle de la promotion de ton livre en français!
«Je n’ai pas pu publier toutes mes recherches dans mon livre. Une revue académique publiera bientôt mon étude quantifiant la contribution des Canadiens français à l’industrie textile de la Nouvelle-Angleterre et, par extension, à l’économie des États-Unis.»
«J’écris aussi lentement une œuvre de non-fiction créative qui racontera l’histoire des Franco-Américains d’une manière très différente de celle que je lui ai racontée dans Une race d’étrangers. Ce livre sera plus personnel.»
«Mais d’abord et surtout, j’ai hâte de faire la promotion de mon livre auprès du public francophone. Tout comme les gouvernements du Québec et du Canada souhaitaient rapatrier les émigrants canadiens-français, je souhaite rapatrier leur histoire et la ramener au Québec.»