LittératureDans la peau de
Crédit photo : Charlotte Steppé
Cyril, si on avait pensé un jour s’entretenir avec toi! Le hasard fait (vraiment) bien les choses. Libanais d’origine, tu as connu le succès à 24 ans avec ton titre «Femme Like You», vendu à plus de trois millions d’exemplaires – lequel compte par ailleurs plus de 74 millions d’écoutes sur Spotify – sous le nom de scène K-Maro. À l’époque de La Good Life, en 2004, dis-nous qui était l’homme derrière K-Maro, et quelles étaient ses principales motivations à l’époque?
«J’étais un jeune adolescent ayant grandi dans la guerre du Liban et qui est arrivé un peu comme un indien dans la ville.»
«Je découvre alors l’immensité du possible et je veux vivre ce rêve américain pleinement. Je suis happé par la culture hip-hop des mes premiers pas en Amérique. Je deviens rapidement ce jeune homme ambitieux qui ne pense qu’a une chose: réussir. Je veux le faire à ma manière en revanche, en étant totalement libre de mes actions, afin d’aller au bout de mes visions. Je rêve grand et je veux pouvoir faire voyager ma musique dans le monde entier.»
«Un peu revanchard, j’ai l’impression que la vie m’a en quelque sorte volé mes premières années, alors je fonce tête baissée.»
C’est quelques années auparavant, alors que tu avais 17 ans,que tu as fondé ton propre label, K-Pone Inc, ainsi qu’une maison de Management, Rock&Cherries, l’alliage parfait entre tes deux forces: la création et le management. C’est d’ailleurs durant cette période, passées entre Montréal et New York, que tu as trouvé ce juste équilibre entre le sens des affaires et l’audace artistique! Parle-nous brièvement de ces années actives et de ce qui t’a motivé à t’épanouir dans l’entrepreneuriat.
«Comme je le disais précédemment, j’aime être libre et indépendant dans tous les projets que j’entreprends. Je préfère me tromper et encaisser une dure défaite, tout en ayant fait les choses tel que je les voyais, plutôt que de subir le sort d’évènements que je n’ai pas choisis ou initiés. C’est dans cet esprit de protection de ma créativité que je suis devenu entrepreneur.»
«J’ai ensuite réalisé qu’il y avait beaucoup de créatifs autour de moi qui avaient besoin de mon aide sur d’innombrables sujets. C’est pourquoi j’ai fondé mon label et mon agence.»
«J’essaye en permanence de jongler entre les affaires et la création car, pour moi, l’un nourrit l’autre. Je pense que, dans les industries créatives, on est entrepreneur que par souci d’indépendance et de liberté.»
«Peut être pas que dans les industries créatives, d’ailleurs…»
Le 3 mai, les Éditions Faces Cachées ont fait paraître en librairie Renaissances. Ce livre autobiographique a été l’occasion parfaite, pour toi, de poser un regard actuel et lucide sur ce que tu as incarné, et ce, parfois malgré toi… Tu nous racontes, de l’intérieur, «l’exil, la soif de revanche sociale, le succès mondial et ses mirages». Comment est née l’envie de coucher sur papier tous ces souvenirs, et quelles réflexions souhaites-tu éveiller chez tes lecteurs et lectrices?
«Cette envie est née d’un besoin de partage et de communion à la fois avec ceux qui m’ont suivi depuis le début, mais qui ne savaient peut-être pas tout, et à la fois avec ceux qui ne me connaissaient que par l’entremise de «Femme Like U».»
«Je pense qu’en vieillissant, je réalise l’importance de la transmission et le fait d’assumer que je suis un exemple pour certains. J’ai par contre eu du mal avec ça plus jeune, parce que je n’aime pas cette position inconfortable d’être placé sur un piédestal.»
«Autant je pense être un bon leader d’équipe dans mes affaires, autant je n’aime pas cette étiquette de star dans ma vie d’artiste. J’ai mis du temps à assumer que mon histoire et mon parcours pouvaient avoir quelque chose de spécial, qui pouvait servir de modèle, ou du moins d’inspiration pour certains. Le désir de transmission est né de là, je pense, et du même coup l’envie d’écrire.»
«J’espère que les lecteurs et lectrices verront l’universalité de beaucoup de sujets que j’évoque dans ce livre et qui, in fine, s’appliquent à la vie de tous les jours, surtout lorsqu’il s’agit d’introspection et de quête de soi.»
Au fil des pages, tu évoques également des thèmes tels que la migration, la résilience, l’importance de la famille et la force que t’ont insufflée les épreuves de ton enfance passée à Beyrouth, pays alors en guerre. Dis-nous, est-ce que l’écriture t’a finalement permis de faire la paix avec ces «démons» de ton passé, et avec celui que tu as été?
«Probablement que cela y a contribué. Je ne pense pas qu’on puisse guérir entièrement d’une telle enfance, mais on peut mieux apprendre à vivre avec.»
«Ce livre m’a permis égoïstement de me replonger dans ma mémoire, et moi-même, et m’a aidé à comprendre certaines choses en les voyant prendre forme sur le papier. C’est la première fois que je fais cet exercice, d’autant plus que le regard et la perspective ne sont plus les mêmes à mon âge et dans mes chaussures de père.»
«Je me sens totalement en équilibre aujourd’hui avec tout cela, et je pense que l’écriture de ce livre a été un “moment angulaire” de mon introspection.»
Pour celles et ceux qui l’ignorent, à tes heures, tu es aussi amateur et collectionneur d’art contemporain. Même que tu œuvres depuis plusieurs années, à titre de conseiller, auprès de jeunes artistes peintres ou de jeunes galeristes, afin de les aider à mener à bien leur vision artistique. Dis-nous-en plus, on est curieux! Et, par hasard, as-tu d’autres talents cachés? Surprends-nous!
«Oui, j’ai baigné dans l’art assez tôt, un peu sans m’en rendre compte, auprès de mes amis et collègues imprégnés par la culture hip-hop, surtout de l’art du graffiti. Ça a été mon premier contact avec l’art, bien sûr, mais aussi la revendication et l’appartenance.»
«C’est seulement quelques années plus tard que j’ai commencé à m’intéresser à l’art contemporain, puis effectivement, à jouer au médiateur entre les artistes et les marchands. C’est donc assez naturellement que, quelque quinze ans plus tard, je suis devenu à mon tour marchand pour être au plus près du changement qui s’opérait alors dans l’industrie.»
«Je pense humblement qu’il faut plus de sincérité et d’authenticité autour des artistes qui ont de plus en plus besoin de partager avec des personnes qui ont les mêmes références qu’eux, ainsi qu’une sensibilité commune.»
«L’art se transforme, et les façons de faire aussi, alors la Maison KEÏ AKAI s’inscrit dans cette voie-là, au carrefour des arts indépendants et libres.»