LittératureRomans québécois
François Gilbert est un écrivain né en 1980. Il enseigne dans une école de francisation pour les immigrants à Montréal. «Coma», son premier roman, est né de sa passion pour la littérature et l’Asie, continent sur lequel il a effectué plusieurs voyages au fil des ans.
Court roman d’une centaine de pages, Coma est une œuvre littéraire riche de significations, à la fois poétique, touchante et troublante. L’histoire de Kikuchi Sâto et d’Ayako est à ce point singulière qu’il est impossible de rester de marbre devant autant d’audace et d’intelligence.
«Imagine que je suis à ta merci. Imagine que tu es à la mienne. Lequel de nous deux serait le plus cruel?» – Ayako
Kikuchi Sâto, 19 ans, est un jeune homme solitaire et taciturne au passé mystérieux. Sans domicile fixe, il réside temporairement dans un hôtel de Shanghaï, lieu où il vit tranquillement et loin du regard des autres. Un jour, madame Watabe, le vague à l’âme, débarque à l’improviste avec une requête plutôt inusitée: il doit ranimer Ayako, sa tendre amie d’enfance, laquelle est tombée dans le coma après avoir commis un geste irréparable. Kikuchi Sâto, pris au dépourvu, se retrouve dans une impasse puisque ce tragique épisode a été rangé dans un des tiroirs de son inconscient. Forcé d’accepter la requête, Sâto revient à Tokyo afin de rallumer l’ancienne flamme qui a fait vibrer, jadis, son jeune cœur d’adolescent. Les jours passent et les souvenirs, les questionnements et les doutes prennent la forme d’un tourbillon d’incompréhension qui l’assaille de toutes parts. Madame Watabe, à son grand étonnement, métamorphose sa douleur sous les voiles d’une seconde identité, alors que Kikuchi Sâto, inconsciemment, devient Yoshi, le frère d’Ayako. Le réel, tout d’un coup, adopte une tournure inattendue et les jeux de rôle se renversent comme dans un théâtre de l’illusion. L’amour de Sâto pour Ayako sera-t-il suffisant pour ranimer la jeune comateuse et ainsi effacer les erreurs du passé?
«Depuis le jour où j’avais connu Ayako, où je l’avais aimée peut-être, parce qu’avec sa conception de l’amour elle arrivait à me faire douter, j’avais été intrigué par la nature des pensées qu’elle me révélait, par leur complexité. Mais en cette fin d’après-midi, sur le bateau, la teneur de ses propos me déconcertait. «Je veux être dans ta tête, connaître ton désir pour moi». Elle m’appelait de loin, m’implorait. Je restais derrière elle, dans l’attente. Difficile de savoir ce qu’elle s’apprêtait à faire, mais je me tenais prêt à tout.»
François Gilbert signe avec Coma un roman d’une grande lucidité, au sein duquel les thèmes de l’amour, de l’identité, de l’Autre, du suicide et de la mort revêtent une dimension quasiment métaphysique. Son style d’écriture, qui alterne laconisme et dépouillement, fait preuve d’une grande maturité et rappelle à certains égards celui des écrivains Yukio Mishima, Yoko Ogawa et Ying Chen. Sa poésie, très visuelle et imagée, plonge le lecteur dans un décor où sensualité et mystère renvoient à l’esthétique léchée et symbolique du réalisateur chinois Wong Kar-wai, particulièrement dans les inoubliables In the mood for love et 2046. Roman d’une délicate beauté et d’un exotisme rafraîchissant, Coma est un chef-d’œuvre de la littérature québécoise à lire séance tenante.
«Coma»
Leméac Éditeur
119 pages
Appréciation: *****
Crédit photo: Tous droits réservés
Écrit par: Éric Dumais