LittératureCroisée des mots avec
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Nancy, on se souvient comme si c’était hier de notre discussion autour de votre roman Capharnaüm, paru en 2022 aux Éditions David. À travers cette fiction, vous nous avez offert une plongée dans l’univers troublant des hoarders, ces accumulateurs compulsifs qui vous ont toujours tant fascinée. Dites-nous donc, avec du recul, comment cette œuvre, qu’on a qualifiée de «déjantée», a-t-elle été reçue par le public?
«Je dirais que, de tous mes livres, c’est celui-ci qui a fait le plus jaser. J’ai reçu de très bonnes critiques, et j’en suis ravie, parce qu’en effet, c’est mon roman le plus “capoté”, ce qui revient à dire que ma folie est ma force. Pourquoi pas? Quoiqu’il y a aussi beaucoup de travail là-dedans…»
«Pour moi, ce livre est un véritable exploit, parce que je l’ai écrit dans des circonstances pénibles, suite à mon cancer, à de nombreux traitements de chimiothérapie qui m’ont brûlé le cerveau, et de radiothérapie qui ont laissé plusieurs séquelles.»
«Dans ce que j’appelle ma “deuxième vie”, je suis très fière d’avoir pu terminer et publier Capharnaüm, avec de l’aide évidemment. Ma collaboratrice Gloria Escomel a été formidable, et toute l’équipe des Éditions David d’ailleurs.»
«J’ai eu, la plupart du temps de bons feedback, bien sûr il y en a qui ont moins aimé, ma doctoresse m’a dit qu’elle n’avait pas pu le finir lorsqu’elle est arrivée au personnage de Malvina, au chapitre des choses de la mort, à la partie du mannequin dans le cercueil, ces chapitres m’ayant été inspirés par de vieux films d’horreur que mon fils Karim Hussain, cinéaste, m’avait envoyés.»
Pour celles et ceux qui n’ont pas eu le plaisir de le lire encore – on vous invite à l’ajouter à votre liste de livres à lire cet automne – puisque vous ferez la connaissance d’Elsa, «une femme singulière et étonnante, dont la passion pour les araignées et les objets trouvés devient vite une vilaine manie… qui finira par avoir raison de ses relations interpersonnelles». Parlez-nous du plaisir que vous avez éprouvé à donner vie à cette protagoniste flyée!
«Dans mon quartier, il y avait une voisine qui accumulait des objets jusqu’à ne plus avoir d’espace. La Ville était venue vider sa maison trois fois. Un jour, je lui ai demandé comment avait commencé cette manie de tout garder, de ne rien jeter. Elle m’a répondu que, lorsqu’elle était petite, si elle ne ramassait pas ses affaires, sa mère faisait disparaître ses objets, comme sa poupée et d’autres trucs du genre.»
«À cette époque, je regardais des émissions américaines sur les Hoarders, j’ai par ailleurs regardé presque tous les épisodes de Hoarding: Buried Alive, en prenant des notes. Je voulais explorer le côté psychologique de ces gens-là, en faisant cas des drames humains qui s’y jouent. C’est ainsi que le personnage d’Elsa a pris naissance…»
«Elsa est donc née, avec ma folie autour du cou, et je me suis amusé à lui trouver un mari, une fille et des personnages tous plus singuliers les uns que les autres qui, comme elle, aiment et poétisent les objets, des personnages inspirés la plupart du temps par de vraies personnes, dont Nadia qui sauve et qui accumule des animaux, Melora, la sculptrice de la tête de Baudelaire…»
Une chose est sûre, votre roman Capharnaüm n’a pas laissé indifférent ∙e ∙s les lecteurs et lectrices francophones, ni les membres de jurys, d’ailleurs, puisqu’il se retrouve parmi les finalistes 2023 des Prix du livre d’Ottawa, qui célèbre l’excellence littéraire. Toutes nos félicitations pour cette belle reconnaissance. Et c’est demain, le 11 octobre, que le gagnant ou la gagnante sera enfin annoncé. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle? Allez, dites-nous tout!
«Merci! J’ai été en effet ravie de cette nomination, surtout que Capharnaüm a, pour moi, été tout un exploit… Mais vous savez, je pense que les prix sont souvent des coups de dés, vous changez de jury et vous aurez un nouveau lauréat ou lauréate.»
«Et comme, dans ma “deuxième vie” j’ai appris à vivre sans attente, de rien ni de personne, je dis “Que sera sera”, et félicitations aux autres finalistes, je suis en très bonne compagnie.»
Malgré le fait évident que la langue anglaise prédomine dans un pays aussi vaste que le Canada, qu’on se le dise, la littérature franco-ontarienne a toute sa légitimité dans le milieu littéraire francophone, bien sûr au Canada, mais aussi à travers toute la francophonie. Auriez-vous la gentillesse de nous présenter trois auteurs ou autrices de l’Ontario français et leurs œuvres, afin de donner un bel avant-goût de nos talents francophones à nos lecteurs et lectrices?
«Andrée Christensen, riche d’une vingtaine d’ouvrages en poésie, traduction littéraire, romans et récits, récompensés par une trentaine de prix. Son roman Depuis toujours j’entendais la mer a remporté quatre prix littéraires. De cette fiction, elle a repris un personnage qu’on croyait disparu, elle l’a ressuscité dans son dernier récit poétique, Plonge, Freya, Vole!, un livre unique en son genre, magnifique et magique, agrémenté de superbes collages.»
«La regrettée Marguerite Andersen, qui a publié une vingtaine d’ouvrages et remporté plusieurs prix. Je retiens De mémoire de femme, dans lequel elle livre son parcours singulier qui se déploie sur trois continents et trois mariages. De même que La mauvaise mère, un livre qu’elle a écrit quand elle avait plus de 85 ans.»
«Soufiane Chakkouche, né au Maroc, auteur et également scénariste, journaliste et nouvelliste installé à Toronto depuis trois ans. Son roman policier, L’inspecteur Dalil à Paris, publié aux Éditions Jigal, a été finaliste du grand prix de littérature policière 2019. Et son roman Zahra, publié aux Éditions David en 2021, est excellent, je l’ai adoré.»
«Je me permets d’ajouter dire, un très beau recueil d’Andrée Lacelle, lauréate de plusieurs grands prix, publié aux Éditions Prise de parole.»
Le 10 octobre prochain, à 19 h, vous serez la deuxième invitée de l’animateur Hugues Beaudoin-Dumouchel à l’occasion de la causerie littéraire gratuite Croisée des mots, présentée par l’AAOF et ses partenaires. Chaque mois, via la plateforme Zoom, les amateurs et amatrices de littérature franco-canadienne découvriront, en direct de leur chez-soi, de nouveaux visages de l’Ontario francophone. Qu’auriez-vous envie de dire, comme mot de la fin, pour convier le public à cette rencontre-discussion d’une heure?
«Bienvenue chez moi, où le noir et les pages de mes livres sont couleur de lumière. Je vous parlerai de mes peurs, de mes victoires, de mes livres, avant tout, de mes folies, de mes passions et de mes damnations.»
«Et ne vous inquiétez pas, ce n’est pas un capharnaüm chez moi…»